[Critiques des livres suivants :
- Le titan de l'espace d'Yves Dermèze, Ed Metal série 2000 n° 10
- La folie rouge d'Yves Dermèze, Ed L'Arabesque Frayeurs n° 4
- Les Atlantes du ciel d' Y.F.J. Long, Ed Metal série 2000 n° 8
- Les étoiles ne s'en foutent pas de Pierre Versins, Ed Métal série 2000 n° 9
- Opération Aphrodite de Jimmy Guieu, Fleuve Noir Anticipation n° 47
- Désert des spectres de David Keller, Fleuve Noir Angoisse n° 5
- Le carnaval des épouvantes de Max-André Dazergues, Ed l'Arabesque Frayeurs n° 5]
Yves Dermèze, Grand Prix du Roman d’Aventures 1950, a fait paraître le même mois deux romans dont un, « Le titan de l’espace » (Ed. Métal, Série 2.000), est un A.S. de classe internationale. Le sujet n’est pas nouveau, Van Vogt l’a déjà traité dans « La faune de l’espace » (et plusieurs auteurs avant lui). Si nous sommes tellement satisfaits de cet ouvrage, c’est en raison de la façon dont le thème a été traité, développé et présenté, à cause aussi de la maîtrise de l’architecture et de l’écriture. Son héros est Chob, Être-Force de l’Espace qui, pour ne pas périr, doit absorber de l’énergie vitale. Il s’attaque donc à un astronef dont les occupants voient leur vie « aspirée », tout en continuant de vivre comme des automates. Chob s’introduit dans le corps d’un des astronautes, Staner, afin de pouvoir retourner sur Terre et de se repaître de l’essence vitale des deux milliards d’hommes. Malheureusement pour lui, notre monde est déjà occupé par un autre Être-Force, Akar, beaucoup plus petit et plus faible que Chob, qui ne tire des hommes qu’une subsistance strictement nécessaire à sa survie et qui, évidemment, désire protéger notre planète contre le géant envahisseur, capable d’anéantir toute la population du globe. Akar, lui aussi, s’introduit dans des corps humains (mais avec le consentement des intéressés). Ajoutons que ce conflit spatial se complique d’un conflit terrestre, car l’Europe, aux mains de trois dictateurs, en veut à mort à l’Amérique – et vice-versa. Sur ces données, Dermèze a bâti un roman de qualité, autant suspense que science-fiction, que nous vous recommandons chaleureusement.
Ce même auteur a écrit, sous le titre de « Folie rouge » (Ed. de l’Arabesque), un roman de terreur, point mal bâti, mais qui s’adresse à un tout autre public. C’est l’aventure de cinq Français, expatriés en Nouvelle-Guinée, qui, capturés par des Alfourous, se voient inoculer la « folie rouge », espèce de maladie ( ?) contagieuse qui pousse le contaminé, dans ses moments d’irresponsabilité, à se transformer en véritable fauve, tuant tout ce qui lui tombe sous la main. Effectivement, la mort frappe un des jeunes gens. Mais lequel des survivants est le fou sanglant ? Le thème, on le voit, est de caractère policier ; le traitement, lui, a tendance à se montrer grandguignolesque. Sans satisfaire les difficiles, « La folie rouge », à cause de son côté « terreur », plaira certainement à nombre de lecteurs populaires.
« Les Atlantes du ciel », roman de Y.-F.-J. Long (Ed. Métal, Série 2.000), figurait parmi les ouvrages sélectionnés par le jury du Grand Prix du Roman d’Anticipation Scientifique. Ajoutons que, ne fût-ce le caractère exceptionnel de « La naissance des dieux », de Charles Henneberg, c’est certainement ce roman qui aurait remporté le prix. L’un des principaux griefs qu’on lui fit à l’époque était de n’être qu’un très bon S.-F. et non pas quelque chose d’extraordinaire. (Les membres d’un jury espèrent toujours pouvoir couronner un ouvrage sortant de l’ordinaire.) Mais c’était reconnaître en même temps ses qualités. L’œuvre a pour thème une expédition intergalactique au cours de laquelle des astronautes terriens et martiens découvrent des hommes bleus, parlant une langue proche du basque et qui se révèlent être les ancêtres non seulement des Atlantes, mais de l’humanité tout entière. Puis, par suite d’une erreur de navigation dans le Temps, nos héros atterrissent sur Terre dans… 600.000 ans ; ce qu’ils voient n’est pas précisément drôle. Le début de l’ouvrage est un peu lent, mais dès qu’on commence à découvrir des planètes inconnues, l’action s’anime et les chapitres qui se déroulent sur Kromas sont parmi les plus intéressants. En résumé, un roman qui mérite largement votre attention.
« Les étoiles ne s’en foutent pas », roman de Pierre Versins (Ed. Métal, Série 2.000), avait, lui aussi, été retenu par le même jury. C’est un ouvrage bourré de qualités, mais dont la fin, pour drôle qu’elle soit, est trop « chargée » – ne prononça-t-on pas, à cette occasion, le mot de « canular » ? C’est d’ailleurs une œuvre à thèse, un aspect de la lutte contre le racisme et qui, de ce fait, a droit à nos égards. Mais le décalage est trop grand entre les premières cent quarante ou cent cinquante pages, d’une haute tenue tant littéraire que scientifique, et la fin qui, à un certain moment, tourne à la grosse farce. Que ces réserves d’un critique chargé de veiller à l’ensemble des mérites d’un livre ne vous découragent d’ailleurs pas de lire « Les étoiles ne s’en foutent pas ». À signaler aussi l’habileté avec laquelle Versins nous présente ses personnages. On les croirait Terriens et pourtant… Nous n’en dirons pas plus long, car ce serait gâcher votre plaisir. Quant à l’histoire, sachez qu’on nous dépeint la vie dans un univers jouissant d’une civilisation prodigieuse et dont les habitants ont réussi à maîtriser tous leurs instincts. Malheureusement, des intrus surviennent et… Non, là encore ce serait trop révéler. En résumé, une œuvre intéressante, partiellement ratée.
Nous avons beaucoup aimé « Opération Aphrodite », de Jimmy Guieu (Fleuve Noir), car, une fois de plus, il se fait l’apôtre, de l’entente entre tous les hommes. Ici, ce sont Russes et Américains qui s’affrontent sur la Lune, bientôt obligés de s’unir et de combattre en commun un ennemi mortel qui les menace d’anéantissement. La situation se trouve encore plus compliquée du fait de l’intervention des Polariens et des Denebiens, que nous avions déjà rencontrés dans « L’Homme de l’espace », du même auteur.
« Désert des spectres » (The solitary hunters), de David Keller (Angoisse-Fleuve Noir), est à la fois un roman d’anticipation et de terreur. D’anticipation, il l’est même sur un double plan, puisque, d’une part, il donne l’impression de se dérouler dans quelques années et, d’autre part, il y est question d’une race de guêpes géantes. Quant à la terreur, elle est soigneusement entretenue dans ce camp-prison où un riche savant américain a offert au gouvernement de prendre « en pension » mille condamnés de droit commun par an, sans rien demander en échange, mais à charge pour les autorités de ne pas lui poser de questions. Un puissant racketeer s’y intéresse toutefois, sa fille ayant été envoyée dans ce camp mystérieux, et charge un entomologiste de percer le mystère. L’ouvrage n’est pas dénué de qualités, mais l’antichute de la fin (c’en est une, incontestablement) détruit quelque peu les effets des chapitres précédents. Signalons que, en raison de la nature particulièrement réaliste de la jaquette, voilà un ouvrage à ne pas laisser traîner dans des foyers où il y a des enfants sensibles.
« Le carnaval des épouvantes », de Max-André Dazergues (Ed. de l’Arabesque), est placé sous le signe de la Frayeur (nom de la collection). Avec son petit côté irréel, il fait, en effet, songer à une espèce de cauchemar. L’action se déroule à Venise où un jeune Français, Bernard Moraines, se trouve mêlé à une sombre histoire d’amour et de jalousie. Le héros est d’une naïveté parfois affligeante, au point qu’il nous fait penser à un fantoche. D’autres personnages, en revanche – Domenico le gondolier et le Pierrot Rouge en particulier – sont très humains. Un ouvrage de série, qui trouvera certainement de nombreux amateurs parmi la clientèle populaire à laquelle il semble destiné.
Igor B. MASLOWSKI
Première parution : 1/3/1955 dans Fiction 16
Mise en ligne le : 21/3/2025