LIVRE DE POCHE
(Paris, France), coll. SF (2ème série, 1987-) n° 7125 Dépôt légal : mai 1990 Réédition Roman, 288 pages, catégorie / prix : 10 ISBN : 2-253-05342-2 Format : 11,0 x 17,8 cm Genre : Science-Fiction
Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes du XXIe siècle. La santé de la population ne cesse de s'améliorer : toutes les statistiques le prouvent.
Le problème, c'est de maintenir les grands équilibres. Et pour y arriver, il faut supprimer gaillardement 400 000 citoyens par an dans l'Hexagone. Choisis avec art et méthode par le Grand Ordi qui les tire au sort chaque matin, tout en veillant à maintenir les sacro-saints équilibres.
Pour chacun c'est toujours l'autre, bien entendu, l'anonyme, qui sera bon pour la casserole.
Et ça, c'est le travail des Furets, de liquider, pas forcément en douceur, tous ceux qui brusquement sont apparus de trop. Un boulot comme un autre, en somme. Avec des avantages.
Jusqu'au jour où un certain Furet, grand amateur de films noirs du XXe siècle, découvre sur sa liste le nom de Jos.
Son amour.
Jean-Pierre Andrevon, au sommet de son talent, livre ici à la fois une description réaliste d'un avenir effrayant et un pastiche, éblouissant de verve et de rebondissements, d'un roman noir propulsé dans le futur.
Auteur phare de la défunte et mythique collection « Présence du Futur », Jean-Pierre Andrevon est l'incarnation même de la S-F française engagée, râleuse et boulimique. Avec Le Travail du furet, il revient sur le thème inquiétant et politique du contrôle des individus par l'état.
En ces années 2000 et quelques, la paix sociale n'est plus un mythe : si la logique de classe n'est plus à remettre en cause, la maladie régresse et jamais la population ne s'est aussi bien portée (les statistiques le prouvent, après tout). Seul petit hic, l'obligation de maintenir le nombre de citoyens à un joli 60 millions tout rond. En conséquence, des travailleurs assermentés (les furets) sont chargés d'éliminer (pas forcément discrètement, d'ailleurs) environ 400 000 personnes par an. La stabilité est à ce prix, que voulez-vous ma bonne dame.
Bon furet efficace, sans état d'âme et froidement méthodique, le narrateur est un amateur de films du XXe siècle. Ses tenues sont d'ailleurs régulièrement calquées sur ses héros favoris (l'occasion pour Andrevon de rendre hommage à un certain film de genre), et ses exécutions sont le prétexte à un long monologue où la haine du pauvre ne cède que devant l'horreur du riche. Il n'est d'ailleurs pas interdit de déceler çà et là quelques accents céliniens, notamment sur l'idyllique vision humaniste qu'Andrevon nous balance à travers la gueule.
Mais les choses changent quand ce parfait furet se rend compte peu à peu que le jeu est truqué. Les gibiers listés officiellement au hasard ne seraient-ils pas tout simplement gênants pour l'état ? Mais quand un furet pense, il désobéit. Et quand un furet désobéit, il faut le punir... En assassinant sa copine, par exemple, ou tout simplement en l'éliminant... La paix sociale, n'est-ce pas ?
Sujet classique (perverti par la quatrième de couverture ou différentes critiques rédigées par des gens n'ayant manifestement pas lu le livre : le furet commence à se poser des questions, donc on lui tue sa femme , et non pas « le Furet se révolte après la découverte du nom de sa femme sur la liste des gibiers du jour », ce qui n'est pas la même chose) traité de mille et une manières aussi bien au cinéma qu'en littérature, histoire de bonne facture, rythme polardisé à l'extrême, mais aussi humour cynique permanent, Le Travail du furet fait partie des excellents Andrevon. Un livre parfaitement recommandable, grâce à son scénario intelligent (et... glaçant), son ton résolument meurtrier et la verve d'un auteur qui a pris beaucoup de plaisir à écrire ces quelques 250 pages. Plaisir partagé par le lecteur. Comme quoi, il reste encore un peu d'espoir, même si ce mot est définitivement absent du bouquin.
Syndrome ou symptôme ? La science-fiction passe de l'opéra au polar. Jean-Pierre Andrevon participe de ce concert et instrumente avec maîtrise.
S'il vous plaît, ne lisez pas ce livre au hasard. Il témoigne d'une volonté de renouvellement trop évidente pour être négligée.
C'est un tout : extraire une phrase de son contexte la fait paraître « mal écrite ». Au contraire ! Andrevon a su recréer un monde dans la totalité de son langage, de sa topographie humaine et politique, dans l'intégralité de ses détails. Il a repris avec bonheur le thème d'une de ses anciennes nouvelles (« Salut Wolinski ! » in Les soleils Noirs d'Arcadie, Opta) pour, tel un Jeury, s'en servir de tremplin, non de béquille.
L'argument ressortit au roman noir classique. Au roman... plutôt au film.
Voici un tueur professionnel, fonctionnaire d'un état soucieux de préserver l'équilibre de sa population. Pour ce faire, le gouvernement emploie des furets, chargés de tuer chaque année, sur le territoire français, quatre cent mille personnes tirées au sort dans une loterie. Le furet vit sous nos yeux plusieurs journées de travail. Un labeur bien monotone. Est-ce pourquoi, lorsqu'un « ami » vient semer le doute dans son esprit sur le fonctionnement réel de cette loterie et sur le prétendu hasard censé la guider, il décide d'enquêter ? Après avoir tué son ami, qui était (par hasard...) sur sa liste de cibles, il devient vite, de chasseur neutre, chasseur impliqué, puis gibier.
Personnage sans pudeur, presque sans nom, le furet arpente les rues : dans les quartiers de pauvres, elles sont baptisées d'après des acteurs et des chanteurs célèbres autrefois : Mireille-Mathieu, Line-Renaud, Claude-François, Alain-Delon, Ronald-Reagan ; dans les quartiers riches, les révolutionnaires : Che-Guevara, etc. ; chez les intellos : Franz-Kafka, Vladimir-Boukovski, Mircea-Eliade... Ses références sont exclusivement filmiques, ses préférences vont au cinéma hollywoodien d'avant 1964 (au passage, vigoureuse dénonciation de Godard et de ses films constitué de « scènes sans raccords »). Tandis que les quelques renvois à la littérature, de SF ou non, comme Gérard Klein et sa nouvelle « Les blousons gris », Jean Genêt, et autres, sont systématiquement dénoncés par des formules du genre « Mais ces phrases-là, on les trouvait dans les livres, et moi je n'en lis jamais, de livres, » etc. A moins que les livres n'aient été adaptés au cinéma (Moby Dick).
Ira-t-on jusqu'à assimiler l'auteur à son personnage, comme il serait facile de le faire lors d'une lecture en diagonale ? Andrevon sera-t-il surpris des réactions suscitées par son livre ? C'était peut-être son but : surprendre, être surpris...
La succession des masques, des déguisements employés avec une espèce de jouissance lasse par le furet, l'arsenal varié et variable tout autant que meurtrier qu'il porte et supporte, le vocabulaire qui renvoie souvent à un réfèrent très sexué (sexuel ?) jusque dans les descriptions les plus ordinaires, tout cela compose un personnage (faussement ?) malsain. Son érotisme est miroir : la seule scène érotique montrée, d'ailleurs à la sauvette, est une masturbation. Et bien sûr, cette censure de la sexualité transparaît dans la véritable sudation subie par son vocabulaire. Ce monolithisme n'est qu'apparence, le personnage est fragile, fêlé, discret. Il glisse. Et la pluie persistante qui semble noyer son univers n'est qu'un signe de plus envoyé par l'auteur.
Ce monde n'apparaît pas comme étranger aux lecteurs de SF. La référence à Dick... ou à Blade runner. Le jeu se poursuit jusqu'au bout, il est impossible de prendre Andrevon en défaut. Son roman a la cohérence des œuvres solides, son personnage la fragilité des créations intelligentes.