David Bowie ayant merveilleusement incarné à l'écran
L'homme qui venait d'ailleurs (c'était le titre du film), il est préférable de se souvenir de cet « homme tombé du ciel » sous les traits du créateur de
Diamond Dogs et
Ziggy Stardust plutôt que de s'inspirer de la couverture de cette nouvelle édition pour se représenter T.J. Newton, alias Rumpelstitskin (les spécialistes des frères Grimm apprécieront). En effet, si les idées de l'illustrateur sont à la fois intéressantes et cohérentes avec le texte, le résultat est d'une laideur repoussante. À tel point que j'ai été tenté de conseiller aux lecteurs qui souhaiteraient acquérir l'ouvrage aujourd'hui de chercher chez les bouquinistes l'une des éditions antérieures, chez Denoël « Présence du Futur ». Toutefois, je n'en ferai rien, car qu'importe finalement la couverture ? Le contenu est infiniment plus passionnant, et, à ce sujet, pas de doute : la traduction révisée par Pierre-Paul Durastanti est tellement plus fluide que celle des versions précédentes qu'aucune hésitation n'est permise. Donc, même si vous avez encore dans votre bibliothèque un
Homme tombé du ciel vieux de trente ans, n'hésitez pas, pour une relecture, à vous procurer cette traduction révisée : en sus de la richesse du roman original, vous aurez droit à un beau texte en français, ce qui n'est pas négligeable. Walter Tevis (1928-1984) est un contemporain quasi-exact de
Dick, mais la comparaison entre les deux auteurs s'arrête là (ou presque : seule une certaine vision — paranoïde ? — de l'Amérique les rapproche vraiment). Écrivain peu prolifique, Tevis n'a laissé à la SF que trois romans et quelques nouvelles, d'ailleurs inégales. Et si ce n'était
L'Homme tombé du ciel, tout porte à croire que Tevis resterait davantage dans la mémoire des amateurs de polar (pour
La Couleur de l'argent, entre autres) que dans l'histoire de la littérature conjecturale. Mais voilà, justement...
La quatrième de couverture annonce une « œuvre mélancolique et grave ». Je souscris sans réserve. Situé dans un monde aujourd'hui devenu passablement uchronique (le livre date de 1963, l'action se situe entre 1983 et 1988),
L'Homme tombé du ciel fait partie de ces récits pessimistes qui flirtent avec la dystopie sans toutefois s'y rattacher directement. Quelques passages sur la perception qu'ont les États-Unis du monde qui les entoure ont peut-être encore plus de saveur en 2004 qu'ils n'en avaient voici quarante ans. Quoi qu'il en soit, rarement roman de SF n'aura davantage mérité, de par l'atmosphère qu'il dégage, le qualificatif de « crépusculaire », et la vision de notre espèce acharnée à son propre anéantissement, qui passe par la destruction de sa planète, entre ici en une curieuse et fascinante résonance avec le tableau d'Anthéa, le monde mourant de Newton. La dimension écologique, si ce n'est écologiste, du roman n'échappera bien entendu à personne, même si (avantage des textes précurseurs ?) l'auteur ne tombe jamais dans le piège du prêchi-prêcha qui caractérise souvent la littérature militante. Au final, une œuvre lucide et belle dans son désespoir hiératique.
Nostalgie, ô combien, et à double titre, du moins pour certains d'entre nous. En effet, au-delà du ton général de cette histoire, et des idées et visions qu'elle véhicule, reprendre ce roman trente ans après l'avoir découvert, à l'occasion de sa parution en français, est une expérience étrange, que seuls les plus mûrs des lecteurs de
Galaxies pourront s'offrir. Doit-on la recommander ? Oui, avec un conseil d'utilisation : veillez à bien vider dans l'évier la bouteille de gin qui traîne dans le frigo avant de relire
L'Homme tombé du ciel. Le risque est en effet réel de voir votre moral tomber, si ce n'est du ciel, du moins bien bas.