Lawrence SUTIN Titre original : Divine invasions : a life of Philip K. Dick, 1989 Première parution : New-York, USA : Harmony books, 1989 Traduction de Hélène COLLON Illustration de Éric SCALA
GALLIMARD
(Paris, France), coll. Folio SF n° 88 Dépôt légal : février 2002, Achevé d'imprimer : 4 février 2002 Biographie, 736 pages, catégorie / prix : F11 ISBN : 2-07-042236-4 Format : 10,7 x 17,8 cm Genre : Science-Fiction
« Philip K. Dick (1928-1982) reste un trésor enfoui dans le domaine de la littérature américaine parce que la grande majorité de ses œuvres a vu le jour dans le cadre d'un genre – la science-fiction – qui ne retient pratiquement jamais l'intérêt des gens sérieux. Car on ne saurait être sérieux en racontant des histoires de vaisseaux spatiaux, n'est-ce pas ? Une baleine blanche, voilà qui peut faire office de grande figure littéraire ; mais comment en dire autant d'un fongus de Ganymède télépathe ? »
Mais le temps ne saurait mentir : aujourd'hui les Répliquants de Blade Runner sont aussi célèbres que Moby Dick.
Unanimement saluée par la critique, cette biographie a obtenu en 1995 le Grand Prix de l'Imaginaire, catégorie essais.
Laurence Sutin, diplômé de la Harvard Law School, vit à Minneapolis. Biographe, essayiste, professeur d'université, il est essentiellement connu en France pour ses travaux sur Philip K. Dick.
1 - Remerciements (1989), pages 11 à 14, préface, trad. Hélène COLLON 2 - Note bibliographiques, pages 15 à 17, notes, trad. Hélène COLLON 3 - Paul WILLIAMS, Avant-propos, pages 19 à 26, introduction, trad. Hélène COLLON 4 - Guide de lectures chronologique (1989), pages 637 à 693, bibliographie, trad. Hélène COLLON 5 - Bibliographie, pages 695 à 718, bibliographie, trad. Hélène COLLON
Critiques
Réédition de l'ouvrage paru en 1995, le cahier de photos en moins, Invasions divines est sans conteste la bibliographie de Philip K. Dick qui fait autorité. Elle a d'ailleurs obtenu la même année le Grand Prix de l'Imaginaire. Toute la lumière est faite sur la personnalité torturée et, pour tout dire, invivable, de l'écrivain, en d'incessants allers et retours entre sa vie et son oeuvre. Si celle-ci ressortit clairement à la science-fiction, elle n'en a pas moins puisé son matériau dans la vie quotidienne, chaotique, de l'auteur.
Dick, le superbe schizophrène, était une personnalité contradictoire en proie à des angoisses permanentes : agoraphobe mais incapable de vivre seul, redoutant le Jugement dernier autant que les manœuvres souterraines de proches ou d'inconnus, voire de services secrets, il n'en était pas moins habité d'une réelle bonté et d'une empathie pour les autres, qu'il manifestait davantage par une générosité proche de l'inconscience (et dont ses hôtes profitèrent) que par sa présence ou son dévouement (et ceci est particulièrement vrai pour les femmes qui partagèrent sa vie). Doté d'une maturité affective d'enfant de quatre ans mais fort d'une culture générale impressionnante, dopé aux amphétamines sans jamais réellement se droguer (il expérimenta un temps le LSD mais ne toucha jamais à l'héroïne), désireux de se distinguer dans la littérature générale mais ne voyant jamais publiés que ses romans de science-fiction, Dick est si complexe qu'on se demande par quel bout l'appréhender. Lawrence Sutin délivre cependant une clé : Jane, la sœur jumelle morte en bas âge, que Philip rechercha tout au long de sa vie à travers ses prétendus doubles féminins et dont il reprochera toujours la disparition à sa mère.
Sutin n'est cependant pas un Sainte-Beuve de la littérature de science-fiction : s'il éclaire, de façon saisissante, les rapports entre la vie et l'œuvre, ce n'est pas pour montrer combien la première influence, voire expliquerait la seconde, mais pour souligner combien les deux se confondent. La vie de Dick était semblable à ses romans. Il s'agit moins de relater des faits objectifs tendant à démontrer que la réalité est contaminée par des faux-semblants (même si la CIA l'a effectivement surveillé et à intercepté du courrier à destination de la Russie, même s'il a effectivement reçu une mystérieuse lettre qu'il redoutait de recevoir), que de montrer le regard de Dick sur son quotidien, fait d'interprétations délirantes dont il n'était pas dupe, et qu'il mâtinait parfois de mauvaise foi, notamment par rapport à ses anciennes épouses. L'Exégèse, cette somme de 2000 pages tendant à expliquer les illuminations mystiques de 1974 constitue, de ce point de vue, l'interface entre la vie et l'œuvre, où Dick se remet inlassablement en question.
C'est un travail de bénédictin qu'a effectué Lawrence Sutin : chaque période est éclairée par les témoignages des proches, la multiplicité des regards permettant d'approcher la réalité d'un écrivain de génie qui ne s'est jamais contenté d'une interprétation unique de la réalité.
Ce livre est plus qu'un essai. Lire Invasions divines revient à lire un roman de Philip K. Dick !
Ce livre 1 est la meilleure biographie disponible d'un écrivain qui, de l'avis de beaucoup, fut le meilleur auteur de SF américain. Prudent, Sutin l'a toutefois sous-titré « une vie de Philip K. Dick », une seulement, parce qu'on peut sans doute en imaginer beaucoup d'autres à partir du matériau existant. Le travail est à la fois facile et titanesque, tant Dick lui-même a laissé de traces, dans ses écrits, chez les personnes qu'il a côtoyées de près. Mais à matière abondante, tri difficile.
En bref : Phil Dick naît en 1929, commence à écrire tout en travaillant dans un magasin de disques du Berkeley branché des années 40, donne l'essentiel de ses romans de SF entre la fin des années 50 et la fin des années 60. Les années 70 seront une période d'instabilité marquée d'abord par le fameux cambriolage de novembre 1971, puis par des visions mystiques en février/mars 1974, qu'il passera le reste de sa vie à essayer d'expliquer — sans oublier d'écrire au passage, entre autres, la fameuse Trilogie divine. Dick, usé prématurément par les abus d'amphétamines commis dans les années 50 et 60, meurt en 1982 d'une série d'hémorragies cérébrales, alors que la sortie imminente du film Blade Runner lui apportait à la fois des rentrées financières et un peu de la célébrité qu'il méritait.
Sutin a accumulé un travail de recherche impressionnant, lisant non seulement romans, nouvelles et manuscrits inédits de Philip K. Dick (et en particulier ceux qui survivent de ses romans de littérature générale, écrits pour la plupart durant les années 50), mais aussi sa correspondance et les milliers de pages de notes théologico-mystiques connues comme l'Exégèse. Il a aussi parlé avec des dizaines de personnes ayant côtoyé l'auteur : ses cinq épouses, bon nombre de petites amies, collègues, fans, psychothérapeutes, co-locataires plus ou moins temporaires... De copieuses annexes détaillent les sources, et fournissent un guide de lecture de toutes les œuvres de Dick.
On sort du livre avec l'impression d'avoir vécu avec Philip K. Dick, un homme caractériel et généreux, sans cesse en quête de la stabilité que pouvait lui donner le mariage ; un homme aux théories difficiles à croire, mais qui prenait tout ce qu'il disait avec un humour paradoxal. Dick avait forcé sur les amphétamines (et bien d'autres produits, mais pas tant sur le LSD). Cela n'empêche pas Sutin de le suivre dans sa recherche religieuse, sans privilégier une hypothèse explicative par rapport à une autre. Reste le mystère qui nous intéresse le plus, celui de la créativité de Dick, qui a pu écrire onze romans (dont quatre chefs-d'œuvre) en 1963-64, et rester bloqué pendant des années à d'autres moments. Des pistes sont données, des fragments de méthodes et des éléments tirés de sa vie. Les livres restent, souvent vite écrits, et pourtant riches de nouvelles profondeurs à chaque lecture.
Notes :
1. Il convient de signaler que cet essai est déjà paru en France en 1995, dans la collection Présences des Éditions Denoël. Il aurait donc pu figurer aussi bien dans la rubrique rééditions... (NDLR)
"il était ses propres romans faits homme" Joan Simpson, avril 1977 (p. 390)
"Les gens me disent que ce qui me constitue, toutes les facettes de ma vie, ma personnalité, mon vécu, mes rêves et mes peurs, que tout cela, donc, est apparent dans mon œuvre; qu'à partir de l'ensemble de mes textes, on peut me reconstituer de manière précise et absolue. C'est tout à fait exact." Philip K. Dick, introduction à the golden man, 1980 (p. 455)
Le 18 février 1982, il y a donc quarante ans, les voisins de Philip Dick le trouvent inconscient chez lui, victime d'un AVC. Transporté à l’hôpital, d'autres accidents cardiaques suivent jusqu'à sa mort le 2 mars. A l'occasion de ce quarantième anniversaire les deux principaux éditeurs de l'auteur republient massivement son œuvre : la plupart des romans par J'ai Lu, avec notamment une nouvelle traduction d'Ubik, la trilogie divine et la biographie de Lawrence Sutin par le groupe Gallimard (Folio SF et Denoël).
On connaît en France deux biographies de Dick : Invasions Divines et Je suis vivant et vous êtes morts, d'Emmanuel Carrère. Oublions tout de suite le livre de Carrère : ce n'est pas à proprement parler une biographie, mais plutôt une création littéraire mêlant éléments fictionnels et biographiques. Lawrence Sutin, au contraire, suit les canons du genre : un grand nombre d'entretiens avec les personnes ayant côtoyé l'auteur (on dénombre plus d'une centaine de noms dans les remerciements !) et un récit chronologique de la naissance à la mort de l'auteur.
Bien que l'ayant écrit peu de temps après la mort de l'écrivain et visiblement très fan de Dick, Lawrence Sutin ne tombe pas pour autant dans l'hagiographie : le personnage qu'il décrit est aussi fascinant que détestable. Fascinant par son intelligence, son érudition ou sa capacité de travail phénoménale, Dick est détestable principalement par sa relation avec les femmes tout au long de sa vie, d'abord avec sa mère puis avec ses cinq épouses et ses autres relations, allant d'un comportement toxique jusqu'à la violence physique. Ajoutons à cela de multiples phobies, une dépendance aux médicaments et aux amphétamines et le portrait pourrait paraître totalement noir; mais malgré tout ce personnage qui semble ne pas maîtriser grand chose de sa vie, en détresse quasi-permanente, songeant régulièrement au suicide, à la limite de la pauvreté et du dénuement (seules les dernières années de sa vie ont vu une amélioration de sa situation financière) inspire une certaine sympathie. Mais c'est certainement sur les rapports entre la vie de Dick et son œuvre qu'Invasions divines est le plus intéressant. Soulignant les liens, montrant quel personnage réel est devenu tel caractère dans un roman, on en arrive à comprendre que les écrits de l'écrivain sont une transposition science-fictive de sa vie.
Invasions divines, publié aux États-Unis en 1989, édité par Denoël en 1995 puis par Folio en février 2002, n'était plus disponible depuis quelques années. C'est pourtant un complément majeur de la bibliographie dickienne, un outil presque indispensable pour comprendre comment cette œuvre s'est construite. On regrettera juste que cette nouvelle édition n'ait pas été révisée : quelques coquilles y sont encore visibles et surtout, depuis la première édition en 1995, de nombreux textes de Dick cités en VO dans la biographie ont été publié en France, rendant obsolète la bibliographie fournie en annexe.