T. J. BASS Titre original : The Godwhale, 1974 Première parution : États-Unis, New York : Ballantine Books, janvier 1974 Traduction de Françoise MAILLET Illustration de MANCHU
Dans un avenir lointain, des trillions de Néchiffes à quatre orteils habitent des fourmilières souterraines où ils mènent une existence programmée d'hommes-insectes. Les Agrimachines cultivent pour eux les champs et ont éliminé toute forme de vie inutile. Les ratisseurs de plancton ont fait de même à la surface des océans jusqu'à ce que les mers elles aussi deviennent stériles.
Mais les humains sauvages et les renégats des cités s'efforcent en toute innocence de maintenir les anciennes valeurs de l'humanité. Avec d'étranges alliés comme le Rorqual Maru, un navire robot qui a la nostalgie des grandes pêches d'antan... Ou comme Trilobite, le petit cyber sentimental.
Dans la tradition du Meilleur des mondes d'Aldous Huxley et de La Ruche d'Hellstrom de Frank Herbert, voici la suite d'Humanité et demie, et un nouveau roman tout aussi étrange et inquiétant que le premier sur un avenir écologique possible de l'humanité, écrit par un biologiste qui est aussi un formidable conteur.
Dans cette très grande fresque (dont la première partie était déjà connue par les larges extraits parus dans Galaxie n° 107, 110, et 111), l'idée d'une population terrestre atteignant 3500 milliards est effectivement suggérée par le grouillement de personnages à peine différenciés, auxquels on a d'autant plus de mal à s'attacher que, si les Néchiffres de la Fourmilière sont veules et mous, les Egotiens qui lui échappent et qu'elle pourchasse (Broncos, Entre-les-Murs, Océanides) sont frustes et sans pitié ; tous sont des pantins de leurs glandes (tendresse lutéale et dureté folliculaire des « pouliches ») et de leurs gènes (« quatre-orteils » amorphes, « cinq-orteils » rebelles), voire (dans le deuxième tome) semi-mécanisés ; ce sont d'ailleurs des machines (Curedent, Gitar) qui ont le plus de personnalité, et les dieux en qui reposent tous les espoirs (Olga dans le premier tome, Rorqual le dieu-baleine dans le deuxième) sont des machines. Tous les détails, même les plus incroyables, s'appuient sur de remarquables connaissances scientifiques, cependant que l'ensemble a l'élan épique des grandes légendes, dont il est d'ailleurs nourri : Jonas et sa baleine, Moïse guidant son peuple vers la Terre promise, le Joueur de flûte de Hamelin (la traductrice écrit « Hameln », mais à ce compte il faudrait parler de Jonah et de Mosché !). Pourtant tout éclat lyrique ou épique est banni : tout, jusqu'au plus atroce, est décrit sur le même ton détaché et froid, à peine relevé par endroits d'une petite pointe d'humour noir. C'est qu'il n'y a pas de place pour la morale dans cette vision d'une humanité en expansion, dont la Fourmilière et ses adversaires ne sont que deux stades obéissant à un déterminisme tout aussi inhumain. Si bien que l'admiration du lecteur ne va pas sans quelque malaise.