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Le Temps des changements

Robert SILVERBERG

Titre original : A Time of Changes, 1971
Première parution : Galaxy Magazine, mars, avril et mai-juin 1971 / New York, USA: Nelson Doubleday / SFBC, juin 1971
Traduction de Alain DORÉMIEUX
Illustration de Jackie PATERNOSTER

LIVRE DE POCHE (Paris, France), coll. SF (2ème série, 1987-) n° 7052
Dépôt légal : octobre 2002
Roman, 256 pages, catégorie / prix : 5 €
ISBN : 2-253-02310-8
Genre : Science-Fiction


Autres éditions
   LIVRE DE POCHE, 1979, 1987, 2015
   in Voyage au bout de l'esprit, OMNIBUS, 1998
   OPTA, 1974

Quatrième de couverture
     Sur la planète Borthan se perpétue une société étrange. Elle interdit à quiconque de dire « Je ». Toute manifestation d'individualité y est proscrite comme obscène.
     Mais pour Kina Darrival, vient le temps des changements, annoncé d'abord par Schweiz, le marchand venu de la Terre, tentateur et familier d'autres usages.
     Et ensuite précipité par la drogue de Sumara grâce à laquelle on peut explorer les profondeurs de son inconscient et connaître son véritable désir.
     Kinal découvre en lui la passion de braver l'interdit, puis la force de renverser à jamais le tabou majeur de son univers. Au prix de la révolution.

     Le Temps des changements est l'une des oeuvres majeures d'un des plus grands écrivains de science-fiction, Robert Silverberg.
     Un incontestable classique.
Critiques
     Kinal Darrival est le fils du Septarque de la Province de Salla. Ce royaume est situé sur l'un des deux continents de l'hémisphère Nord de la planète Borthan, elle-même colonisée par les Terriens. Une « Convention » très rigide régit les rapports sociaux des habitants de Salla. L'expression de soi y est rigoureusement interdite. Les discussions d'ordre privé sont réservées aux frères et soeurs de lien, et les confidences aux Purgateurs, c'est-à-dire aux prêtres. Le langage privilégie les formes impersonnelles : le « on » y remplace le « je ». A la mort du Septarque, Stirron, frère aîné de Kinal Darrival, prend le pouvoir, et Kinal, comme tous les cadets, doit se trouver un emploi et quitte la capitale, Glin. C'est le début d'une longue errance qui le conduit finalement au port de Manneran ou la rencontre avec un Terrien du nom de Schweiz décide de sa destinée.

     Le Temps des changements, publié pour la première fois en 1971, appartient à ce qu'il est convenu d'appeler la période faste de Robert Silverberg. Ce roman se présente comme une autobiographie, l'itinéraire d'un homme qui endosse progressivement les habits de Prophète pour briser l'ordre social de son monde natal. Nous voici dans les terres (ou plutôt les sables) de Dune paru quelques années auparavant (en 1965) et ce n'est pas une mince gageure de la part de Robert Silverberg que de s'y être engagé.

     Il s'y emploie via une thématique qui lui est propre, celle de la rupture ou de la métamorphose.

     Comment Kinal Darrival opère-t-il cette rupture ?

     Par le langage et la drogue.

     La transformation sociale par le langage a été abordée par Jack Vance dans Les Langages de Pao et George Orwell dans 1984. Ces ouvrages, comme celui de Robert Silverberg, contiennent l'idée que les langues et les sociétés fonctionnent sur le mode de la reproduction et que le Pouvoir appartient au locuteur. Kinal rédige donc une profession de foi en abandonnant les formes grammaticales impersonnelles en vigueur à Salla. Il devient de fait un proscrit et les premières pages du Temps des changements résonnent familièrement aux lecteurs des Rêveries du promeneur solitaire et des Confessions de Rousseau : « Je m'appelle Kinal Darrival et je vais tout vous dire à mon sujet » ou « Sur cette planète qui est la mienne, je suis seul désormais. En un sens j'ai inventé un nouveau mode de vie : je peux sûrement inventer aussi un nouveau genre littéraire. » Comment ne pas deviner aussi, par une mise en abyme, l'espoir secret de tout écrivain d'opérer un changement dans l'esprit de son lecteur, bref un fantasme d'emprise ? Le second levier de la rupture, c'est la drogue.

     Tout Prophète est un prosélyte. Kinal conquiert de nouveaux disciples en leur faisant absorber une drogue provenant de l'autre continent de l'hémisphère nord, Sumara Borthan. Celle-ci permet d'accéder à son Moi profond, à celui des participants, bref à la Connaissance.

     Là encore, la drogue de Sumara évoque l'Epice. Le projet de communion spirituelle du monde de Borthan dont rêve Kinal n'est pas loin de la civilisation camée de Dune.

     Enfin, le prophétisme nous renvoie au thème de la rédemption souligné dans le hors texte de l'édition de poche, thème qu'on retrouvera aussi dans Shadrak dans la fournaise ou Le Fils de l'homme.

     Au final, Le Temps des changements souffre de la comparaison d'avec l'ouvrage majeur de Frank Herbert, mais l'enjeu était sans doute différent. Silverberg a fabriqué une œuvre intimiste. A la lecture du roman, des images de Un condamné à mort s'est échappé, film de Robert Bresson dans lequel une évasion carcérale est identifiée à une libération intérieure, se sont imposées à moi. On pourrait évoquer aussi Bernanos...

     Reste une écriture inimitable, comme une pâte à la fois fluide et brûlante qui atteint le cœur du lecteur.

Jean-Louis PEYRE
Première parution : 1/1/2008 dans Bifrost 49
Mise en ligne le : 26/5/2010


     Sur la planète Borthan, peuplée depuis bien des siècles par des colons humains, l'obscénité est définie comme l'expression du moi : le pronom personnel « je » est exclu de la conversation polie, réservé à l'interpellation des prostituées ou aux insultes. Ici, on ne se raconte pas aux autres, à quelques exceptions près : les confesseurs, et les frères et sœurs par le lien (chaque individu en a deux, choisis dès la naissance). Fils cadet de monarque, Kinnal Darival va d'abord être contraint à l'exil par les inévitables rivalités dynastiques, puis s'engager dans un chemin de plus en plus divergent par rapport à la norme, consommant et distribuant une drogue qui permet une forme de télépathie, scandaleuse pour la bonne société borthanienne.
     On ne sera pas étonné d'apprendre que les velléités messianiques de Kinnal Darival le mèneront au désastre, bien que l'existence même du livre que nous tenons entre les mains soit censée indiquer que ses idées ont prospéré. Borthan n'étant ni extraordinaire par sa géographie, ni futuriste dans son niveau de développement, le livre ne se rattache à la SF que par la curieuse société qu'il présente. De plus, il s'interdit les chamboulements historiques que la science-fiction aime mettre en scène ; Silverberg s'intéresse plus aux problèmes de la communication entre les personnes — Kinnal, avec son désir désespéré d'ouverture à ses frères humains, est comme une image inversée du télépathe vieillissant de L'Oreille interne, roman publié un an plus tard.
     Au-delà d'une idéologie qui a un peu vieilli et que l'on pourrait qualifier de « californienne » (rôle de la drogue dans l'ouverture aux autres, idée que « l'amour des autres commence par l'amour de soi »), ce livre à l'écriture limpide et au déroulement inexorable se lit avec un immense plaisir, sans jamais laisser l'impression du moindre creux. Un témoignage de l'époque faste de Robert Silverberg.

Pascal J. THOMAS (lui écrire)
Première parution : 1/4/2003 dans Galaxies 28
Mise en ligne le : 1/9/2005


     Sur la lointaine planète Borthan, colonisée depuis des générations par la Terre, la population vit selon un système social complexe qui interdit formellement toute manifestation d'individualisme. La première personne du singulier, jugée indécente, y est formellement proscrite dans toute expression écrite ou orale. Pourtant, Kinnal Darival, un notable de cet enfer du « je », nous livre un témoignage autobiographique où chaque page déborde de la présence incongrue du pronom personnel honni.
     Que s'est-il passé pour que ce texte immoral parvienne jusqu'à nous ? Premier témoin ou initiateur du Temps des changements, Darival n'en est pas moins l'un des acteurs essentiels d'une révolution qui va souffler dans bien des esprits, sur la singulière planète Borthan.
     Ce qui est pratique, quand on lit un texte de Silverberg, c'est qu'on peut presque dire à coup sûr si l'auteur a décidé de la jouer sérieuse ou pas. C'est-à-dire s'il a simplement choisi de divertir son lecteur, ou s'il a l'ambition de le faire réfléchir avec des textes plus graves et plus personnels. Inutile de dire que dans un cas comme dans l'autre, Silverberg sait parfaitement s'y prendre. Le Temps des changements appartient résolument à la deuxième catégorie de textes. Silverberg y décrit un modèle social altruiste en apparence, mais violemment inhumain dans les faits, car il repose sur la négation de l'individu et de ses sentiments profonds. Réflexion sur la société et ses normes, réflexion sur la place de l'individu en son sein animée d'une tragique histoire d'amour contrarié et pimentée d'un brin de psychédélisme, ce roman est pour le moins un fidèle reflet de son époque, l'immédiat après-sixties encore ébranlé par les secousses de 1968. Un moment majeur dans la carrière de Silverberg en tout cas, puisqu'il reçoit — une première pour l'un de ses romans — le prix Nebula 1971.
     Mais il faudrait certainement recourir à la critique psychanalytique pour mettre au jour les différents niveaux de lecture, ou plutôt d'écriture, de ce roman. Comme dans L'Oreille interne, on devine que l'auteur a mis beaucoup de lui-même dans son protagoniste, avec lequel il entretient d'ailleurs une certaine ressemblance physique. De là à supputer que l'auteur Silverberg partage aussi les frustrations sexuelles que son personnage Kinnal Darival, il n'y a qu'un pas...
     Il est également intéressant de noter que la traduction du Temps des changements fut assurée par Alain Dorémieux, dont le mimétisme textuel, voire l'appropriation introspective de certaines de ses traductions (voir ses commentaires concernant son adaptation d'Ubik de Philip K. Dick) n'a jamais été un mystère. Peut-être a-t-il ici fait corps avec les névroses du narrateur pour retranscrire un texte sublime, ou tout du moins sublimé ?
     Une fois de plus, c'est au Livre de Poche SF que l'on doit la réédition de ce texte épuisé de longue date, l'un des classiques de l'auteur, pour ne pas dire l'un des classiques de la science-fiction. Puisque les œuvres de Robert Silverberg sont omniprésentes depuis quelques mois sur les étalages des libraires, pourquoi ne pas en profiter pour l'aborder par cet opus incontournable ?

Julien RAYMOND (lui écrire)
Première parution : 4/1/2003 nooSFere

Prix obtenus
Nebula, Roman, 1971


Cité dans les Conseils de lecture / Bibliothèque idéale des oeuvres suivantes
Association Infini : Infini (2 - liste secondaire) (liste parue en 1998)

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