Si vous avez eu la bonne idée de préparer la lecture du Bateau fabuleux, deuxième épisode du cycle du Fleuve de l'éternité de Philip José Farmer, par celle du premier (Le Monde du fleuve), vous avez de grandes chances d'ouvrir ce livre avec un a priori très positif (ce qui est, diront les esprits chagrins, le meilleur moyen de le refermer avec en bouche le goût amer de la déception). Sinon, tentons de brosser ici les grandes lignes du tableau.
Le décor : un monde inconnu traversé par un fleuve majestueux, long de plusieurs millions de kilomètres. Les personnages : rien de moins que l'humanité dans son intégralité, des premiers hominidés jusqu'aux hommes du XXème siècle (et au-delà), qui se réveille un beau jour, au même instant, dans cette contrée étrange où la mort est abolie. Nous avons suivi dans le premier épisode le périple de Sir Francis Burton, le célèbre explorateur victorien, qui se lançait avec un équipage hétéroclite à la recherche des sources du fleuve, où il espérait découvrir le pourquoi du comment de cette mystérieuse résurrection collective.
Farmer nous lance cette fois-ci sur les traces d'un certain Sam Clemens, qui eut son heure de gloire terrestre sous le pseudonyme de Mark Twain. Persuadé, lui aussi, que la clé du mystère se trouve aux sources du Fleuve, Clemens n'a de cesse de partir à leur recherche. Mais comment parcourir d'aussi titanesques distances ? La chute d'un météorite ferreux fait alors naître un projet insensé dans son esprit : construire un gigantesque bateau à aubes pour aller à la découverte du monde... De ce jour, c'est une nouvelle quête qui s'amorce sur ce rivage merveilleux, sous l'égide de Samuel Langhorne Clemens. Il sera épaulé par de nombreux personnages, dont certains très illustres comme Jean-Sans-Terre, Cyrano de Bergerac, Mozart ou Ulysse (excusez du peu !), sous l'œil extérieur des Ethiques, étrange et puissante civilisation qui semble être à l'origine de la résurrection de l'humanité, et dont l'un des membres pourrait bien mener double jeu en faveur de Clemens.
Tous les ingrédients qui faisaient du Monde du fleuve un régal pour l'imagination sont au rendez-vous de ce deuxième tome. Notons que Robert Laffont avait initialement publié en un seul volume les deux premiers épisodes de la saga, écrits la même année, et très proches par le fond autant que par la forme.
Nous sommes donc en terrain connu, et c'est avec plaisir que le lecteur retrouvera ce qui l'avait précédemment enchanté : la richesse de l'univers, la qualité de la narration et la dimension symbolique de la quête du protagoniste, qui projette les frustrations de toute une vie sur ce fleuve infini où il poursuit un rêve chimérique. Le Fleuve de l'éternité, c'était pour Burton le Nil dont il ne découvrit jamais les sources ; c'est pour Clemens le Mississipi de sa jeunesse (il y commanda réellement un bateau à aubes) et l'élément naturel de l'un de ses héros les plus célèbres, Huckleberry Finn, symbole de sa gloire littéraire.
Bien sûr, il est très surprenant, et parfois agaçant, de rencontrer un personnage historique ou une célébrité au détour de chaque chapitre, dans ce monde où quelques dizaines de milliards d'individus s'efforcent de cohabiter tant bien que mal... Une petite facilité à laquelle l'auteur cède peut-être un peu trop souvent, mais qui n'enlève rien au plaisir du lecteur.
Un épilogue alléchant, et la promesse que les deux quêtes parallèles vont tôt ou tard se télescoper, sont parmi les nombreux éléments font refermer ce deuxième tome avec l'impatience de s'attaquer au troisième. Pourvu que ça dure !
Julien RAYMOND (lui écrire)
Première parution : 1/12/2001 nooSFere