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Les Croisés du cosmos

Poul ANDERSON

Titre original : The High Crusade, 1960
Première parution : Astounding/Analog Science Fact & Fiction, juillet à septembre 1960. En volume : New York, U.S.A. : Doubleday, 1960   ISFDB
Traduction de Claude SAUNIER

DENOËL (Paris, France), coll. Présence du futur précédent dans la collection n° 57 suivant dans la collection
Dépôt légal : 2ème trimestre 1975
Roman, 224 pages, catégorie / prix : 6,15 FF
ISBN : néant
Format : 11,0 x 18,0 cm
Genre : Science-Fiction


Quatrième de couverture
     * Que font dans cette lointaine galaxie, ces guerriers anglais... de l'an 1345 ? Armés jusqu'aux dents et bardés de fer, ils se battent contre les petits hommes bleus qui ont de longues oreilles, une courte queue... et des armes nucléaires.

     * Mais qu'importe aux « Croisés du Cosmos » ! Tirant à l'arc et à l'arbalète, ils se lancent sur l'ennemi, cherchant à conquérir l'Espace et à y répandre... le système féodal !
Critiques des autres éditions ou de la série
Edition GALLIMARD, Folio SF (2004)

     Comme l'époque est à la fantasy (o tempora ! o mores !), nul ne s'étonne plus de voir chevaux, épées, quête du Graal et autres médiévisteries se balader dans les étoiles. Mais là, c'est pour la bonne cause. C'est rationnel. Si. Un vaisseau extra-terrestre est arrivé dans l'Angleterre du XIVe siècle, et comme les autochtones de la merry old England ne se rendent pas compte un seul instant de l'écrasante supériorité technologique des petits hommes bleus, ils les massacrent presque tous, embarquent à leur place, croient partir délivrer Jérusalem et se retrouvent occupés à conquérir une bonne portion de la galaxie. Sans rien y comprendre, et le narrateur pas plus que les autres. Ils ne savent pas que c'est impossible, donc ils le font. Autant dire que cela peut se lire comme un bon roman d'aventure ou, et jusque dans un retournement géopolitique final, comme une immense farce jubilatoire, alors que l'humour n'est pas si fréquent en SF et y mérite encore plus qu'ailleurs d'être considéré à sa juste valeur. Tant pis pour qui croirait détecter une exaltation du triste « bon sens », voire un éloge des traîneurs de sabre et manieurs de rapières — ce serait tout simplement oublier que la charge n'épargne à peu près personne, surtout pas les soudards et/ou ecclésiastiques ne comprenant rien à rien. C'est d'ailleurs ce qui la rend si réjouissante : un moment de bonheur !

Éric VIAL (lui écrire)
Première parution : 1/6/2004
dans Galaxies 33
Mise en ligne le : 22/12/2008


Edition GALLIMARD, Folio SF (2014)

            Lorsque Les Croisés du cosmos paraît en 1960, Poul Anderson, à trente-quatre ans, est déjà un auteur installé, ou en tout cas en passe de l’être. Il n’a pas encore remporté le premier des sept prix Hugo qui émailleront sa carrière (il lui faudra attendre l’année suivante, avec « Long cours »), mais il n’en publie pas moins depuis plus de quinze ans quantité de nouvelles, et aussi quelques romans appelés à faire date (dont, surtout, L’Épée brisée). Il ne le sait sans doute pas encore, mais 1960 sera une année importante dans son parcours : l’année où seront réunis en volume les premiers de ses textes formant « La Patrouille du temps »…

            Nous sommes en 1345. Autant dire aux prémices de la guerre de Cent Ans. Roger de Tourneville, noble anglais dont la bravoure le dispute à son sens de l’honneur et à sa rustrerie, réunit son armée pour aller prêter main-forte au roi Édouard III en terre de France. C’est alors que se produit le plus curieux des phénomènes : une immense arche céleste déchire les nues et vient se poser en plein milieu des préparatifs guerriers. Abasourdis, terrifiés, les Anglais se rassemblent face à la nef infernale. D’où sort bientôt une créature bleutée qui arrose sans tarder les soldats de Sa Majesté d’un rayon mortel. L’armée réplique à l’arc presque par réflexe, tue la créature et bientôt le reste de ses semblables terrés dans les flancs du monstre d’acier, à une exception près. Roger de Tourneville, qui comprend vite le parti qu’il peut tirer d’une telle nef, s’en empare et y embarque soldats, femmes, enfants, paysans et troupeaux, bref, la totalité ou presque de sa baronnie : les Français n’ont qu’à bien se tenir. Mais voilà que suite à une vile traîtrise de la créature d’outre-espace, la nef volante se retrouve bientôt perdue dans les confins de l’univers, avec pour ennemi rien moins qu’un empire interstellaire. Mais à cœur vaillant rien d’impossible, surtout lorsqu’il s’agit d’un cœur anglais !

            Si, sur le papier, Les Croisés du cosmos réunit les deux passions de Poul Anderson, l’histoire et la prospective, nous sommes avant tout en présence d’un réjouissant morceau de bravoure humoristique, une farce née du triple décalage culturel induit par le postulat du récit : celui du narrateur, frère Parvus, qui, en bon prêtre du XIVe siècle, analyse l’ensemble des événements à l’aune de sa foi inébranlable ; celui des Wersgor, les extraterrestres bleus, belliqueux et très cons ; et celui du lecteur, bien évidemment. Les charges sont multiples (tout y passe ou presque : la religion, bien sûr, la fatuité hors d’âge des peuples incapables de toute remise en question, Anglais en tête, le colonialisme, le nationalisme, etc.) et le rythme des plus enlevé. Naturellement, l’effort de « suspension d’incrédulité » est intense (on lit le récit de frère Parvus comme on lirait les Divertissements pour un empereur de Gervais de Tilbury), ce qui freine sans doute l’implication du lecteur. Mais le plaisir manifeste pris par Poul Anderson dans la rédaction de cette chanson de geste au cœur de l’espace, presque un roman courtois par certains aspects, s’avère vite communicatif.

            Un livre mineur, certes, mais qui n’en conserve pas moins une saveur pétillante et procure un réel plaisir de lecture.

ORG
Première parution : 1/7/2014
Bifrost 75
Mise en ligne le : 5/4/2020


Edition DENOËL, Présence du futur (1962)

    Claude Lévi-Strauss, dans sa « Pensée sauvage », soutient brillamment que les primitifs ne nous sont inférieurs que par la technique, et qu’ils nous valent bien sur le plan intellectuel, en dépit d’apparences qui ne trompent que des interprètes un peu pressés. Une belle idée qui ne pouvait que séduire Poul Anderson, l’auteur le plus gothique de la génération SF de 1950 : dans « Les arriérés » (« Fiction » N° 58), il évoquait des Grands Galactiques dont toute la supériorité matérielle tenait à l’ancienneté de leur culture, et que les Terriens moins évolués mais mieux doués roulaient comme en se jouant. Toute question de Q.I. mise à part, les civilisés, aux yeux du même auteur, ont devant les barbares le handicap moral d’une sécurité prolongée, fort propre à diminuer leur esprit d’initiative : le héros du « Voyage prématuré » (N° 39) ne survit pas longtemps à son isolement au sein d’une société archaïque ; en revanche « Un travail de Romain ! » (N° 58) montre que nos ancêtres, projetés dans le monde moderne, s’y adaptent sans difficultés, tant ce monde est doux et bonasse au regard du leur.

    Bornons là nos références : elles montrent assez que le thème est un des favoris d’Anderson. L’illustration qu’il en donne aujourd’hui n’en fera pas moins sensation, tant la donnée est extravagante, et tant l’auteur relève superbement le gant qu’il s’est à lui-même lancé, « Les croisés du cosmos » est un livre-défi comme la science-fiction tout entière n’en a guère produit à ce jour, et ses gags seraient parmi les plus hénaurmes, si le sérieux imperturbable de l’auteur ne finissait par les hausser au rang des plus vertigineux. Un seigneur anglais du XIVe siècle vient de réunir le ban et l’arrière-ban de ses vassaux pour rejoindre en France le roi Edouard III, qui n’a pas encore gagné la bataille de Crécy. Arrive un navire de l’espace. L’ost lui donne l’assaut et s’en empare, comptant bien l’utiliser dans la guerre contre le roi de France. Malheureusement l’extraterrestre prisonnier qui les pilote emmène le navire, sans crier gare, jusqu’à son lieu d’origine. La petite armée féodale, coupée de son univers et plongée dans l’inconnu, entreprend alors la « Haute Croisade » (selon le titre original, bien plus joli que la traduction française) et finit par fonder un empire galactique, au moment même où Edouard III gagne sans elle la bataille de Crécy.

    Si jamais roman mérita le nom de space-opera, c’est bien « Les croisés du cosmos » : pour ce livre, c’est plus qu’une définition ; c’est une revendication, un titre de gloire, une fin esthétique. En un sens la formule (épées contre armes atomiques) n’est pas nouvelle, et bien des auteurs, depuis van Vogt et son « Empire of the atom » sont efforcés d’imaginer des situations qui permettent de recréer, sans trop faire de concessions, les prestiges de l’ancienne épopée ; car ce n’est pas un mince plaisir de pouvoir dire, dans un roman de science-fiction : « Il sortit, son manteau tourbillonnant derrière lui comme de grandes ailes » (p. 39).

    Ce qui fait l’originalité de Poul Anderson, c’est que jamais il n’oublie l’énormité de l’anachronisme. Donnant libre cours à une imagination réellement digne d’être qualifiée d’enfantine (« PanNos catapultes – et Boum ! Nos batistes ! » écrit-il allègrement p. 121), il n’oublie jamais qu’il s’agit d’un malentendu. De là un sens des situations ahurissantes qui ne se dénie jamais ; l’astronef transformé en camp du drap d’or, la dame qui tape de son petit pied sur le pont d’acier, les chars d’assaut recouverts d’écus et de fanions, le chevalier à genoux, son casque vitré de cosmonaute sous le bras, plongeront les amateurs de « Flash Gordon » dans une délectation d’autant plus vive qu’un peu d’ironie perce à travers ces visions magnifiques, un peu de mélancolie aussi ; et finalement, par-delà la mélancolie et l’ironie, c’est au vertige qu’ils viendront, au vertige devant l’abîme qui sépare la condition d’enfant de la condition d’homme.

    Car les héros de Poul Anderson sont des enfants projetés dans un univers de vieillards. Ils ne comprennent jamais totalement ce qui leur arrive, et l’auteur obtient un très beau renouvellement du thème des « visions étranges d’outre-espace » en faisant décrire ces visions par des yeux du XIVe siècle. Le plus touchant symbole est peut-être ce troupeau de cochons, de vaches et de chèvres que nos héros entraînent jusqu’au bout de leur aventure, cherchant pour lui des pâturages au moment même où ils négocient d’égal à égal avec de puissantes confédérations galactiques. Ce qui fait la beauté de cette situation, c’est que l’auteur, loin de faire le coup du mépris à ses barbares, les entoure de tout son respect et de toute sa tendresse. Il ne cesse jamais de sourire dans cette guerre des épées contre les fusées, quand par exemple il fait dire à l’historiographe des croisés : « Mais le combat n’était pas égal pourtant, car ils n’avaient point d’armures » (p. 123) ; mais il dépasse toujours la plaisanterie, par un mouvement auquel il nous a habitués de longue date, pour nous montrer comment et pourquoi le paradoxe peut devenir réalité. La conclusion, la voici : « Nous ne sommes point des sauvages simplement parce que nous utilisons des armes différentes » (p. 145). Voilà une pensée digne de Lévi-Strauss, et qui, je pense, lui plairait s’il venait à lire ce livre. 

    L’arrogance des civilisés se voit donc mise à dure épreuve, et bien des prétentions intellectuelles font l’objet d’une satire à peine déguisée, à commencer par celles de la science-fiction. Les hommes des étoiles ne comprennent rien aux croisés, parce qu’ils cherchent trop loin : ils prennent la prière pour une dangereuse méthode d’intégration psychologique, le système féodal pour une organisation d’eugénisme, les rosaires pour des machines, Dieu lui-même pour un ordinateur électronique. Le thème des grands galactiques fait partie de leur « folklore », nous dit Anderson, et ne contribue pas peu à répandre la terreur devant les croisés ; ceux-ci au contraire n’ont jamais lu de science-fiction, et leur naïveté les préserve de surestimer la puissance de l’adversaire. Il n’est pas jusqu’au frère Parvus qui ne se justifie en citant Aristote, malice visiblement adressée à van Vogt : car le non-A, ici, est en pleine déroute, et les plus éclatants triomphes sont réservés à ceux qui ont le moins de connaissances et de discipline mentale. 

    La pensée d’Anderson est une philosophie de l’action, très anglo-saxonne d’esprit et d’allure. La réalité, c’est l’avenir : « Cela peut fort bien devenir vrai ; ce n’est donc pas un mensonge » (p. 162). La vérité, c’est d’aller de l’avant, et de créer ce qu’on peut contester – ou de détruire ceux qui contestent, opération qui détruit en même temps leur pensée : « Sir Roger se pencha vers ce capitaine et je l’entendis lui souffler : « Et la preuve que mon argument est irréfutable, c’est que je découperai en morceaux celui qui en discutera plus avant ! » 

    » En fait, je trouvai qu’à sa façon grossière, mon maître avait saisi la vérité. À mes moments perdusje remettrai sa logique dans la bonne forme syllogistique, bien sûr ; mais en attendant, j’étais grandement réconforté et les autres au moins n’étaient plus démoralisés » (p. 82). 

    Dans ces conditions, les plus insignifiants des hommes, aussi pusillanimes soient-ils, sont sauvés dès lors qu’ils agissent : « Le garçon le suivit ; ses dents s’entrechoquaient, mais il n’avait pas abandonné néanmoins le bouclier des Tourneville dont il avait la charge » (p. 57). Le tout est d’être un homme libre – libre surtout de ses propres peurs.

    Dès le début, à l’arrivée du navire galactique en Angleterre, on voit bien que les choses sont dépassées – mais non les hommes : « La chose dominait la ville comme une falaise d’acier forgée par un sorcier pour de hideux desseins. (…) Le château même, naguère si arrogant, paraissait diminué, grisâtre. 

    » Mais nos gens simples, rouges, riants, suants montaient en foule les rampes que nous avions abaissées en différents niveaux du navire et pénétraient dans le grand pilier étincelant » (p. 31). 

    La morale de l’histoire, c’est que rien n’est impossible à qui sait oser. C’est en cela que réside la justification du scénario : car il fallait imaginer une situation que ses victimes, normalement, ne devraient pas pouvoir contrôler ; seulement ces victimes n’ont rien de normal : ce sont, comme Anderson le remarque avec humour, des Anglais (du XIVe siècle, bien entendu !).

    Le personnage principal de cette histoire, Sir Roger de Tourneville, est le plus andersonien des héros et une des plus belles créations de la science-fiction tout court. Imperturbable, obstiné, rusé, sans scrupules, il fait songer par moments, par ses idées fixes d’homme de guerre, à un personnage de haute comédie : « Rien que d’immenses fenêtres ouvertes, comme un assaut serait aisé, murmura-t-ilQuelle occasion ! Comme j’aimerais attaquer cet endroit ! » (p. 160). Ne cessant d’affronter des situations inextricables, il est souvent désemparé mais n’en laisse rien voir : « Il avait l’air très reposé lui aussi. Il y avait en lui une étincelle diabolique. Seuls ceux qui le connaissaient bien eussent pu deviner quel vide l’habitait » (p. 152). Ce désarroi, ce vide, c’est le lot de l’homme d’action : « Je savais qu’il improvisait au fur et à mesure des besoins. Il était comme un coureur qui trébuche et doit courir d’autant plus vite pour ne point tomber. 

    « Mais au moins courait-il glorieusement ! » (p. 104).

    Cette gloire ne va point sans pathétique, et c’est sur ce mot, un peu inattendu peut-être à propos d’une œuvre aussi souriante, que nous voudrions finir. Anderson joue avec son malaise. Ce hiatus profond qu’il ouvre dans le monde, il n’a d’autre hantise que de le combler. La gageure de son scénario, il la tient jusqu’au bout, pour l’insolence et la gloire, comme son héros. Mais il redevient humain, tout à coup, pour parler de l’amour craintif que son héros entretient à l’égard de Dame Catherine : cette intrigue amoureuse un peu conventionnelle n’a rien de secondaire et de rajouté ; son auteur y croit, et la sauve par sa conviction. En quoi il se révèle, une fois encore, le plus américain des écrivains de science-fiction.

Jacques GOIMARD
Première parution : 1/11/1962
Fiction 108
Mise en ligne le : 26/12/2024

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Contacts

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Annick Béguin : Les 100 principaux titres de la science-fiction (liste parue en 1981)
Francis Valéry : Passeport pour les étoiles (liste parue en 2000)

Adaptations (cinéma, télévision, BD, théâtre, radio, jeu vidéo...)
Les Croisés de l'espace , 1994, Klaus Knoesel & Holger Neuhausen

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