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Le Prisonnier

Thomas Michael DISCH

Titre original : The Prisoner, 1969
Première parution : New-York, USA : Ace Books, 1969   ISFDB
Traduction de Jacqueline HUET
Illustration de Wojtek SIUDMAK

POCKET (Paris, France), coll. Science-Fiction / Fantasy précédent dans la collection n° 5052 suivant dans la collection
Dépôt légal : septembre 1992
Réédition
Roman, 256 pages, catégorie / prix : 4
ISBN : 2-266-05408-2
Genre : Science-Fiction


Quatrième de couverture
     — Où suis-je ? — Au village.
     — Qu'est-ce que vous voulez ? — Des renseignements.
     — Dans quel camp êtes-vous ?
     —Vous le saurez en temps utile. Nous voulons des renseignements, des renseignements, des renseignements...
     —Vous n'en aurez pas.
     — De gré ou de force, vous parlerez. — Qui êtes-vous ?
     — Le Numéro Deux.
     — Qui est le Numéro Un ?
     —Vous êtes le Numéro Six.
     — Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre ! Fou-rire général. Le Numéro Six — le prisonnier — commence à avoir très envie de s'évader. Mais les Maîtres du Village, peut-être ont-ils conquis l'univers ?
Pour plusieurs générations de spectateurs, une oeuvre visionnaire et une série culte, régulièrement diffusée à l'antenne dans le monde entier.
Patrick McGoohan, réalisateur et interprète, a accompli là une sacrée performance. Et le grand Tom Disch, pour écrire le roman, ne s'est pas mal débrouillé non plus. Toute l'horreur, toute la saveur du siècle prochain.
Critiques des autres éditions ou de la série
Edition MNÉMOS, (2017)

    S’il devait n’exister qu’une seule série télé culte, ce pourrait bien être Le Prisonnier ! Qui, parmi ceux qui pouvaient regarder la télé à la fin des années 60, ne se souvient de ce générique qui pose toutes les prémices des divers épisodes ? Paranoïaque à souhait, la série brasse l’ensemble des thèmes engendrés par une Guerre froide qui battait alors son plein. Il va sans dire que Le Prisonnier fut une série d’une grande finesse conceptuelle et plutôt subtile.

    Quant à Thomas M. Disch, qui nous a tragiquement quittés en 2008, il faisait un constat des plus amer sur le progrès. « Le progrès, disait-il, n’est que ce qui consiste à faire du monde un meilleur piège à rat. » Ce ne sont pas les essais abondant en ce sens qui font défaut. Quand l’individu (c’est devenu un gros mot) devient la proie des techniciens du rêve, existe-t-il encore une réalité ? nous demande la quatrième de couv (édition Presse de la Renaissance, 1977). Partant de là, qui mieux que Thomas Disch, post-dickien fameux s’il en est, qui s’était déjà adonné l’année précédente (1968) à un exercice comparable avec Camp de concentration, pouvait noveliser la série ? Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une novélisation stricto sensu, mais d’une adaptation plutôt scrupuleuse en un seul one-shot qui shunte les inévitables redondances imputables au fait qu’il s’agisse, oui, d’une série. Disch s’en tire haut la main en tenant la gageure d’être à la fois respectueux de la série ET de donner un roman tout à fait personnel.

    Le Village apparaît tel un ruban de Mœbius ramenant toujours l’évadé à son point de départ, et les nombreuses tentatives de N°6, incarné à l’écran par Patrick McGoohan, pour s’échapper du Village qui servaient de ressort dramatique aux divers épisodes passent largement par pertes et profits pour se concentrer sur le fond, l’essentiel.

    D’entrée de jeu, le roman de Disch va au-delà de la série où l’on pouvait au moins tenir pour acquis que no6 était bel et bien prisonnier ; dans le livre, même cela est sujet à caution. On ne cesse de se perdre dans un univers labyrinthique où tout n’est que faux-semblants et jeux de masques et de miroirs, apparaissant aux détours des dialogues ; où les gens (Liora/Lorna) ne sont jamais ce qu’ils paraissent et partagent des souvenirs différents. N°6 n’est-il pas N°2 ? Parce que le rôle de chef du Village offre davantage d’opportunités de le voir enfin parler ? Dans le livre, les interactions entre les personnages sont davantage les clés des altérations d’identité que la technique abondamment mise à contribution dans la série. Le sort de N°6 semble de plus en plus intrinsèquement lié au Village, qui n’existerait que pour lui seul. Ce dernier serait alors, à l’instar du Truman du film Truman Show, l’objet d’une expérience, mais dont il serait à la fois acteur et spectateur, sans autre public.

    On ne retrouve guère le caractère parfois emporté, inflexible du N°6 de l’écran ; le personnage de Disch est plus souple, défiant l’organisation du Village sur le terrain de la seule intelligence plutôt que de la volonté, au vu et au su de tous, comme dans Camp de concentration ou aux échecs. Est-ce bien le même homme ? Il est vrai (vrai ?) que nous sommes au Village…

    On notera aussi que les répliques les plus spécifiques de la série sont édulcorées dans le livre, qui s’éloigne ainsi encore davantage de la pure novélisation.

    La série devait énormément à l’esthétique incomparable du Village et de ses résidents, qui lui donne un air théâtral de carnaval permanent, autant de lieux de l’irréel que l’on ne retrouve pas dans le roman. Disch n’est ni Balzac ni même Stephen King pour ce qui est des descriptions, voilà tout. Ce sera là l’unique bémol.

    À l’instar de la série, le roman est marqué par son époque. Il date, d’une certaine manière, fruit qu’il est des obsessions de la Guerre froide. Reste un inquiétant roman fort de ses thèmes, qui, pour une fois, est un joli complément à la série télé. À lire, tranquillement, au Village. Bonjour chez vous.

Jean-Pierre LION
Première parution : 1/4/2017
Bifrost 86
Mise en ligne le : 11/12/2022


Edition PRESSES DE LA RENAISSANCE, Autrepart (1978)

     D'UN PRISONNIER A L'AUTRE


     Sur fond de cité-building, un homme s'enfuit, traits tirés, yeux blancs d'épouvante ( ?), le corps pris dans une combinaison collante, crâne ras et sans armes : telle se présente la couverture du roman de Thomas M. Disch paru aux Presses de la Renaissance et dont le titre rappellera sans doute un bon souvenir aux téléspectateurs puisqu'il s'agit du Prisonnier, une série encore dans les rétines et dans les mémoires et qu'il faut sans plus tarder saluer de nouveau tant il est vrai que ce feuilleton constitue sans nul doute pour le petit écran ce que T.H.X. 1138 fut au grand.
     C'était donc un défi que de vouloir restituer en un volume la fascination et la provocation de l'image. Je ne suis pas sur que Disch y soit totalement parvenu ; je ne suis d'ailleurs pas certain du contraire car une révision des épisodes aurait été nécessaire et, avec le cinéma, rien n'est plus dangereux que le souvenir.
     Ce livre a néanmoins et surtout l'insigne avantage d'expliciter ce que nous n'avions peut-être pas pu entièrement saisir surtout si, comme ce fut mon cas, les épisodes n'avaient pu être dégustés dans l'ordre ou dans leur intégralité. Peut-être y manque-t-il, pour achever de convaincre, quelques élans bucoliques permettant de restituer son aspect au Village assez sommairement décrit. Je n'ai pas retrouvé non plus dans le numéro Six de Disch le visage de Patrick Mc Goohan, comme si le héros avait vieilli ou s'était assagi. Mais ces quelques réserves purement subjectives mises à part, le roman nous installe dans cette même science-fiction labyrinthique qui faisait le charme du feuilleton et dont le plaisir consiste a ne retrouver aucune entrée et aucune sortie. L'ombre du grand Borges s'est un instant posé dans les ruelles du Village.
     Raconter l'histoire ? Est-ce bien nécessaire. Tout le monde se souvient encore du rapt, de l'arrivée au Village, de la tentative d'évasion, de la première évasion, de la seconde évasion... Et d'ailleurs, le propos ne se limite pas aux péripéties d'un homme tentant d'échapper à une zone réservée de la campagne anglaise (pardon ! du Pays de Galles). Le Prisonnier, c'est aussi bien une nouvelle forme de Bibliothèque de Babel ou une Année Dernière à Marienbad plutôt, récupérés — une fois n'est pas coutume — par la science-fiction.
     Qui est numéro Six ? Un simple quidam ou un espion décidé à prendre sa retraite (à 35 ans) et à se retirer à la campagne ? Une fois parvenu à destination (drogué ?), il se rend compte que ce qui l'entoure ne correspond aucunement à l'idée qu'il se fait d'un village gallois et il part — il tente de partir. Peine perdue puisque des gardiens/bulles se chargent de le ramener chez lui. Interviennent tour à tour des personnages qui pourraient aussi bien être issus d'un songe ou d'une pièce de théâtre. Numéro Six étudie une évasion et semble y parvenir... mais il constate que l'emprise du Village s'étend au-delà des frontières banalisées par les gardiens/bulles. Puis arrive Liora/Lorna/Numéro Quarante et Un. Et il devient Numéro Deux. Peut-être a-t-il toujours été numéro Deux ? Peut-être a-t-il connu/n'a-t-il jamais connu Liora/Lorna ? D'ailleurs la scène introductive au Grand Hôtel n'ouvre-t-elle pas la porte à de telles supputations ?
     « Notre dernière rencontre s'est située à ... Trêves, si mes souvenirs sont exacts ?
      Les miens, selon toute apparence, ne le sont pas. C'est à vous voir que tout prend une allure de déjà-vu...« 
     Puis, plus loin :
     « Ma place est réservée pour ce soir. Navré, Liora, mais ma décision est prise.
      Ou quelqu'un l'a prise pour vous, cela ne fait pas de doute.« 
     Donc, le propos est clair. D'emblée, le lecteur ou le spectateur sait qu'il ne doit pas se fier à ses sens, à ce qu'il voit ou à ce qu'il lit. Partout, il y a des pièges, des contre-sens, des double-sens. Numéro Six est prisonnier ? Peut-être ! Peut-être pas ! Il a pu choisir son destin et l'avoir oublié, comme le héros de La Cage de l'Ecureuil (Après Denain la Terre, Casterman éd.). A moins qu'il ne soit victime d'une boucle du temps qui propose, après chaque évasion, un retour dans un présent chaque fois différent, un peu plus ou moins étrange et étouffant. Décidément, l'empreinte de Resnais et de Robbe-Grillet pèse de tout son poids sur ce découpage qui pourrait ne jamais finir. Liora n'est jamais Liora sans lui être totalement étrangère. Selon que sa personnalité à lui change au fil des passages au Village. Personnalité qui se modifie  : pourquoi ? Qui est modelée  : par qui ? La référence à L'Univers en Folie de Brown se dilue au profit de procédés de conditionnements ou de re-créations mentales. Quoi qu'il en soit. Numéro Six (ou Deux) est un sujet d'expériences et celles-ci semblent conduire à sa dépendance de plus en plus étroite à un destin qui se confond avec celui du Village, voire de toute la société « contemporaine ».
     J'ai mis ce dernier mot entre guillemets parce qu'il demeure un point d'achoppement. Tandis que Marienbad, par exemple, était intemporel, sans liens particuliers avec telle ou telle époque, telle ou telle idéologie, il semble que Le Prisonnier hésite continuellement entre la fable et un pseudo réalisme et conduise, par conséquent, à une insatisfaction. Sa neutralité, si je puis dire, devient trop apparente dans le livre. Et comme l'Utopie, si l'on évoquait cette alternative, est par trop sommaire, on se prend à s'interroger sur l'aboutissement de ce jeu.
     Car Le Prisonnier est un jeu, un jeu que l'on pourrait poursuivre longtemps en combinant mille possibilités, en imaginant d'autres aspects du Numéro Six/Deux, où le Numéro Un robotisé serait l'organisateur d'un Westworld devenu comme ces labyrinthes de glaces des Edenlands des grandes villes...
     Alors ? Livre gigogne ! Livre tiroir ! Livre référence ! Le jeu consiste encore à rechercher mille comparaisons, mille paternités, mille filiations. On navigue sans cesse dans le, croit-on, connu et l'imprévisible. Et c'est en cela que réside l'étrangeté et l'originalité du propos. Le Prisonnier, série télévisée, rassemble les mille et uns détours de la science-fiction moderne. On peut penser à Dick, à Sheckley, à Jeury : aucun d'entre eux ne serait l'indigne auteur d'un scénario qui paraît être sorti tout droit de leurs obsessions. Voilà aussi pourquoi le feuilleton a reçu l'adhésion de la plupart des lecteurs de cette revue : les territoires explorés étalent de ceux que l'on fréquente dans ses pages et le ton, pour une fois, n'avait rien de celui que l'on prend pour parler à un adolescent ou à un non-spécialiste. Exactement comme le T.H.X. que j'ai cité en début d'article.
     Et rien que pour retrouver tout cela, pour se perdre à nouveau avec les bulles gardiennes, sous le cauchemar des machines à refabriquer des Identités, il faut lire Le Prisonnier : un livre étouffant, apparemment loufoque et, de toute façon, inquiétant.

Jean-Pierre FONTANA (site web)
Première parution : 1/2/1978
dans Fiction 287
Mise en ligne le : 15/12/2001

Cité dans les Conseils de lecture / Bibliothèque idéale des oeuvres suivantes
Jacques Goimard & Claude Aziza : Encyclopédie de poche de la SF (liste parue en 1986)

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