Comme cet autre roman de femme également publié par Ailleurs et Demain (
Les dépossédés,
d'Ursula K. Le Guin),
The female man (dont la traduction en français inverse la signification de manière fâcheusement phallocratique !) évoque le voyage d'un Utopien en anti-utopie. Ici, l'Utopien est une Utopienne, qui vient de Lointemps
1, une projection future et parallèle de la Terre où les hommes ont disparu depuis 1000 ans — donc l'agressivité, la guerre, les hiérarchies dans le travail, les drames sexuels... Quant à l'anti-utopie, c'est l'Amérique d'aujourd'hui. Mais, contrairement à Le Guin, Russ n'a pas écrit un récit classique : plutôt une ébauche de roman (l'écrit (se) réfléchissant sans cesse sur lui-même et l'auteur intervenant dans son texte, un peu à la manière de Malzberg), ou alors un essai sur le — ou un possible — féminisme déguisé en roman de s-f. Il n'est pas très sûr que cette méthode stylistique hachurée (l'auteur écrit se gardant par avance des critiques : «
Ce livre sans consistance... pas de personnages solides, pas d'intrigue... complètement hermétique... les clichés usés des anti-romanciers... ») ait été un parti-pris vraiment maîtrisé, car l'ouvrage n'échappe pas toujours au bavardage et aux redites. Quant à la visée idéologique (faire réfléchir sur le féminisme le public mâle des livres de s-f), il n'est pas sûr non plus qu'elle atteigne bien sa cible : le roman risque de n'atteindre que les convaincus (A s'empresse de dire qu'il en est, encore qu'il eût dû ici céder la plume à UNE critique !), et de rebuter les machistes qui abriteront leur rejet derrière l'abus de redondances. Quoi qu'il en soit, voilà un livre passionnant et irritant, et à coup sûr important dans la s-f (hors, on pourra tout de même se reporter utilement à Millet, Gréer, d'Eaubonne, Beauvoir, etc.)