La préparation d'une anthologie n'est pas chose facile : quel que soit le domaine qu'on se propose de couvrir, l'abondance et la variété du matériel disponible rendent tout choix malaisé, tout équilibre final précaire. Dans ce copieux volume – plus de 600 pages – Pierre-André Touttain a effectué une sélection destinée aux cadets des amateurs d'insolite. Il a puisé avec bonheur à des sources fort diverses. À côté des « ancêtres » français et étrangers de la science-fiction (Cyrano de Bergerac, Voltaire, Swift), il a ménagé une place à des représentants du fantastique allemand (Arnim, Hoffmann), à Ludvig Holberg, le Plaute du Danemark, aussi bien qu'à P'ou Song-Ling, auteur chinois du XVIIe siècle, à Verne et Wells comme Poe et Lovecraft ; il a accueilli plusieurs représentants du romantisme français, dont Gérard de Nerval et Philarète Chasles ; il a inclus Oscar Wilde et James Frazer d'une part, Pierre Benoît, André Maurois et Marcel Aymé de l'autre, sans oublier pour autant les courants contemporains de la science-fiction anglo-saxonne – représentée par Isaac Asimov, Ray Bradbury, A.E. van Vogt et Poul Anderson – ni le monde irréel de Jorge-Luis Borges. Au total, cinquante-quatre écrivains sont réunis dans la table des matières, Andersen étant le seul à fournir deux récits.
À ce point de vue, le travail accompli par Pierre-André Touttain est digne de vifs éloges : les jeunes lecteurs qui sentent s'éveiller en eux le goût de l'inhabituel trouveront ici un bon aperçu des principaux aspects de cette littérature. Chacun des textes est précédé d'une courte notice, situant sommairement son auteur dans son pays et son époque.
On ne peut s'empêcher, toutefois, de regretter les importantes coupures qui ont été faites dans les récits : ce ne sont pas des histoires qui nous sont présentées ici, mais bien – dans la plupart des cas – des fragments d'histoires. Dans certaines nouvelles, la chose est compréhensible ; que la messe noire décrite par Philarète Chasles dans « L'œil sans paupière » n'ait pas été jugée ad usum Delphini, il n'y a rien là de surprenant. Mais pourquoi avoir supprimé toute la fin de l'ironique et savoureux « Passe-muraille » de Marcel Aymé ? Et n'est-il pas regrettable de ne trouver que des fragments de chefs-d'œuvre tels que « La Patrouille du Temps » de Poul Anderson et « Les montagnes hallucinées » de Lovecraft ? De toute évidence, ces récits sont passablement longs. Mais pourquoi avoir précisément choisi des textes si étendus, dont l'interruption laisse souvent le lecteur sur sa faim ?
En lisant ce livre, on a fréquemment l'impression d'être convié à un apéritif, délectable sans aucun doute, mais qu'aucun mets substantiel ne vient suivre. Peut-être était-ce le but recherché par Pierre-André Touttain ? Il est probable, en effet, que plus d'un jeune lecteur cherchera à connaître la suite des récits dont on lui présente quelques pages dans la présente Anthologie. Considérée sous cet angle, celle-ci est sans doute satisfaisante. Mais l'attrait exercé sur les jeunes lecteurs n'eût pas été moindre, si on leur avait présenté des nouvelles munies, chacune, d'un commencement, d'un milieu et d'une fin.