Joli numéro que ce onzième Fiction, belle couverture de Jérôme Souvray, belle mise en pages, et un versant graphique (trois port-folio) plus que convaincant (même si l'impression des dessins de Véronique Meignaud semble un rien pâlotte). Quant aux nouvelles, on passera en vitesse, notamment par manque de place, sur celles de Thomas Disch (affreusement mal traduite), Ruth Nestvold (sans grand intérêt), Terry Dowling (sans grand intérêt), Alex Irvine (thématique intéressante, mais traduction illisible ou presque), Gene Wolfe (anecdotique) et Timothey Rey (pas tenu plus de deux pages), pour se concentrer sur les autres.
« Saisie » de Joe Haldeman, est une histoire à chute, marrante, aussi maligne qu'idiote, comme aimait en écrire Fredric Brown (on pense aussi à Une certaine odeur/Eux qui marchent comme les hommes de Clifford D. Simak, à cause de la thématique immobilière dudit texte). Rien de remarquable sur le style (ça fait des années que Joe Haldeman ne tente plus de produire de littérature, ses derniers romans, véritables page-turners pour salles d'attente, en sont la preuve flagrante), mais l'auteur déroule très professionnellement son texte à partir d'une jolie trouvaille.
« A contre-courant » de Robert Silverberg est fascinant par son manque total d'intérêt, un vide parfait contrebalancé par une forme tout aussi parfaite. Un vendeur de voitures remonte le temps (au volant de sa voiture moderne), trouve par hasard un vieux billet qu'il peut utiliser, et voilà, c'est tout. Mais Robert Silverberg est assez fort pour nous faire lire avec plaisir, jusqu'au bout, cette histoire sans profondeur ni surprise. Une démonstration technique. C'est impressionnant, mais totalement vain (comme le film Duel, ai-je envie d'écrire).
« Proie » de Peter S. Beagle est le premier gros morceau de ce Fiction. Une nouvelle où l'on retrouve (pour ceux qui connaissent l'œuvre de Beagle) le personnage de Soukyan, jeune, poursuivi par les chasseurs qui l'ont formé. Au début, l'auteur et sa traductrice patinent un peu, mais très rapidement l'un et l'autre prennent leur envol, et on retrouve avec plaisir l'incroyable talent de Beagle pour poser un univers en quelques phrases sobres. Au-delà du décor de fantasy, agréable, le texte parle de confiance, d'amitié, de principes, et propose le portrait d'une créature à la fois touchante, effrayante et fascinante : le Goro, qui, coïncidence ( ?), m'a semblé Miyazakien, mais du bon côté, celui du père.
« Arbre sec, arbre seul » de Léo Henry, texte fou sur la folie, peut laisser dubitatif et en même temps c'est une nouvelle qui marque, d'abord par sa petite musique, ensuite par l'univers mental déglingué dans lequel on est plongé. A tout le moins, on soulignera le tour de force stylistique. Cet « Arbre sec, arbre seul » confirme ce que tous ceux qui l'ont côtoyé pensent de Léo Henry : cet homme est fou.
« Finisterra » de David Moles est l'autre gros morceau de ce Fiction. Cette histoire de monde gazeux dans lequel vivent des baleines vraiment immenses (cent kilomètres de long) que des chasseurs braconnent (puis enroulent comme de vieux tubes de dentifrice) est prenante de la première à la dernière ligne, si prenante que la fin semble expédiée et qu'on voudrait d'autres aventures dans ce monde geneforien. Si le décor est réussi, les personnages le sont tout autant, et leurs dilemmes acquièrent une force peu commune dans les dernières pages du texte (résolument adulte). Il y avait de quoi faire un roman, David Moles nous propose une novella à la fin abrupte, frustrante en toute sincérité, mais dans le bon sens de l'adjectif. Une réussite qui nous fait découvrir sans doute un des grands auteurs de demain (du même, j'ai récemment lu Seven cities of gold qui est encore plus « adulte » et encore plus fort).
« L'Emission de M. Gooper » d'Howard Waldrop est un texte « à la Andrew Weiner » sur une émission de télé fantôme. Un texte très agréable à lire, mais qui ne finit pas vraiment, un peu comme si Waldrop avait refusé l'obstacle et s'intéressait davantage à l'aspect nostalgique de son idée qu'à son possible contenu science-fictif. En tout cas, ça fait plaisir de relire Waldrop.
Ce numéro se finit plutôt bien avec « Tous comptes faits » de James L. Cambias, une sympathique histoire de S-F avec IA, vaisseaux intelligents, contrats de contrebande à la Star Wars, un texte qui souffre néanmoins de la comparaison avec son presque voisin « Finisterra », car Cambias n'a pas le sens dramaturgique de Moles. Mais il nous invite à faire un joli voyage spatial ; on pense à certaines nouvelles de Sylvie Denis et on ne se plaindra pas de finir cette revue avec un bon texte de vraie science-fiction d'aventure.
Au final, quels que soient vos goûts, vous trouverez votre bonheur dans ce Fiction. Maintenant que le problème des coquilles semble réglé, reste celui des traductions qui sont globalement bonnes, mais dérapent parfois sur les textes les plus littéraires (Irvine, Disch).