Alfred BESTER Titre original : The Desmolished Man, 1952 Première parution : Galaxy Science Fiction, janvier à mars 1952. En volume : Shasta Publishers, 1953ISFDB Traduction de Jacques PAPY Illustration de Sato YAMAMOTO
DENOËL
(Paris, France), coll. Présence du futur n° 9 Dépôt légal : avril 1996 Retirage Roman, 258 pages, catégorie / prix : 2 ISBN : 2-207-50009-8 Format : 11,0 x 18,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
On n'arrête pas le progrès : en ce XXIIIe siècle, les flics sont télépathes. Impossible de commettre le moindre délit : le sentiment de culpabilité du délinquant, battant comme un tambour dans le réseau mental des «extrapers», amène bien souvent les policiers sur le lieu du crime avant même que celui-ci soit perpétré.
Pour le cynique Ben Reich, géant du commerce planétaire menacé de la ruine, cela ne fait que rendre le jeu plus excitant. Maîtrisant son subconscient, il parvient à commettre le meurtre qui doit le tirer d'affaire et prend un malin plaisir à passer et repasser impunément entre les mailles du filet télépathique. Du moins le croit-il. Car l'inconscient a ses propres lois et ses propres détours pour mener à la démolition.
Critiques
New York, au XXXIIIe siècle : Ben Reich est un riche industriel dont la position est menacée par son principal concurrent, le vieux D'Courtney. Seule solution pour Reich : le tuer purement et simplement. Mais le crime parfait est loin d'être facile dans une société où les policiers sont extrapers, c'est à dire télépathes, et peuvent lire dans votre pensée, comme dans un livre ouvert, le récit de vos actes (ou même celui de vos desseins). De fait, aucun crime de sang n'a été commis depuis des décennies. Pourtant, Reich est persuadé de parvenir à perpétrer son crime en toute impunité — ce qui déplaît fortement à Powell, extraper de première classe et préfet de police, qui a juré de confondre Reich. Une partie d'échecs où tous les coups sont permis s'engage alors entre les deux hommes...
Lorsqu'on lit L'Homme démoli, on ne peut s'empêcher de songer aux points communs structurels qui existent entre ce roman et un épisode de la fameuse série Columbo. Dans les deux cas, un riche et puissant personnage se voit contraint d'éliminer physiquement un individu (fréquemment riche et puissant lui aussi) qui menace sa situation ou sa réputation. Nous suivons alors méthodiquement les préparatifs alambiqués d'un crime qui se veut parfait, jusqu'à ce qu'un enquêteur plus retors que le meurtrier ne le confonde, le plus souvent en le poussant à se trahir par excès d'assurance. Bien entendu, l'enquêteur a intuitivement tout compris de l'affaire dès les premières minutes de son enquête, mais toute la difficulté de sa besogne réside dans le passage de la supposition au fait susceptible d'être porté devant un tribunal (à ce titre, la confrontation entre l'enquêteur et son suspect, ponctuée par un « hypothèse très originale, lieutenant, mais malheureusement, vous ne pouvez rien prouver ! » fait figure de passage obligé).
Cette comparaison n'est pas innocente, mais elle n'a rien de péjoratif. Car si Columbo a efficacement renouvelé les codes de la série policière dans les années 1970, que dire d'un roman qui fonctionne selon le même principe près de vingt ans plus tôt ? Mariage harmonieux du policier et de la science-fiction psychologique (nettement plus satisfaisant à mon avis que les tentatives contemporaines d'Isaac Asimov), L'Homme démoli est un roman remarquable par son suspense efficace et sa forme très aboutie. D'abord, le héros du roman est le méchant, le cynique, le salaud, le meurtrier abject : ça change... Ensuite, l'importance des pouvoirs télépathiques dans le déroulement de l'intrigue entraîne au moins deux conséquences formelles intéressantes : la première, c'est de nécessiter l'emploi constant de deux niveaux de dialogue, oral et mental (ce qui techniquement n'est pas chose aisée pour un auteur) ; la seconde est liée aux codes du roman policier, qui pourraient être réduits à néant par de tels artifices (si Poirot, Holmes ou Rouletabille étaient télépathes, avouez qu'on s'amuserait beaucoup moins à lire leurs exploits !). Dans les deux cas, Bester se tire d'affaire avec brio sans que le plaisir ou la facilité de lecture s'en trouvent altérés. À ceci s'ajoutent une réflexion piquante sur une possible société future, et quelques trouvailles particulièrement réjouissantes (acheter une mélodie idiote qu'on ne peut chasser de son esprit pour brouiller la lecture mentale des télépathes, personnellement ça m'amuse beaucoup...).
Tout de même, un seul regret, qui n'est nullement du fait d'Alfred Bester. L'édition que j'ai eue entre les mains, et qui semble être la dernière édition française de l'ouvrage (1996), est une véritable catastrophe typographique. Quelques énormités dans le texte laissent de surcroît supposer que Jacques Papy a traduit le roman de la main gauche, et sans se relire. Souhaitons que Folio SF y mette très vite bon ordre.
L'Homme démoli ne semblera peut-être plus aussi frappant à ceux qui le découvriront plus d'un demi-siècle après sa première publication. Et c'est compréhensible, en un sens : Dick et Matheson, entre autres, sont passés par là — et puis rien de tel pour ringardiser prématurément un roman de SF que d'y rencontrer des cartes perforées. Mais replacé dans le contexte de sa parution, on imagine sans peine qu'il ait emballé le public, et valu à Alfred Bester le tout premier prix Hugo de l'histoire, en 1953. Un classique, et un grand !
« Voici, un ouvrage qui inaugure un genre nouveau dans le domaine de la littérature d’anticipation : c’est un roman policier du XXIVe siècle. Tous les éléments du roman policier américain s’y retrouvent : violence, sexualité, cruauté, mais multipliés parce que la scène est l’univers terrestre et stellaire et parce que les détectives ont à leur disposition des moyens psychiques et télépathiques extraordinaires qui leur permettent de déceler l’intention criminelle précédant l’acte lui-même… »
Voilà ce que nous lisons dans la « Prière d’insérer » de « L’homme démoli » (The demolished man), d’Alfred Bester (Denoël). Je trouve naturel que l’éditeur cherche à vendre une œuvre difficile, mais faire croire aux lecteurs (surtout à ceux d’une collection comme « Présence du Futur ») qu’il s’agit d’un Mickey Spillane (c’est du moins l’impression que j’ai eue en lisant le texte ci-dessus), n’est-ce pas dévaloriser une marchandise de qualité ? Car « L’homme démoli », avec son dynamisme, sa pulsation intense, sa puissance d’évocation, est à vrai dire un des plus beaux ouvrages d’A.S. publiés chez nous depuis l’avènement du genre. Certes le roman qui nous dépeint la lutte d’un milliardaire, Ben Reich, contre le puissant chef de la police Lincoln Powell, chargé de prévenir (et non plus de réprimer) le crime, a un fort caractère de suspense ; certes la façon dont Reich prépare, puis exécute son crime parfait, pourrait, le cas échéant, rentrer dans la catégorie criminelle. Mais alors, ce serait un « policier » tellement « luxueux », tellement comparable (toutes proportions gardées) à un Frances Iles ou à un Boileau-Narcejac que le qualificatif dont on l’a affublé pourrait, je crains, le desservir auprès des aficionados de la collection, sans pour cela satisfaire les amateurs du « policier » recherchant avant tout la violence et l’érotisme. Car « L’homme démoli », complexe, très complexe même, ne s’adresse qu’aux plus exigeants, à ceux pour qui les autres collections ne sont que des distractions enfantines. Mais, pour ceux-là, quelle aubaine !
Mon excellent ami Jimmy Guieu a-t-il lu « L’univers en folie », de Fredric Brown ? J’aurais tendance à croire le contraire, sinon comment expliquer la similarité de certains thèmes, de certaines idées de Brown avec ceux de son « Univers parallèles » (Fleuve Noir) ? Si ce dernier avait paru avant l’autre, j’aurais probablement crié : « Magnifique, plein d’imagination », etc. Comme ce n’est pas le cas, je me contenterai de dire : « C’est bon, très amusant, assuré d’un gros succès auprès des lecteurs de la collection et même de nombre d’autres. » Dans son nouveau roman, Guieu nous conte les aventures de son quatuor habituel – Kariven, Dormoy, Angelvin et Harrington – dans un monde en tous points identique au leur et où eux-mêmes existent, mais… au début du XXIe siècle et jouant le rôle de… criminels. On voit tous les effets que l’auteur a pu tirer d’un tel sujet – dans certains cas, il est même allé au-delà de Brown. Mais ce dernier n’en a pas moins la priorité. Malgré ces réserves de principe, le roman, bien écrit, est toujours distrayant au point que, pour mon seul plaisir, je l’ai déjà lu deux fois.
« Opération interstellaire », de George O. Smith (Fleuve Noir), est un « western de l’espace » de bonne facture, qui nous fait assister à la lutte opposant le jeune astronaute Paul Grayson, inventeur d’un rayon Z qui permet les transmissions radiophoniques interplanétaires, à son chef, le professeur Haedeker, auteur d’une théorie qui démontre l’impossibilité d’une telle opération. Les véritables dessous de l’affaire nous sont révélés lorsque nous apprenons que l’univers du Futur comporte deux factions : les partisans de l’autonomie des diverses planètes et ceux de la centralisation pour lesquels la question d’une transmission immédiate est évidemment essentielle. D’aucuns ne manqueront pas de tirer du roman des conclusions politiques. Je ne crois pas que l’auteur soit à ce point machiavélique. Il a surtout voulu nous distraire. Ce but, il l’a atteint et cela seul mérite déjà un « merci » bien sincère.
« La machine à explorer le rêve », de Keller-Brainin (Ed. Grand Damier), débute comme un bon S.-F. classique – soucoupes volantes, mystérieux bloc de minerai possédant des pouvoirs hypnotiques, etc. Il se termine, hélas ! de façon assez banale, en l’espèce l’entrée en scène d’un savant génial (mais fou, comme il se doit) qui, installé au fond de l’océan, se propose de régénérer le monde en commençant par détruire les neuf dixièmes de l’(indécrottable) humanité. On reproche parfois aux auteurs de S.-F. de « voir trop grand ». Je regrette, pour ma part, que ceux du présent roman n’aient pas vu « assez grand ». Les amateurs de S.-F. populaire y trouveront néanmoins de quoi les satisfaire.
Igor B. MASLOWSKI Première parution : 1/11/1955 Fiction 24 Mise en ligne le : 7/4/2025