OMNIBUS
, coll. Omnibus Dépôt légal : septembre 2005 Réédition en omnibus Recueil de romans, 1184 pages, catégorie / prix : 25 € ISBN : 2-258-06642-5 Genre : Imaginaire
Quatrième de couverture
Theodore Sturgeon (1918-1985) fait partie de ces très rares écrivains à être considérés comme classiques et à faire l'objet d'un culte. Il a donné deux romans, Cristal qui songe et Les plus qu'humains, chefs-d'œuvre de l'étrange, et une somme impressionnante de nouvelles, qui font de lui un maître incontestable du genre ; il nous parle d'enfance, de solitude, de marginalité, de l'étranger ou de l'exclu : l'homme dans toute sa fragilité et sa différence.
« Une histoire de science-fiction est une histoire construite autour d'êtres humains, avec un problème humain et une solution humaine, et qui n'aurait pu se produire sans son contenu scientifique. » Plus qu'une définition, voici sa vision de la littérature.
Le présent recueil regroupe ses deux romans, un choix de vingt-neuf nouvelles, ainsi qu'un texte autobiographique inédit, Argyll, dans lequel Sturgeon raconte son enfance difficile, et qui éclaire de façon magistrale cette œuvre exemplaire.
1 - Jacques GOIMARD, Il faut avoir tué père et mère, pages I à XI, préface 2 - Ça (It, 1940), pages 7 à 34, nouvelle, trad. Arlette ROSENBLUM 3 - Cargaison (Cargo, 1940), pages 35 à 67, nouvelle, trad. Eric PIIR 4 - L'Île des cauchemars (Nightmare Island, 1941), pages 69 à 93, nouvelle, trad. Didier PEMERLE 5 - Dieu microcosmique (Microcosmic God, 1941), pages 95 à 123, nouvelle, trad. Frank STRASCHITZ 6 - Hier, c'était lundi (Yesterday was Monday, 1941), pages 125 à 146, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH 7 - L'Égoïste absolu (The Ultimate Egoist, 1941), pages 147 à 165, nouvelle, trad. Bruno MARTIN 8 - La Sorcière du marais (The hag Séleen, 1942), pages 167 à 189, nouvelle, trad. Marcel BATTIN 9 - Le Bâton de Miouhou (Mewhu's Jet, 1946), pages 191 à 228, nouvelle, trad. Bruno MARTIN 10 - Les Mains de Bianca (Bianca's Hands, 1947), pages 229 à 242, nouvelle, trad. Eric PIIR 11 - Et la foudre et les roses (Thunder and roses, 1947), pages 243 à 266, nouvelle, trad. Pierre BILLON 12 - Ci-gît Syzygie (It Wasn't Syzygy, 1948), pages 267 à 299, nouvelle, trad. Eric PIIR 13 - Un pied dans la tombe (One foot and the grave, 1949), pages 301 à 338, nouvelle, trad. Alain DORÉMIEUX 14 - La Merveilleuse aventure du bébé Hurkle (The Hurkle is a Happy Beast, 1949), pages 339 à 349, nouvelle, trad. (non mentionné) 15 - Cristal qui songe (The Dreaming Jewels, 1950), pages 351 à 506, roman, trad. Alain GLATIGNY 16 - Faites-moi de la place (Make Room for Me, 1951), pages 507 à 532, nouvelle, trad. Roland DELOUYA 17 - Les Plus qu'humains (More than human, 1953), pages 533 à 710, roman, trad. Michel CHRESTIEN 18 - Un don (Talent, 1953), pages 711 à 722, nouvelle, trad. Bruno MARTIN 19 - Une soucoupe de solitude (A Saucer of Loneliness, 1953), pages 723 à 737, nouvelle, trad. Bruno MARTIN 20 - La Clinique (The Clinic, 1953), pages 739 à 753, nouvelle, trad. Bruno MARTIN 21 - L'Éducation de Drusilla Strange (The Education of Drusilla Strange, 1954), pages 755 à 786, nouvelle, trad. Michel BOISSIER 22 - Le [farceur], la [farce] et le gros rire gras (The [Widget], the [Wadget] and Boff, 1955), pages 787 à 864, nouvelle, trad. P. J. IZABELLE 23 - Parcelle brillante (Bright Segment, 1955), pages 865 à 890, nouvelle, trad. Alain DORÉMIEUX 24 - Les Talents de Xanadu (The skills of Xanadu, 1956), pages 891 à 919, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH 25 - La Peur est une affaire (Fear is a business, 1956), pages 921 à 939, nouvelle, trad. Bruno MARTIN 26 - Une fille qui en avait (The girl had guts, 1957), pages 941 à 964, nouvelle, trad. P. J. IZABELLE 27 - L'Autre Celia (The Other Celia, 1957), pages 965 à 984, nouvelle, trad. Pierre BILLON 28 - Celui qui lisait les tombes (The graveyard reader, 1958), pages 985 à 998, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH 29 - L'Homme qui a perdu la mer (The Man Who Lost the Sea, 1959), pages 999 à 1011, nouvelle, trad. P. J. IZABELLE 30 - L'Amour et la mort (When you care, when you love, 1962), pages 1013 à 1048, nouvelle, trad. Alain DORÉMIEUX 31 - Si tous les hommes étaient frères, me permettrais-tu d'épouser ta sœur ? (If All Men Were Brothers, Would You Let One Marry Your Sister?, 1967), pages 1049 à 1092, nouvelle, trad. France-Marie WATKINS 32 - Sculpture lente (Slow sculpture, 1970), pages 1093 à 1115, nouvelle, trad. Frank STRASCHITZ 33 - Argyll (Argyll : A Memoir, 1993), pages 1117 à 1161, essai, trad. René BEAULIEU
Critiques
Voici déjà vingt ans que Theodore Sturgeon (1918-1985) a disparu. Nos chemins s'étaient croisés à Metz lors d'un congrès de science-fiction, en 1976, et je revois encore sa longue silhouette d'homme barbu, légèrement voûté, attentif aux paroles de son interlocuteur. Sa voix si originale manque dans le paysage des littératures de l'imaginaire. Heureusement, il nous reste son œuvre, devenue classique. Cet omnibus, qui réunit vingt-neuf nouvelles et les deux seuls vrais romans publiés par ce maître du récit court, vient à point nommé pour qui désire entrer dans l'univers de cet observateur minutieux de l'humanité. Car là est la patte de Theodore Sturgeon : il place toujours l'humain au premier plan. Sa définition de la SF le dit : « Une histoire de science-fiction est une histoire construite autour d'êtres humains, avec un problème humain et une solution humaine, et qui n'aurait pu se produire sans son contenu scientifique. » La maîtrise de l'écrivain est présente dès ses premiers écrits. Ce sont d'abord des récits de fantastique et de fantasy. Chez lui, la SF s'épanouira plus tard.
Ses deux romans, Cristal qui songe et Les plus qu'humains, lui vaudront la notoriété. À travers eux, on se rend compte que Theodore Sturgeon est vraiment le romancier de l'enfance meurtrie. Le héros de Cristal qui songe est un enfant maltraité qui sera recueilli par une troupe de gens du cirque et se verra confronté à d'étranges cristaux extraterrestres. Les plus qu'humains, roman composé de trois longues nouvelles, met en scène un organisme, l'Homo Gestalt, formé de trois enfants, d'un bébé et d'un handicapé mental, tous dotés de pouvoirs parapsychiques. On ne ressort pas indemne de la lecture de ces récits, même si Cristal qui songe semble avoir un peu vieilli.
Quel est le chef-d'oeuvre de Sturgeon ? Le choix ne peut être que subjectif, car plusieurs de ses nouvelles sont considérées comme telles. Votez-vous pour Le bâton de Miouhou, dont le personnage de gamin extraterrestre semble être le modèle que Spielberg a choisi pour E. T. ? Préférez-vous Un don, génial récit fantastique dans lequel un petit garçon peut faire tout ce qu'il veut ? Vraiment tout ce qu'il veut ! Penchez-vous plutôt pour l'humour et La merveilleuse aventure du bébé Hurkle ? Laisseriez-vous tomber toutes les catégories et éliriez-vous — comme moi — cette sublime histoire d'amour et d'assassinats qu'est Parcelle brillante ? Prenez-vous Et la foudre et les roses, emplie d'empathie et de sens du sacrifice, dans laquelle l'Amérique, bousillée par une attaque nucléaire, choisit de ne pas répliquer pour laisser une chance de survie à l'humanité ? Pas de haine, mais une profonde tristesse... Tomberiez-vous aussi amoureux de Drusilla Strange (L'éducation de Drusïlla Strange) ? Aimeriez-vous disposer des Talents de Xanadu ?... Enfants battus, handicapés physiques ou mentaux, êtres solitaires, infirmes, laissés-pour-compte, miséreux, extraterrestres bienveillants, telle est la panoplie de héros qui confèrent aux récits de Sturgeon une tonalité sans pareille. Seuls, peut-être, Charles Sheffield avec Le frère des dragons ou Garry Kilworth avec Abandonati ?...
Une clé de l'univers de Sturgeon se trouve dans un passage de la nouvelle La peur est une affaire : « Votre malédiction est de vous sentir rejetés. De là naît la colère, et la colère engendre le crime, et le crime engendre la culpabilité ; et tous vos coupables rejettent les innocents et détruisent leur innocence ». L'autre clé, la plus solide, on la trouve dans un texte autobiographique inédit qui clôt le volume, Argyll. Le surnom du tyran domestique qui servit de beau-père au jeune Edward Waldo (véritable nom de Theodore Sturgeon). Argyll, un salopard qui s'ingénia à détruire tout ce que son fils adoptif aima à coups d'injustices et d'humiliations. Theodore Sturgeon ne produit plus. Mais son œuvre est là, disponible pour être lue et relue. On peut le redire : « Sturgeon is alive and well » !
Heureux le lecteur qui n'a jamais lu Sturgeon et va découvrir avec cet épais volume le meilleur de son œuvre. Mais existe-t-il quelqu'un qui ignore les superbes romans que sont Cristal qui songe et Les Plus qu'humains ? Un amateur de S-F serait-il passé à côté des chefs-d'œuvre que sont « L'Autre Celia », « Celui qui lisait les tombes », « L'Education de Drusilla Strange », « Sculpture lente », pour ne citer que quelques-unes des vingt-neuf nouvelles incluses dans ce recueil ? Qu'il se hâte, alors, de découvrir cet auteur aussi à l'aise dans le fantastique que la science-fiction, mais qui est avant tout un écrivain tout court. Ses thèmes, dont il explore les mille et une facettes, traitent toujours de la solitude, qu'elle soit celle de l'enfance, de la marginalité, de l'exclusion ou du rejet de l'étranger, de l'Autre dans sa différence. Profondément humains, tournés vers l'autre, les récits de Sturgeon sont à nuls autres pareils. Cette sensibilité est à chercher dans son enfance : « Argyll », le long texte autobiographique inédit en fin de volume, raconte qui fut son beau-père, ce que l'auteur eut à subir de sa part et de celle de sa mère, poignante évocation d'une enfance maltraitée dont les rêves étaient systématiquement brisés.
Cependant, malgré la qualité du choix des textes, cette compilation est une déception, car elle remplace l'édition américaine de Ted Williams de l'intégrale de Sturgeon, dont une sélection raisonnée, concoctée par Joëlle Wintrebert et René Beaulieu, était prévue en cinq volumes chez Flammarion, avant que le décès de Jacques Chambon ne remette tout en question. Nous restons donc avec ce seul omnibus, pâle reflet de l'énorme projet de départ, édition qui, si elle réunit d'excellents textes, ne propose aucune fiction inédite par chez nous, alors qu'on en connaît pléthore, et pas des moindres ! Dommage, oui, même si le présent volume, en dépit d'une couverture remarquable de laideur, n'en reste pas moins incontournable pour toute bibliothèque d'amateur éclairé.
Theodore Sturgeon, le poète des marginaux. Trente nouvelles et deux romans d'un des plus grands écrivains de l'imaginaire.
Si vous prenez la SF pour un genre de demeurés qui enfourchent des fusées pour jouer au western dans les espaces intersidéraux, lisez Theodore Sturgeon. Et vous serez convaincu qu'en SF aussi, il y a de grands écrivains. Vous ne connaissez pas Theodore Sturgeon, Américain, né en 1918, mort en 1985 ? Précipitez-vous sur l'Omnibus qui vient de sortir. Vous avez là ses deux romans, Cristal qui songe et Les plus qu'humains, des chefs-d'oeuvre, et trente nouvelles, dont la plupart sont aussi des chefs-d'oeuvre. Et vous ne pourrez vous en détacher, tant Sturgeon est passionnant.
Chez lui, l'intrigue n'est là que pour aider à développer les thèmes. L'amour, l'exploration des sentiments et des émotions des êtres, leurs relations, leur fusion. Le rêve, le songe, la promesse d'un avenir radieux, la certitude qu'il n'y a pas de meilleure place qu'ici. Sans naïveté, sans niaiserie mais avec tout l'amour qu'il porte à ses personnages.
Ceux-ci sont des marginaux, des laissés-pour-compte de la société, des enfants, des handicapés, des étrangers au monde, des mutants ou même des extraterrestres. Comme Nemo, le narrateur de « La clinique », infirme mental, amputé de la communication. Comme Horty, dans Cristal qui songe, le gosse abandonné qui fuit son foyer pour s'en aller vivre la vie d'un cirque. Ou comme les cinq enfants de Les plus qu'humains, mongoliens, idiots.
Sturgeon pénètre dans l'espace intérieur de ses personnages de papier, le livre à ses lecteurs et pousse leurs destinées vers leur épanouissement. Nemo trouve sa place sur Terre, Horty accède à la maturité, les cinq enfants combinent leur handicap et leurs pouvoirs pour former une entité « plus qu'humaine ». Pour Sturgeon, l'homme doit encore parvenir à sa maturité, l'espèce humaine aussi. Et le seul moyen d'y parvenir, ce n'est ni la science ni la technologie, mais l'amour.
Sturgeon avait aussi un autre amour, celui de l'écriture. C'est ciselé, sensible, plein, tellement en adéquation avec le fond. Lisez « La clinique », « Sculpture lente », « L'homme qui a perdu la mer », « Si tous les hommes étaient frères, me permettrais-tu d'épouser ta soeur ? », « Les mains de Bianca »... Sturgeon était le poète de l'harmonie.
Jean-Claude VANTROYEN Première parution : 7/10/2005 Le Soir Mise en ligne le : 13/11/2005