Alfred Elton VAN VOGT Titre original : Slan, 1940 Première parution : Astounding Science-Fiction, septembre à décembre 1940. En volume : États-Unis, Sauk City (Wisconsin) : Arkham House, 1946 (révisé en 1951 pour l'édition chez Simon & Schuster)ISFDB Traduction de Jean ROSENTHAL Illustration de Olivier FROT
J'AI LU
(Paris, France), coll. Science-Fiction (2007 - ) n° 381 Achevé d'imprimer : 1 mars 2013 Retirage Roman, 224 pages, catégorie / prix : 4 € ISBN : 978-2-290-30963-6 Format : 11,0 x 18,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
Jommy Cross, neuf ans, est pourchassé. L’humanité a juré sa perte. Car il est un Slan, un mutant télépathe doué de capacités surhumaines. Le dictateur président Kier Gray et son âme damnée, John Petty, le chef de la police secrète, le traquent sans merci.
Les Slans sont-ils vraiment des êtres cruels issus de l’imagination démente d’un savant irresponsable ? Sont-ils les tortionnaires dont on raconte encore les exactions avec des frissons d’horreur ? Jommy sait qu’il n’est pas un monstre et il le prouvera, grâce à l’héritage fabuleux que lui a légué son père. Mais il lui faut d’abord survivre et grandir en dépit de ceux qui lui veulent du mal.
A.E. VAN VOGT Né en 1912 au Canada et mort en 2000, il a débuté sa carrière d'écrivain aux États-Unis. Son style et la construction de ses récits l’ont rapidement démarqué de ses contemporains. Il lait désormais partie de la légende de la science-fiction avec des ouvrages tels que Le monde des A ou Les armureries d'Isher, au point d'avoir intégré en 1996 - de son vivant - le Science Fiction Hall of Fame.
Prix Aurora 1980, Grand maître
Prix Nebula 1995, Grand maître
Poursuivant sa politique de réédition de son fonds de classiques, J'ai lu a eu l'excellente idée de ressortir À la poursuite des Slans, un représentant indispensable de la science-fiction de grand-papa. S'il a le parfum suranné de la SF des années 40, avec fusées rondouillardes, lasers atomiques et cités souterraines secrètes, ce chef-d'œuvre de Van Vogt possède également la force de ces romans passionnés qui ont fait la légende de l'auteur.
Dans un avenir proche (en réalité aux alentours de l'an 3500 !), le monde se divise en trois espèces : les humains normaux et deux races mutantes, les Slans sans cornes qui leur sont supérieurs, et tout en haut de l'échelle, les vrais Slans, des télépathes suprêmement intelligents. Evidemment, les Slans sont traqués par les humains. Alors que sa mère est abattue à vue, Jommy Cross, Slan de neuf ans, s'enfuit dans la capitale du monde. Il trouve refuge auprès de Mémé, une vieille théâtreuse ivre-morte du soir au matin, chez qui il se formera en pillant par télépathie les cerveaux de ses voisins. Pendant ce temps, la jeune et superbe Slan Kathleen Layton tente de survivre dans le palais du dictateur mondial, Kier Gray. Elle est harcelée par John Petty, le chef de la police, qui ne rêve que de la voir exécutée. Devenu adulte, Jommy entre en possession du secret scientifique de son père, la maîtrise de l'atome, grâce à laquelle il réussira à échapper à tous ses adversaires avant de retrouver d'autres véritables Slans et de trouver l'amour dans le... non, chut, après tout, il reste des étourdis qui ne l'ont jamais lu.
Roman écrit à partir de plusieurs nouvelles publiées dans les années 40, À la poursuite des Slans n'a pas pris une ride, malgré des décors désuets mais qui participent ô combien à son charme. Récit rythmé en forme de réflexion sur les racismes et la haine, il plonge le lecteur dans l'action dès les premières lignes et ne le lâche plus par la suite. Et comble de bonheur, il convient parfaitement à la jeunesse. Et Noël qui approche... Merci J'ai lu.
Affublé d’un titre français grand-guignolesque et présenté sous une jaquette conçue dans le même esprit (mort en suaire, chauve-souris, arbres dénudés, croix branlantes), voici un roman anglais de qualité que nous n’hésitons pas à recommander à tous les amateurs de bizarre et de fantastique. Il s’agit de « Cimetière de l’effroi » (The web of Easter Island), de Donald Wandrei, qui, dédié à H. P. Lovecraft, inaugure de la façon la plus prometteuse la nouvelle collection du Fleuve Noir « Angoisse ». Nous ignorons si le dédicataire a eu l’occasion de le lire. Si c’est le cas, gageons qu’il en a été ravi, car l’ouvrage est dans la plus pure tradition lovecraftienne. Roman de démonologie, « Cimetière de l’effroi » commence par la découverte, dans un cimetière abandonné des Iles Britanniques, d’une petite pierre qui détruit tous ceux qui la touchent. Informé de l’incident, Carter Graham, conservateur d’un musée voisin, reprend les fouilles à son compte. Et ce qu’il trouve, après avoir de peu échappé à la mort, est plus stupéfiant, encore : un puits recouvert d’une dalle et rempli d’ossements appartenant à des hommes ayant vécu il y a des centaines de millénaires. Est-ce là l’entrée du monde des Titans qui avaient créé la terre ? Décidé à résoudre le problème, Graham se rend dans l’île de Pâques où, selon lui, réside la solution, et constate que ses suppositions étaient bien au-dessous de la vérité : il émerge soudain dans des temps fort éloignés des nôtres, sur un globe complètement transformé. Détenteur du « grand mystère », il pourra échapper au cataclysme menaçant ; mais le voudra-t-il ? en aura-t-il le courage moral ? Comme une œuvre de Lovecraft, celle-là se résume mal. Son intérêt réside d’ailleurs autant dans le détail que dans l’idée de base de l’auteur. Un conseil : lisez-la et vous ne serez pas déçus.
Le deuxième volume de la même collection, « L’heure funèbre », de Patrick Svenn, s’adresse à un public moins difficile. L’action se déroule à Paris où un professeur (à moitié fou, comme il se doit) expérimente un mystérieux rayon destiné à transformer les gens en… (gardons-nous bien de vous le dire, cela équivaudrait à révéler l’identité du criminel dans un roman policier). Aucun ingrédient ne manque à ce cocktail de terreur : jeune fille pure et innocente, son fiancé – assistant du professeur – sinistre Africaine, collaboratrice du même, etc.
Honnêtement écrit, le roman se lit sans ennui et contient quelques bonnes pages d’horreur. La fin nous a néanmoins laissé sur une impression pénible : le « happy ending » n’est-il pas de rigueur dans ce genre d’entreprise ?
Au Fleuve Noir également, mais dans la collection « Anticipation », le meilleur roman de Jean-Gaston Vandel que nous ayons lu à ce jour : « Territoire robot ». Nous sommes dans un monde où l’homme se sert de Mogs – robots perfectionnés. Un millionnaire, Manders, décide de tenter une expérience : envoyer des robots sur Mercure, planète inhabitée car inhabitable, pour voir son comportement d’une part et, d’autre part, dans des buts plus ou moins avouables. Les Mogs s’organisent, mais lorsqu’ils signalent à leur maître que ses instructions ont été appliquées, ils ne reçoivent pas de réponse : l’expédition a péri. Abandonnés à eux-mêmes, comment les robots vont-ils se comporter ? À partir de ce moment, l’auteur fait preuve non seulement d’imagination, mais aussi d’un sens aigu de la psychologie, si l’on peut employer ce mot en parlant de créatures mécaniques. Plus d’une fois, ce roman nous a fait songer à un pastiche, et pourtant Vandel demeure constamment logique, souvent jusqu’à l’absurde. Un excellent ouvrage que nous avons lu avec infiniment de plaisir.
Chez Hachette, le troisième A. Van Vogt à paraître en France : « À la poursuite des Slans » (Slan), est l’un des meilleurs de la collection « Le Rayon Fantastique ». Nous sommes en l’an 3500 ou 4000. Un dictateur, Kier Gray, règne sur le monde et l’humanité fait une chasse sans merci aux Slans, espèces de mutants qui portent le nom de leur créateur, le professeur F. Slann. Ils se distinguent des hommes par un double cœur et par deux petites cornes qui leur permettent de lire dans les pensées. La plupart des Slans ont été détruits (car on les soupçonne des pires monstruosités), mais il en reste quelques-uns et c’est l’histoire de l’un d’eux, Jommy Cross, dépositaire des secrets de son père, que Van Vogt nous raconte avec le grand talent qu’on lui connaît. Écrit avant 1940, le roman n’en est pas moins d’une étonnante actualité, car cette poursuite des Slans est, en fait, une véritable « chasse aux sorcières ». Vau Vogt fait aussi intervenir une troisième catégorie d’individus, des Slans sans cornes, qui veulent réduire en esclavage à la fois les hommes et les Slans cornus. L’ouvrage fourmille d’allusions et d’observations tant politiques que sociales ; malgré ses quatorze ans, il n’a pas pris une ride. Chaleureusement recommandé.
Également chez Hachette, dans la même collection, un bon S.-F. anglais : « Le lendemain de la machine » (Tomorrow Sometimes comes), de F. G. Rayer qui, après un démarrage plutôt lent, s’anime, prend de la stature et finit en beauté. Son héros, le major Rawson, a provoqué une guerre atomique qui a décimé le monde. Lui-même, enfoui sous les décombres de l’hôpital où on l’opérait, se réveille un siècle plus tard. La Terre est alors habitée par : 1° des hommes qui maudissent son nom ; 2° des mutants, espèces de singes humanoïdes télépathes qui, au contraire, bénissent la mémoire de leur involontaire créateur. Arrivé dans la nouvelle capitale, Kaput-des-Orbes, Rawson est obligé de se présenter devant un cerveau mécanique géant qui règne sur la Terre, la « Mens Magna ». Celle-ci, ayant découvert à qui elle a affaire, décide de faire de Rawson l’exécutant d’un des deux plans qu’elle, a élaborés. L’humanité sera-t-elle sauvée ? Sera-t-elle, au contraire, condamnée à mourir ? Les chapitres où Rawson converse avec la monstrueuse machine sont parmi les plus passionnants que nous ayons lus depuis qu’existe l’A.S. et l’atmosphère de certains autres est hallucinante. Comme dans « À la poursuite des Slans », la vraie question est : à moins que l’humanité n’évolue – et ceci à tous les points de vue – doit-elle disparaître ? Malgré son début, voilà un roman qui vous intéressera. Et la chute de la fin, bien que prévisible, est poignante dans sa grandeur austère.
Igor B. MASLOWSKI Première parution : 1/11/1954 Fiction 12 Mise en ligne le : 6/3/2025
À la poursuite des Slans, qui a obtenu le Retro Hugo 2016 pour l’année 1941, compte au rang des plus grands classiques de l’Âge d’or de la SF américaine. Classique, sans aucun doute, mais est-ce bon pour autant ? Dans son article « La Complication dans le récit de SF », van Vogt expose sa méthode de travail : le fourre-tout. Il en va de la littérature comme de la cuisine. Si vous concoctez un pot-au-feu et que vous ajoutez tout et n’importe quoi, le résultat à toutes les chances d’être curieux. Si vos commensaux ne sont pas des ET, ils risquent fort de considérer votre cuisine comme un roman de van Vogt.
Surhomme, mutant, télépathe, voilà notre pâtée du jour : le Slan. Dans ce futur, les Slans sont tirés à vue comme des lapins. Jommy Cross, neuf ans, qui vient de voir sa mère se faire descendre au coin de la rue, va survivre à tout : accroché au parechoc de la voiture du chef de la Gestapo police anti-slans ; traqué par tout un quartier avide de lynchage en pleine hystérie collective ; capturé par Mémé qui en fait un voleur à la tire avant de décider de le vendre aux flics ; en fuite, entraînant Mémé chez les Slans sans corne qui sont pour les Slans des ennemis encore plus implacables que les humains… Pour lire et apprécier la SF, il faut pouvoir suspendre son incrédulité. Ici, on passe dans une autre dimension. On peine à comprendre les motivations des personnages dans ce roman particulièrement rocambolesque, où les situations ne cessent de se retourner comme une crêpe dans la poêle. Jommy est présenté comme un garçon super intelligent ; il est surtout gentil… Plus bête, on meurt ! Il ne veut absolument pas faire le moindre mal à quiconque, même s’il est seul contre un monde entier acharné à vouloir sa mort. Imaginez un joueur du Ā d’échecs se refusant à prendre la moindre pièce à son adversaire qui, en plus, gagnerait à la fin. Si ce n’est pas de la suspension de l’incrédulité au carré… C’est surtout le fruit de la méthode van Vogt d’écriture.
Au crédit de l’écrivain, il y a cependant une inspiration dont on ne peut que lui savoir gré : voir dans le Slan une métaphore du Juif dont les persécutions battaient leur plein dans l’Europe en guerre, lorsqu’il sérialisa son roman dans Astounding à l’automne 1940. Cet unique élément spéculatif confère au roman une valeur, à défaut d’une qualité, incontestable.
À la poursuite des Slans se lit donc agréablement, avec le recul indispensable, ou, au contraire, avec une totale absence du moindre recul, le nez entre les pages… Ce genre de classique est-il vraiment la porte d’entrée idéale à l’univers de la SF ? Il a été dit de Diaspora, de Greg Egan, que c’était une porte close et verrouillée n’offrant nul accès à la SF à qui n’en est déjà un lecteur chevronné nanti d’un solide bagage scientifique. Ce roman de van Vogt s’avère tout l’inverse. Le lecteur doit vraiment le vouloir très fort pour que ça marche. La suspension de l’incrédulité s’applique normalement à la thématique du roman : ici, l’existence de mutants dans un certain futur, mais ce pourrait être des robots, une invasion ET, des voyages dans le temps, etc. – pas de problème. Le souci est que van Vogt exige aussi de son lecteur l’acceptation d’une intrigue, non pas déconstruite (ce qui implique qu’elle ait été construite à un moment), mais inconstruite, pleine de motivations incompréhensibles, de péripéties en impasse et de personnages inutiles. Van Vogt maîtrise un certain art du tirage à la ligne, mais, ayant ajouté à son roman toutes les idées qu’il a trouvées, il donne l’impression contraire, celle d’un roman elliptique – faisant implicitement croire au lecteur qu’il n’est pas à la hauteur du livre – qui aurait mérité davantage d’explications et de liant. À la poursuite des Slans, comme bien d’autres livres de van Vogt, résiste donc mal à une lecture armée d’un calepin et d’un crayon. Il faut le lire sans trop se poser de question, d’une manière superficielle, en guise de pur divertissement, et faire l’impasse sur les questions sans réponse et les explications contradictoires.
Si on analyse le roman à l’aune des critères habituellement admis pour juger d’une œuvre littéraire, ainsi que nous y enjoint Damon Knight dans son article « A. E. van Vogt : le gâcheur cosmique », notre auteur apparaît comme un écrivain médiocre, incapable de bâtir un roman qui tienne la route. Jacque Goimard a réfuté le postulat de Knight, arguant que la SF, et l’œuvre de van Vogt en particulier, devait être évaluée en fonction de critères spécifiques. On postule donc que c’est de la bonne SF, ce qu’on justifie a posteriori par la présence de spécificités devenant dès lors des marqueurs de qualité. En lisant de la sorte, il est certain que l’on peut trouver du plaisir à la lecture de van Vogt en général et de À la Poursuite des Slans en particulier. Ce faisant, on contribue aussi à maintenir la SF dans un ghetto littéraire qui conduit à la considérer comme de la sous-littérature. Ce n’est qu’en lui appliquant les mêmes critères qu’à toutes autres œuvres que la SF pourra enfin être jugée comme une « vraie » littérature.
Jean-Pierre LION Première parution : 1/4/2020 Bifrost 98 Mise en ligne le : 13/1/2024