Ciudad de Vados est l'orgueil de la république d'Aguazul. Cette mégalopole futuriste, surgie du néant au beau milieu d'une région primitive d'Amérique Centrale, est l'œuvre d'un groupe d'architectes, d'urbanistes et de promoteurs venus de tous les pays. Grâce à elle, le président-dictateur Vados espère gagner l'immortalité. Pourquoi, dans ces conditions, lui faut-il encore faire appel à un expert international en matière de trafic urbain ?
La mission confiée à Boyd Hakluyt consiste-t-elle réellement à résoudre un problème de circulation ? Ne veut-on pas plutôt l'amener à éliminer le bidonville qui, au cœur de la prestigieuse cité, vient rappeler de façon gênante la misère du peuple d'Aguazul et gâter les rêves de grandeur de Vados ?
Peu à peu, Boyd Hakluyt découvre qu'il est manipulé par des forces mystérieuses, simple pièce d'un puzzle dont la signification lui échappe. Quel est l'enjeu de cette partie impitoyable où les coups sont vraiment mortels ? Et qui sont les joueurs ?
C'est le lecteur lui-même qui est pris au piège d'une « fiction » digne de Borges. A travers l'histoire d'un conflit où l'urbanisme s'affirme politique, John Brunner tient le plus singulier des paris romanesques.
Critiques
Il arrive à Brunner ce qu'il est advenu récemment à Silverberg : après des années de méconnaissance, les éditeurs de langue française se mettent à s'arracher ses bouquins. La publication de ce roman suit celle de Tous à Zanzibar chez Laffont et de L'orbite déchiquetée chez Denoël et précède celle de La conquête du chaos chez Marabout. Autant d'occasions de découvrir un auteur au métier solide, qui pour ma part ne me transporte pas, mais dont on ne peut nier l'énorme habileté ni cette qualité typiquement anglo-saxonne qu'est la « versatilité » (au sens anglais du terme, c'est-à-dire, dans le cas d'un écrivain : faculté de passer avec aisance d'un genre de récit à un autre). Non, Tous à Zanzibar n'est pas à mes yeux le livre mémorable qu'on a voulu y voir ; mais Brunner n'est pas quelqu'un qu'on peut rayer d'un simple geste méprisant. Il existe, et son existence s'impose. La ville est un échiquier,roman dont les péripéties sont conçues pour reproduire en détail le déroulement d'une partie d'échecs (chaque personnage jouant le rôle d'une des pièces), est à la fois diaboliquement habile et complètement lassant. Mais c'est tout Brunner, ça : ce mélange de fabuleuse technique et d'irritant délayage. Je n'ai jamais envie de lire du Brunner, mais son envergure m'en impose.
La Ville est un Echiquier est un roman d'une conception rigoureuse et d'une grande intelligence. Il serait vain de vouloir le résumer. Cette tâche s'avérerait à la fois difficile et mutilante pour l'œuvre de Brunner.
Oui, la ville est un échiquier sur lequel chaque habitant, chaque touriste, chaque voyageur de passage et chaque résident étranger incarnent un pion ; sans grade ou tête, qu'importe ? De toute façon, ils sont joués. Ceux qui gouvernent dans « le pays le plus gouverné du monde » déplacent ces pions non pas au gré de leur fantaisie mais selon des objectifs politiques et économiques précis, secrets et complexes. Seulement, une pièce de chair ne se révèle pas toujours aussi maniable, aussi placide, qu'une pièce de bois. Il y a immanquablement des imprévus, et ceux-ci bouleversent certains impératifs du moment.
En fait, une fois de plus, Brunner met en scène les mécanismes du pouvoir, les hommes du pouvoir, les réussites et les erreurs du pouvoir. Echiquier de ces forces humaines démesurées, la ville est le théâtre d'événements violents : meetings, meurtres, émeutes.. ET PAUVRETE QUOTIDIENNE.
Personne, finalement, ne comprend exactement l'ampleur et la face cachée de l'Histoire qui se trame, instant après instant. Pas même ceux qui dirigent le jeu, ou croient le diriger.
Il semblerait, d'après Brunner, que l'on ne puisse point berner les « citoyens » éternellement, malgré les immenses moyens mis en oeuvre : propagandes radiodiffusées et télévisées, jeux de scène des hommes politiques qui sont tous des dictateurs en puissance.
Car, lorsque inexorablement la marée déferle, tout se trouve balayé. Les peuples opprimés lessivent l'échiquier de leurs malheurs avec du sang, laissant l'usage de la sueur à quelques idéalistes inoffensifs.
Mais après ? Parfois, souvent même, recommence un esclavage similaire...