

- Publicité et cinéma
Avant
de passer à d'autres domaines, nous aimerions que vous nous
parliez d'un livre un peu particulier : Lady Polaris...
C'est
d'abord une idée de Christin, puisqu'il avait réalisé
auparavant chez
Autrement L'Étoile Oubliée de Laurie
Bloom, avec Bilal. Pierre, on le sait, aime toujours faire des
livres différents. Dans Valérian, nous avons la possibilité
de bouger beaucoup, mais il y a les limites inhérentes au genre
Bande Dessinée. Il avait donc fait cette première tentative
hors BD en réalisant le voyage à Los Angeles avec Enki
qui retouchait les photos qu'il avait prises. A cette époque,
la maison Autrement était en pleine expansion et Laurie
Bloom a fort bien marché. Sur la lancée, deux ans
après, Pierre me propose une autre idée : faire un récit
très documentaire, précis, crédible, qui, à
un moment, dérape en fiction policière. Sans que l'on
sache vraiment à quel moment... C'était aussi un prétexte
à balade (nous sommes, l'un comme l'autre, toujours prêts
à partir), puis à faire des choses totalement différentes
: voyages en bateau, repérages (par exemple, des photos sur
le port de Hambourg par moins vingt degrés),...
Graphiquement
aussi, c'était expérimental pour moi, avec des croquis,
des relevés, des peintures... Un grand plaisir. Le livre n'est
peut-être pas sorti au meilleur moment, mais il a eu un sort
tout à fait honorable et continue à se vendre très
régulièrement. Voilà le genre de choses que je
préfère réaliser plutôt que de me lancer
dans une autre histoire en bandes dessinées.
Autres
livres étonnants : Les Extras de Mézières.
Qui a eu l'idée de cette collection ?
C'est
moi qui l'ai proposé à Dargaud. Ils ne me refusent
rien (rires) ! J'avais d'ailleurs commencé cela dans
Mézières et Christin avec..., le livre qui reprenait
Les mauvais rêves. Mais c'était un peu bâtard
puisqu'il y avait un mélange entre diverses BD et quelques
images... Ensuite, Alain Beaulet, pour qui j'ai fait les sérigraphies
pour la petite boîte sur l'Impératrice Akanyah et qui
est un bon copain, a eu un rôle important. Il me disait que
les croquis que j'avais faits pour le film de Fleischmann, Un dieu
rebelle, étaient beaux. A l'époque, je considérais
que ces croquis, très libérés, très jetés
(comme ceux du Cinquième Élément plus
tard), étaient peut-être bien, mais pas publiables. Beaulet
m'a vraiment poussé et, une fois que nous les avons mis en
pages, j'ai été convaincu. Donc, j'ai publié
le premier Extras. Ce qui est amusant, c'est qu'à l'époque,
j'avais déjà travaillé pour Besson, mais le projet
du Cinquième Élément semblait abandonné.
Je l'ai donc appelé pour lui demander si je pouvais passer
quelques illustrations dans Les Extras. Il m'a répondu
: « Dans un mois, je saurais si le projet redémarre
ou pas. Si je te dis oui, c'est que le projet est définitivement
foutu et que tu pourras montrer tes dessins ». Un mois plus
tard, j'ai reçu : « Non ». Et on connaît
la suite !
Quel
est votre niveau d'implication dans la fabrication de ces livres (choix
des visuels, mise en page,...) ?
Je
les fais avec Beaulet, à qui j'amène un carton à
dessins (que j'ai déjà 'épuré'
auparavant) et nous décidons quelles illustrations nous allons
faire figurer, à quel format, dans quelle présentation...
J'aime bien que quelqu'un apporte un regard extérieur sur mon
travail. Ensuite, j'ai voulu accompagner chacun de ces dessins par
un petit commentaire, non pas pour faire le malin, mais pour raconter
l'histoire derrière l'image, et donner des précisions
que les amateurs apprécient. Personnellement, je déteste
aller à l'index d'un livre pour trouver : « Inédit
». Ça me frustre !
En
feuilletant Les Extras, on s'aperçoit que vous avez
réalisé beaucoup de publicités...
Beaucoup,
non, quelques unes... Pendant la réalisation d'un Valérian,
en général, je refuse les propositions. Je ne suis pas
quelqu'un qui passe facilement d'un exercice à l'autre, d'une
page de Valérian le matin à une petite aquarelle l'après-midi.
Mais c'est vrai qu'entre deux albums je fais quelques publicités...
de préférence qui paient bien et qui sont intéressantes
à réaliser.
Certains
auteurs se sont laissés 'avaler' par la
publicité...
Oui,
mais c'est peut-être d'abord parce que leurs albums ne leur
permettaient pas de vivre assez bien et qu'en plus, ils avaient un
dessin élégant. Ce n'est pas mon cas. Mon dessin est
rustique, efficace, mais pas élégant. Je veux bien que
l'on agrandisse très fort le portrait de Valérian pour
vendre le parfum Dior, mais je ne suis pas vraiment sûr
du résultat (rires)... Les gens qui sont très
sollicités (je pense à Floc'h, Loustal, Dupuy &
Berbérian...) ont un dessin véritablement élégant,
épuré, et 'neutre'. Le mien est codé,
très lourdement codé même, et ne passe pas toujours.
Mes publicités sont soit mes personnages mis en situation (à
la Caisse d'Épargne, etc.), soit une image BD. Mais
ce n'est pas de l'image pure. Mon imagerie est peut-être attachante,
mais elle n'a pas la neutralité d'une image de pub...
Un
peu dans le même ordre d'idée, vous avez fait des illustrations
pour la presse. Notamment en 1993, pour Le Monde...
C'est
quelque chose qui me plaît bien : retrouver un peu le côté
à la fois journaliste et feuilletoniste. On me téléphonait
le lundi soir pour me demander si je voulais faire une illustration
pour le jeudi après-midi. Ce genre de choses aussi, je ne peux
pas les accepter quand je suis à fond dans Valérian...
Donc, je recevais le texte par fax, je graffitais le truc le lendemain,
je livrais le surlendemain et le jeudi ça sortait. Il faut
trouver l'idée tout de suite, et ce n'est pas gagné
d'avance. Je ne ferais pas cela à longueur d'année,
je ne me vois pas faire du dessin politique, mais, ponctuellement,
cela me plaît bien. C'est un sacré challenge de trouver
l'idée graphique pour exprimer des sujets parfois abstraits.
Avec
Le Monde, vous avez 'récidivé' quelques
années plus tard...
Oui,
en 1998. C'était une série de sept ou huit articles
sur les utopies scientifiques qui arrivent, ou vont arriver très
bientôt. J'avais la possibilité de concevoir mon illustration
très librement, la mise en page étant faite après.
L'exercice était sympa... La presse quotidienne utilise de
plus en plus la couleur et cela rend souvent bien, même sur
ce genre de papier.
Est-ce
exact que vous avez été à la base de la série
de douze timbres consacrés aux Grands Prix d'Angoulême
?
J'ai
eu le Prix en 1985 et, peu de temps après, La Poste m'a contacté.
Ils voulaient faire des timbres avec un dessinateur BD et me proposaient
de les réaliser. C'était des timbres classiquement gravés,
en deux couleurs, et au format des timbres ordinaires ! Je leur ai
dit que s'ils invitaient la Bande Dessinée, ils fallait
des couleurs, un format un peu plus grands, et, bien sûr, s'adresser
à plusieurs auteurs plutôt qu'à moi seul. Comme
ils voulaient faire un carnet, j'ai proposé de demander aux
douze Grands Prix. Panique ! Je bousculais les habitudes...
Cela a traîné et c'est remonté jusqu'au bureau
du ministre (ou du sous-ministre) qui a trouvé que c'était
une excellente idée. Gagné ! Mais, après,
c'était l'inquiétude pour savoir le temps que cela allait
prendre pour contacter les dessinateurs et obtenir leur accord. Je
les ai rassurés en leur disant que les douze numéros
de téléphone étaient dans mon carnet d'adresse
et que cela me paraissait possible d'amener les dessins dans les quinze
jours (rires) ! L'affaire a été
rondement menée pour le plaisir de tous... Récemment, j'ai fait, tout seul
cette fois, deux séries de timbres pour les Terres Australes
et Antarctiques Françaises, et j'en ai une troisième
en commande qui va m'amener à aller faire des croquis en Terre
Adélie. Avec des moufles (rires) !
Pourriez-vous
nous parler du dessin animé de Valérian, en projet depuis
de nombreuses années ?
J'ai
commencé en 1976 ! J'ai fait des essais, d'abord en Suisse,
puis au Centre Pompidou... J'en ai refait d'autres en 1982 avec la
maison Dargaud, pour Les Astéroïdes de Shimballil.
J'ai fait une tonne de beaux dessins... pour rien. Mon idée
était d'éviter l'animation parce qu'à l'époque,
il faut le dire, c'était risqué ! Donc, j'avais proposé
que l'on travaille en bancs-titres, avec juste quelques effets. Je
me trompais, mais nous aurions sans doute pu faire quelque chose de
mieux avec un peu de moyens... que nous n'avions pas. Ensuite, nous
avons fait un pilote en 1991-1992. Sans résultat. Avec le recul,
je dirais que je suis plutôt content que cela ne se soit pas
fait. Enfin, aujourd'hui, on parle beaucoup de Valérian pour
un film d'animation... Tout ce que l'on peut dire pour l'instant,
c'est qu'il vaut mieux attendre encore pour en parler !
En
1984, vous avez participé à Billet doux, une
série de téléfilms dans lesquels Pierre Mondy
interprétait un éditeur de bandes dessinées...
J'ai
réalisé le personnage de BD qui était sensé
être publié par cet éditeur. On avait fabriqué
un faux album dont j'avais dessiné la couverture. Le dessinateur
était
interprété par un acteur allemand pour qui j'avais réalisé de fausses dédicaces qu'il
n'avait plus qu'à regraffiter par dessus et signer de son 'nom'.
Nous avions fait le tournage de la séance de dédicaces
au Pavillon du Bois de Boulogne, un truc très chic, avec carrément
huit danseuses habillées en Kopula (puisque l'héroïne
s'appelait ainsi !). J'ai glissé à Mondy : « Vous
me donnez une idée : je vais demander à mon éditeur
de lancer mon prochain Valérian ici ». L'humour lui
a un peu échappé. Peut-être pensait-il que c'est
réellement ainsi que se passait la sortie d'une BD (rires)
!
On
va maintenant parler de cinéma. Un domaine qui vous attire
depuis longtemps...
Oui
! Au début des années 60, pendant que je travaillais
sur les encyclopédies Hachette, j'ai été
assistant sur des décors de théâtre pour des festivals
d'été et j'ai adoré ça. J'ai enchaîné,
toujours comme assistant décor, sur un petit film qui n'est
jamais sorti. Tout jeune déjà, je travaillais pour des
films qui ne sortaient pas (rires)... Puis, il y a eu ce réalisateur
américain, Jeremy Kagan, qui est venu me voir. Il voulait adapter
La nuit des Temps, de Barjavel. J'ai fait de beaux décors
mais, malheureusement, il n'y a que mes dessins qui subsistent du
projet. Je crois qu'un des principaux producteurs était iranien
et avait vu ses plans quelque peu bousculés par le retour de
l'ayatollah Khomeyni en Iran... Je n'ai plus de nouvelles du réalisateur.
C'est dommage parce que nous avions bien sympathisé.
Si
on parle de cinéma, il nous faut aborder Star Wars,
qui présente d'étranges similitudes avec Valérian.
Qu'avez-vous pensé en découvrant ce film ?
Je
l'ai vu au festival de science-fiction de Metz, juste avant la sortie
officielle, en 1977. Il y avait eu une projection la veille de mon
arrivée, et tous les copains qui l'avait vu me parlaient de
ce film en me disant qu'ils avaient beaucoup pensé à
moi. Et, effectivement, pendant la projection, j'ai moi
aussi beaucoup pensé à moi (rires) ! En toute modestie, mais
c'est vrai : Monsieur Lucas, qui passe pour un grand amateur de bandes
dessinées, a dû regarder les Valérian. Et cela
a continué par la suite.
Vous
n'avez jamais eu l'occasion de lui parler ?
Non,
il ne m'a jamais écrit, ni téléphoné.
C'est dommage parce que je parle très bien anglais (rires)...
S'il m'avait demandé, j'aurais peut-être dit oui. Cela
aurait pu être amusant. Mais, visiblement, il n'avait pas besoin
de moi. Et il n'en a toujours pas besoin : un copain américain
qui est passé chez son chef-décorateur, Doug Chiang,
avant la sortie de La Menace Fantôme, m'a confirmé
que Valérian et Les Extras sont en très
bonne place dans sa bibliothèque.
Avez-vous
eu d'autres mésaventures de ce genre ?
Il y a des coïncidences
troublantes aussi dans d'autres films comme Conan le Barbare, notamment entre la
tanière du grand méchant et les cuisines du Maître
des Oiseaux ! Tellement de gens travaillent dans les équipes
de décoration. Qui amène les idées ? Ce n'est
pas facile à cerner... J'ai
là par exemple un extrait du making-off de Independance
Day. Et, bizarrement, il y a des croquis de recherche pour des
vaisseaux spatiaux qui sont bien ressemblants avec celui de Valérian
dans L'Ambassadeur des Ombres... Planche 4 !
Comment
réagissez-vous à ce genre de 'découvertes'
?
Je
ne passe pas à mon temps à chercher ce genre de trucs,
mais ce qui est bien, c'est que cela commence à se savoir.
Libération a fait un article à ce sujet au moment
de la sortie française de La Menace Fantôme. Et
une revue de cinéma a fait le rapprochement entre Wattoo
et les Shingouz. Donc, je suis content que la presse en parle
un peu, c'est tout...
Ce
genre d''emprunts' existent aussi en BD ?
Alors
là, on ne va pas commencer ! Qui n'a pas repompé un
dessin qu'il aimait bien ? Évidemment, plus on entre dans le
domaine du fantastique et de l'imaginaire, plus les emprunts sont
désagréables... Mais arrêtons là, personne
n'a inventé un genre à lui tout seul...
Le
premier gros projet de cinéma dans lequel vous avez été
impliqué est le film de Peter Fleischmann, Un Dieu rebelle...
Oui.
J'ai commencé par aller me balader en Ouzbékistan en
1985 pour faire des repérages !
Vous
ne deviez pas être gêné par les touristes !
Ni
par les touristes, ni par rien d'autre (rires)... Enfin, si
: par les poteaux électriques qui entouraient la très
belle citadelle en ruines choisie comme décor ! En arrivant,
un matin au lever du soleil, dans ce petit coin de désert au
sud de la mer d'Aral, nous avons découvert qu'il y avait, accolé
à la citadelle, un petit village, des champs de coton, des
tracteurs, des bourricots, un grand mur de briques et des poteaux
partout ! L'équipe russe qui avait fait le repérage
photographique n'avait fait que des gros plans. Des images magnifiques,
mais que des gros plans !... Finalement, le film ne s'est pas tourné
là, mais en Azerbaïdjan et dans les studios de Yalta.
A l'origine, nous devions donner le premier tour de manivelle dans
des studios de Kiev, qui se situent à une cinquantaine de kilomètres
de Tchernobyl... en avril 1986 !
Finalement,
Un dieu rebelle n'a été tourné
que quelques années plus tard...
Oui,
en 1989. Je n'ai pas suivi, mais j'ai vu le film, qui est sorti en
salles huit jours à Paris en 1991. Ce n'était pas très
bon. C'est dommage parce que c'était un beau sujet... Je crois
que Fleischmann était un remarquable représentant d'un
certain cinéma allemand très contemporain et donc politique
(Scènes de chasse en Bavière, etc.), mais ce
n'était pas l'homme pour ce film mêlant Moyen-Age et
science-fiction, avec des bagarres, des chevauchées, des foules,
etc...
A-t-il
conservé beaucoup de votre travail d'origine ?
Non.
Il y a deux ou trois photos de tournage où des étais,
posés contre des murs, me renvoient vaguement à un de
mes croquis (rires)... Pourtant, j'ai quand même travaillé
sur ce projet pendant trois mois, et avec un grand plaisir. Je démarre
toujours au plaisir pur, mais la suite n'est pas forcément
à la hauteur de mon enthousiasme... Bon, j'ai quand même
eu droit à un séjour en Ouzbékistan et à
Moscou. Je me rappelle m'être retrouvé, un samedi soir,
coincé dans un ascenseur de mon hôtel russe (parce que
j'étais logé chez les russes, pas chez les touristes),
entre des officiers de l'armée soviétique couverts de
médailles, qui tanguaient dignement dans une forte odeur de
vodka. Un grand souvenir (rires) !
Le
film suivant, quelques personnes ont réussi à le voir
puisque c'est Le Cinquième Élément.
Avec Luc Besson, voilà enfin un réalisateur qui assume
ses références BD !
Oui.
D'ailleurs, quand il est venu me voir, il m'a dit : « Je
suis un vieux lecteur de Valérian et je trouve que les américains
vous ont pas mal pompé. Moi, je prépare un film de science-fiction,
je vous engage et je vous paie ! ». J'ai signé pour
cent jours de travail, ce qui était un gros contrat. Il a aussi
demandé à Moebius, mais Jean n'est venu que quelques
fois, nettement moins souvent. Une équipe d'une dizaine de
jeunes dessinateurs avait également été engagée.
Comment
s'est organisée votre collaboration ?
J'ai
d'abord lu le scénario, ce que les autres n'avaient pas eu
le droit de faire (le secret dans le monde du cinéma !). J'ai
beaucoup discuté avec le chef-décorateur, Dan Weil,
avec qui je suis devenu très ami, puis, pour imaginer à
quoi ressemblait ce New York du futur, j'ai crobardé très
librement des trucs d'approche, des vues panoramiques, l'astroport...
Nous ne dessinions pas les fantasmes de Besson. Nous apportions nos
interprétations. Chacun réagissait par rapport à
ce qu'il connaissait de l'histoire et, ensuite, Luc venait choisir
les choses qui l'intéressaient. Le principe, c'était
: « Allez-y, étonnez moi ! ». Moi, je l'ai
surtout étonné quand j'ai commencé à lui
dessiner des petits taxis volants, comme ceux que j'étais en
train de mettre dans l'histoire de Valérian, Les Cercles
du Pouvoir...
Les
taxis n'étaient donc pas prévus au départ ?
Non.
Le scénario que j'avais lu ne comportait pas de scènes
de voitures volantes. Le héros circulait en métro aérien
entre son boulot à l'usine de fusées et son domicile
de New York. J'avais dessiné mes taxis parmi les décors
que je proposais à Luc. Il les a trouvés marrants et
m'a demandé de lui en dessiner d'autres, ainsi qu'une voiture
de police. Puis c'est tout... L'année 1992 se termine, le film
va mal parce qu'il va coûter très cher. Face à
nos dessins, Luc et les producteurs de la Gaumont voient bien
l'ampleur du budget et la nécessité de trouver une distribution
internationale. Apparemment, les américains étaient
prêts à croire en Luc, mais ils voulaient le voir sur
le terrain. Donc, Luc arrête tout et va préparer Léon
à New York. L'équipe est dissoute et moi, bien sûr,
je retrouve Valérian et termine Les Cercles du Pouvoir...
et leurs taxis volants !
L'album
était terminé avant la reprise du film ?
Oui,
et je l'envoie à Luc à New York. Peut-être sa
lecture lui confirme-t-elle que les taxis peuvent être une bonne
idée (rires)... Léon fait un succès,
les américains investissent dans le projet, et le film peut
enfin redémarrer. Luc m'a bien sûr recontacté,
mais il n'y avait plus grand chose à dessiner. J'ai juste bricolé
deux ou trois scènes, notamment une se passant dans un garage
(et qui n'a finalement pas été tournée). J'étais
un peu étonné par ces nouvelles scènes... mais
c'était à mon tour de ne plus savoir tout ce qui se
passait ! J'ai été invité sur le tournage dans
les Studios de Pinewood à Londres, mais ce n'est qu'à
l'avant-première du film que j'ai découvert l'importance
de mes taxis dans l'histoire ! Finalement, les distributeurs américains
n'ont pas eu regretter leur investissement : à sa sortie aux
États-Unis, le film a été numéro un
pendant quinze jours, jusqu'à l'arrivée de Jurassic
Park 2. Les taxis volants étaient une bonne idée
!
Luc
Besson est un personnage souvent décrié. Humainement,
comment étaient les relations entre vous ?
Avec
moi, cela s'est toujours extrêmement bien passé. Il prenait
ce qui lui convenait de ma production journalière. S'il adorait,
il bâtissait sa mise en scène sur mes dessins... Bien
sûr, avec Luc, il y a une règle à respecter :
SILENCE sur le projet ! C'est pour cela que je me suis tu pendant
cinq ans. Mais c'est normal, il faut laisser les projets se mettre
en place...
Le
succès du Cinquième Élément a-t-il
amené de nouveaux lecteurs vers Valérian ?
Probablement.
En tout cas, le film a donné un sacré coup de projecteur
sur mon travail. Et cela se prolonge encore aujourd'hui... En plus,
Besson a renvoyé l'ascenseur de façon très sympa.
Il n'y a pas un article de l'époque où il ne dit pas
que c'est Jean et moi qui lui avons inspiré le Cinquième
Élément...
Depuis,
avez-vous reçu d'autres propositions de collaborations à
des longs métrages ?
Non...
Vu l'ampleur d'un film comme cela, il n'y a pas beaucoup de gens qui
peuvent s'y mettre en France... Quant aux américains, comme
on le disait tout à l'heure, ils n'ont pas besoin de faire
appel aux dessinateurs : ils se servent (rires) ! Cela dit,
j'ai reçu un petit mot très gentil du directeur américain
des effets spéciaux sur Le Cinquième Élément,
Mark Stetson, avec qui j'avais longuement discuté. C'est touchant
la fidélité avec laquelle tous ces gens ont reproduit
le moindre détail de mes croquis sur les décors qu'il
fallait réaliser en maquette et en vidéo...
Dernière
question : avez-vous d'autres projets que ceux que nous avons déjà
abordés ?
Oh,
du calme ! Je viens de terminer le Valérian Par
des Temps Incertains il y a une quinzaine de jours
et, bien sûr, tout ce que je n'ai pas eu le temps de faire depuis
un an me retombe sur la figure !... Déjà, le Correspondances
sur l'Ouest a démarré et je vais aller faire un
petit voyage là-bas en octobre avec mes crayons de couleurs,
histoire de voir si mes petits chevaux se portent bien... Et d'ici
là, plein de choses seront à nouveau sur le feu. Quant
à Pierre, il dit qu'il a déjà en tête le
scénario du prochain Valérian, le salaud (rires)
!
***
Novembre
2002 : sur quoi travaillez-vous en ce
moment ?
Ça
y est, le nouveau Valérian est vraiment commencé. Le titre de
travail est « Au bord du
grand rien ». Mais je n'ai pas arrêté de faire d'autres travaux,
comme l'affiche d'Utopiales, la nouvelle plaquette de timbres
2003 pour les TAAF, des illustrations pour le stand GM du Mondial
de l'automobile (mais leur voiture ne vole pas encore !) et...
d'autres trucs encore confidentiels. Bref, je ne manque pas de
pain sur ma planche à dessin !!!
Mais
que c'est-il passé depuis Novembre 2002 ?
Vous le saurez ... dans un prochain interview !