Autre monde ? Pas si sûr...

     Même si la société écrite par Christophe Lambert est celle de 2031, elle est à peine la caricature de la nôtre. Dans ce futur vraisemblable où la beauté règne en maître, où les emplois sont moins confiés aux gens compétents qu'à ceux dont le look atteint 5 dans « l'échelle de Schiffer », la jeune Karol finit par rejoindre un groupe de militants prêts à passer à l'action directe.

     Dans ce thriller haletant, qui se dévore d'une traite, et dont le style branché devrait séduire le public ado, Christophe Lambert aborde courageusement un problème actuel, sans manichéisme, et avec un réalisme qui suscite mille questions chez le lecteur. Mais plus que le récit, ce qui retient l'attention est la société décrite par l'auteur : un monde hélas très vraisemblable dans lequel mille détails suggèrent ce qui nous attend demain : un monde où la température a monté, une capitale où les jeunes aisés possèdent un e-coach, sorte d'hologramme chargé de veiller sur eux, où les passants circulent, chacun isolé dans sa « bulle holographique » qui diffuse son et images, où le nouveau moyen de locomotion, le R.E-Air, s'arrête à la station Tom Cruise, où Léonardo di Caprio a failli devenir Président des Etats-Unis... et où certaines voies du 28^ème arrondissement ( notre Neuilly actuel ) s'appellent rue du Président Sarko...

     Une caricature ? Hélas non, la loi du plus beau, si c'est le titre d'un excellent roman, est déjà sans doute une règle dont nous subissons depuis bien longtemps les conséquences. Et qui risque en effet de se durcir dans les décennies à venir.

     Grangé a du talent. Il sait construire un récit et tenir en haleine.

     Ce thriller emmène le lecteur jusqu'au bout du cauchemar, et avec une logique implacable, dans une Asie du sud-est que l'auteur connaît comme sa poche. Le style est encore plus soigné et efficace que dans les romans précédents du même auteur. C'est d'ailleurs grâce à l'écriture et au fait qu'on ne peut décrocher la lecture de ce récit que...j'ai été au bout.

     Car cette histoire est plus que noire, glauque ou sordide... Elle est plus que sanglante, c'est une vraie plongée dans l'horreur . Et... je suis davantage adepte de la rigueur et de la vraisemblance que de l'étripage systématique. Le problème est que la rigueur et la vraisemblance sont également au rendez-vous, et jusqu'au bout.

     Mais on sort de cette histoire, à l'image du seul personnage rescapé ( une surprise finale... ) de la même façon qu'après une longue apnée : quelle joie de retrouver l'air pur !

     Etrange et attachant récit que celui-ci... celui de Christopher, un enfant-pas-comme-les-autres puisqu'il est autiste. La découverte d'un chien assassiné va le conduire à une enquête relatée à la première personne. Un journal intime imaginaire et savoureux, rédigé par un enfant qui porte sur le monde et les adultes un regard lucide, distancié, à l'image de son handicap qui lui permet de comprendre souvent ce qui échappe aux gens dits « normaux ».

     L'auteur ( anglais ) captive son lecteur au moyen d'une véritable enquête policière qui va l'entraîner à une découverte finale étonnante, et ce au moyen d'un style particulièrement fort et original.

     Marc Haddon est également un auteur jeunesse. Il a mis ses qualités ( concision, simplicité, efficacité ) au service d'une histoire à la fois cruelle et édifiante.

     Ce récit m'a d'autant plus touché que l'autisme est une maladie que nous connaissons bien car la fille d'un ami très proche en souffre.

     Chaque année, mon plus vieil ami, Michel Ballageas, me rend visite au Fleix et il m'offre un livre, dont l'auteur ou le sujet tournent autour de l'écriture, de l'Allemagne, de la dernière guerre ou de la réflexion politique ( Michel, comme son épouse est prof d'Allemand )... quand ce n'est pas autour de tous ces sujets à la fois. Et Michel fait toujours mouche, choisissant un texte de grande qualité que je n'ai pas lu !

     L'an dernier ( non : il y a deux ans je crois ), il m'a apporté L'écriture ou la vie de Jorge Semprun et cet été... ce fameux Liseur ( der Vorleser ).

     Un chef d'œuvre.

     La confession d'un homme qui, à quinze ans, a connu une femme, Hanna, dont il a été l'amant. Une femme que l'auteur, devenu adulte et juriste, retrouvera plus tard sur le banc des accusées, quand il découvrira qu'elle avait été, à la fin de l'occupation, l'une des gardiennes d'un camp nazi.

     Le secret d'Hanna est vite éventé par le lecteur. Mais l'avoir deviné n'empêche nullement la lecture de ce récit bouleversant, servi par une écriture d'une simplicité exemplaire. Car Bernhard Schlink illustre l'axiome selon lequel j'affirme ( dans je suis un auteur jeunesse ) qu'un auteur vieillesse raconte souvent des faits simples d'une façon complexe, alors qu'un ( bon ) auteur jeunesse relate des choses compliquées de façon simple.

     L'auteur parvient ici à poser au lecteur les questions les plus graves, concernant les notions de responsabilité et de culpabilité certes, mais aussi d'autres concernant l'identité, la culture, l'influence du milieu familial, les rapports humains...

     On ne sort pas de cette lecture indemne — surtout, sans doute, quand on connaît l'importance de l'écrit, du livre, de l'imaginaire...

     Cet ouvrage pourrait-il être abordé par des ados ? Je l'ignore. Mais si j'avais eu la chance de le lire à quinze ans, il aurait sans doute changé ma vie et ma vision du monde. A près de soixante ans, il m'a arraché des larmes, suscitant en moi une émotion rare...

     Merci, Michel !