Christian Grenier, auteur jeunesse
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     Ces pages ne seront plus mises à jour ( pour l'instant ...).
Les notes de lecture étant publiées sur le blog chaque semaine, cela devenait difficile de mettre ces pages à jour en parallèle. Donc rendez-vous sur le blog pour les nouvelles "lectures de la semaine" ! CG, le Lundi 18 février 2013
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 Novembre 2010 : Les lectures de septembre-octobre 

  May le monde , Michel Jeury ( Robert Laffont , Ailleurs et demain )  
     May, 10 ans, est malade ( de la leucémie bleue ? ) et va mourir.
     Nous sommes en 2020 ( du moins dans le Monde 1, celui de May ), dans un monde presque identique au nôtre...
     C’est une Terre un peu moins peuplée et où l’on a vécu « la triple alliance Germanie, Britanie, France », mais surtout où les individus changent ; la présence d’une coccine, un insecte, témoigne des moments précis où l’on devient différent — à moins que ce ne soit le monde qui ne se modifie ?
     May est en convalescence à la Magerie, dans la région de Vésone ( le Périgord ! ), chez son grandp’ en attendant le résultat d’analyses qui tardent à venir. May, suivie de près par Isabella ( son infirmière ) se lie d’amitié avec la docteure Anne et ses compagnons, Nora, Lola et Thomas – mais aussi avec le beau Black Athanase dit Thano ( Thanatos ? ).
     Le bruit court qu’une panthère s’est échappée... mais en réalité, les hélicos qui survolent la région sont peut-être en quête d’une virusine, un virus femelle responsable de la fièvre de Suru ? Comment savoir ?
     Tandis que le monde change autour de May – mais c’est un effet de la décohésion — vivent dans le Monde 2 ( très proche de la fantasy ) le double frère de May : Mark-le-naïf et Léo-le-futé, ainsi qu’Isabella et Judith, aux prises avec Ali Hassan et la reine Samara Ming
     Ah... il faut savoir que le Prince Président, qui gouverne le Monde 1, est contesté par une opposition qui a le cochon pour emblème. Et que les odeurs ( notamment celle, suspecte, d’un savon envahissant aux allures d’antiseptique ) sont très présentes dans cet univers où, au sein d’une nature exubérante, règnent mille animaux divers dont les étranges oiseaux-chemises...
     De monde en monde, de changement en changement, les personnages finissent par gagner la Station ; et ils ne font que se rapprocher de l’issue fatale : la mort de May, May dont l’ultime changement pourrait bien être la faculté de créer son propre monde, où hums et animaux seraient réconciliés, peut-être bien un « œuf-monde où l’eau et l’air seraient mêlés... »
     Difficile ? Non, passionnant !
     De l’aveu de Michel Jeury, c’est là son « testament de SF ».
     Une œuvre littéraire qui bouscule tous les tabous....
     D’abord celui du langage !
     Tant qu’à faire de vivre dans un monde à la fois futur et décalé, autant utiliser un vocabulaire qui traduit ces modifications. Certes, l’expérience en SF avait déjà été tentée, avec la jouissive nouvelle Tout smouale étaient les Borogoves de Lewis Padgett – sans parler des Prédateurs enjolivés de Pierre Christin ( le père de Valérian ) ou de Surface de la planète de Daniel Drode ( deux romans trouvables en Ailleurs et Demain ).
     Eh oui, au milieu « des farfas, des lutons, des êtres d’une autre brane », là où « Roussette a jouflé son morpi », et où « May biche un riro pfu et court vers l’escalier », Anne ( qui porte un djinn en guise de pantal ) peut grimser ( sourire ? ) ou s’interroger en murmurant : « J’ignore quelles chiteries elle a pu baller dans sa potion, mais si elle a bu tout ce qui manque (...) elle est peut-être en train d’errer dans la forêt, à moitié schmeue... »
     On trouve aussi des proverbes ( Michel Jeury en est friand dans ses romans de terroir ! ) joliment modifiés, comme : « Elle fait contre grosse pète bonne bine ».
     Eh oui, en marge du temps, Jeury lorgne parfois du côté de Claude Simon ! La grammaire en prend alors un coup, car on peut parfois lire : « Je reviens la chambre, ferme les yeux. Arrivent, sont ici-là. Femme rousse, losange au bras, docteur Blocus. Homme très brun, pas de losange. Ils ressemblent un peu des chevaux. En plus, peur, haine. Peur maintenant. Je veux non coma. Fuir loin. »
     Ou encore : « Il aboie doux, loin. Je marche vers, j’ai très confiance. Jamais perdue. »
     Bouh... c’est donc difficile à lire ? Pas du tout ! D’abord grâce au talent de l’auteur, et surtout pour un amateur de SF ( ou de littérature, tout simplement ! ) et même si l’on est – ouf — assez loin de Marc Lévy ou Guillaume Musso.
     Ensuite, Jeury – j’allais dire « comme à l’accoutumée », bouscule les notions de réalité et de perception avec, en filigrane, ces questions jamais posées :
     Et si nous avions le pouvoir de changer le monde ?
     Et si chaque individu créait – de seconde en seconde – son propre monde ?
     Et si, parfois, il nous arrivait de nous croiser dans un « œuf monde », un « rêve de monde » ?
     Ceux qui connaissent Michel savent peut-être qu’il y a vingt ans, il a subi bien malgré lui une étrange « absence » qui l’a contraint à déambuler, mémoire provisoirement perdue, dans le labyrinthe de la bambouseraie d’Anduze où il vivait à cette époque, une expérience dont May le monde pourrait bien être l’un des échos...
     Un conseil : le lecteur qui serait égaré dans les lois gouvernant May le monde ( et la nuit du temps ) pourrait se reporter aux chapitres dans lesquels le Pr Goldberg livre d’utiles explications concernant les ( nouveaux ) domaines d’égologie et de mondologie, de saint Augustin à Feynman. Il admettrait alors mieux les règles du monde de May, opposées à celles de notre propre univers « vernien » qui a sans doute atteint sa cohésion finale et est ainsi « bloqué dans une ankylose définitive »
     Pourquoi ce texte m’a-t-il autant séduit ? Peut-être parce que...
     Michel Jeury a, belle audace, choisi une héroïne âgée de dix ans ! J’aime à penser qu’il est attaché à la littérature jeunesse depuis que j’ai eu la chance de le publier en Folio-Junior SF.
     L’univers de May offre certaines parentés avec mon vieux ( et maigre ) Il faut tuer le spoq et la conclusion de mon ( plus ambitieux ) roman Mission en Mémoire Morte.
     Il offre au lecteur exigeant une vertigineuse série d’interrogations littéraires et mentales.
     Que de clins d’œil au lecteur avec ces « contes d’Anderson », ( Andersen... ou Poul Anderson ? ), ces « cornes de slan » — mais aussi la présence de l’écrivain des Fourmis Willard Berwer, du peintre Watteau ( son tableau La pause au gué témoigne de la connaissance qu’avait le peintre du changement ) de l’auteur Saint Menoux ( en réalité le héros du roman Le Voyageur imprudent de Barjavel )... j’en passe !
     Dans ce roman à la fois tendre, intime et joyeux, où l’on peut « se souvenir d’une vie qu’on n’a pas eue », Michel Jeury se propose toutes les audaces. Il renouvelle le langage avec une liberté et un humour toujours empreints de poésie ; il renoue avec ses vieux démons ( le nouveau roman, dont son superbe Le Temps incertain, il y a quarante ans, reste sur le plan SF un modèle du genre ; Jeury nous en offre un bref auto-clin d’œil p. 375 ! ) ; enfin, il nous offre mille et un tremplins de réflexion sur l’identité, la réalité, la vie, le rêve et l’existence... Oui : May le monde est un roman-univers à lire et à relire pour en savourer toutes les finesses, en explorer toutes les ouvertures.
     Vous hésitez encore ? Concluons donc par quelques extraits.
     D’abord une prophétie : Pour cette terre, tu veux savoir ? Les techniciens passeront les cinq prochains siècles à réparer ce qu’ils ont abîmé pendant le dernier. Puis la technique disparaîtra. Le Grand Lien reprendra le relais en douceur.
     Et puis quelques axiomes :
     Le bonheur, quand on l’attrape, n’est jamais loin de la chite.
     Le changement est le moteur de la vie.
     Tout ce qui est possible existe quelque part dans l’infinitude et l’éternété.
     Nous pouvons voyager en traversant la mort comme nous traversons le sommeil.
     Tous les mondes contiennent chacun de nous, chacun de nous contient tous les mondes.
     Toujours c’est maintenant, voilà le grand secret.

     Cet ouvrage vient de sortir. Je l’ai donc lu dans la prestigieuse édition argentée de la collection Ailleurs et Demain ; identique à celle de 1969, elle n’a pas pris une ride !
Vous pouvez aussi lire les notes de lecture sur d'autres livres du même auteur :
Angéline | Le Temps incertain et Soleil chaud, poisson des profondeurs | Le Printemps de Thomas | La petite école dans la montagne | Les secrets de l'école d'autrefois : Savoir lire, écrire, compter | Les gens heureux ont une histoire | Le dernier certif | Les beaux jours du docteur Nicolas


  Sens interdit , Danielle Martinigol & Alain Grousset ( Flammarion , Ukronie )  
     En ce début de XXIe siècle, à Tarakea, en Tanzanie, le jeune séminariste Mathis Clémantin est un Odorant Absolu – il sent toutes les odeurs !
     Cette capacité miraculeuse le rend précieux et dangereux.
     Précieux parce qu’il est la preuve vivante que l’antiviral que ses parents, décédés, ont testé sur lui quand il était bébé, est toujours efficace. Donc qu’il pourrait être appliqué à une humanité désormais dépourvue de l’odorat.
     Dangereux parce que les Flagellants, ces nouveaux fanatiques religieux maîtres du monde, ne peuvent admettre l’existence de ces êtres rarissimes... eh oui : les Flagellants doivent leur pouvoir aux castes qu’ils déterminent en fonction de la maigre capacité que possèdent désormais les humains de sentir : certains le Végétal, d’autres l’Animal ou le Minéral...
     Or, à Yverdon, en Suisse, le laboratoire pharmaceutique GenPharma, dirigé par Jean de Monestan, effectue des recherches dans ce sens – l’odorat ! Un jour, la nièce du PDG, la jeune Anne-Marianne, découvre en rangeant des documents la preuve que Mathis existe – et que le secret de cet antiviral peut être retrouvé. Seulement voilà : les Flagellants ont un espion dans la place !
     Bien malgré lui, Mathis se retrouve l’enjeu d’un combat qui oppose les obscurantistes religieux à une science qui aimerait rendre l’odorat à l’Humanité. Un combat dont les deux représentants positifs, Mathis et Anne-Marianne, deviennent vite tout à la fois les héros et les enjeux, face au diabolique Lucius Millepierre et à la mercenaire Bérengère, sa séduisante complice.
     Ainsi, Alain Grousset, qui dirige chez Flammarion la collection Ukronie ( lire ma critique de Ceux qui sauront, de Pierre Bordage ! ), a retrouvé sa fidèle complice Danielle Martinigol pour concocter ce véritable « thriller uchronique » !
     L’uchronie, faut-il le rappeler, est un récit qui se déroule dans un présent différent du nôtre parce qu’un événement du passé a bouleversé la donne. Rappelons que le grand classique du genre reste Le maître du haut château de Philip K. Dick ( 1962 ), récit d’une fin de XXème siècle inquiétante et japanisante où Hitler et les forces de l’axe ont gagné la deuxième guerre mondiale. Ici, l’hypothèse de nos deux auteurs est d’une rare originalité, et l’on sait que l’originalité, en SF, est de nos jours très demandée...
     Le point de départ de Sens Interdit ? En 1918, la fameuse grippe espagnole a non seulement tué des millions d’individus mais surtout supprimé la capacité de sentir. On vit depuis près d’un siècle dans un monde non pas sans odeurs... mais dans lequel les humains ne sentent quasiment plus rien !
     Et alors ? allez-vous rétorquer.
     Eh bien la réponse romanesque est étonnante, car Sens Interdit, comme le veut tout bon récit de SF, décline et conjugue toutes les conséquences de cette hypothèse ! Certes, notre monde est à peu près le même ( quelques injures ont changé, de Pue-Dieu à Mort-Nez... mais on lit toujours Douglas Kennedy et Pascal Quignard ! ), sauf que les intégristes catholiques ont sauté sur l’occasion pour affirmer qu’il s’agissait là d’une punition divine, et en ont profité pour asseoir un pouvoir et des conventions très particuliers.
     Nul doute que les amateurs du genre, jeunes et moins jeunes, goûteront en connaisseurs ce récit trépidant où l’action et les rebondissements servent de tremplin à une réflexion sur le Pouvoir et l’usage du bon sens... et des cinq autres !

     Une seule édition disponible, puisque l’ouvrage vient de sortir : un magnifique « grand format » dont l’illustration de Benjamin Carré, très Apocalypse now, rappelle le meilleur Manchu !


 
  Dieu voyage toujours incognito , Laurent Gounelle ( Anne Carrière )  
     Alan Greenmor est sauvé in extremis du suicide par un certain Yves Dubreuil, un riche et mystérieux psy qui a décidé de prendre Alan sous son aile en lui prodiguant des conseils... et surtout en lui donnant des ordres. Une sorte de pari qu’Alan relève, qu’a-t-il perdre ?
     Alan part de très bas : orphelin né de père inconnu, jeune employé ( dépressif ) d’une entreprise de recrutement dont le PDG est à la fois un requin et un filou, il vient d’être plaqué par la belle Audrey dont il était follement amoureux. Et il entretient des rapports conflictuels permanents avec son entourage, depuis Etienne, le SDF qui dort au bas de son immeuble jusqu’à Mme Blanchard, sa propriétaire qui vit au-dessus de son petit appartement.
     Peu à peu, Alan relève les défis ( de plus en plus étonnants ) que lui jette Yves Dubreuil. Mais un jour, irrité et intrigué, il décide de percer l’identité de celui qui est devenu tout à la fois son conseiller, son sauveteur et ( qui sait ? ) son âme damnée...
     Un point positif ( et non des moindres ) : ce récit se lit très facilement, d’une traite – il réconciliera sans nul doute les adultes fâchés avec la lecture !
     Ses défauts, mineurs, méritent pourtant d’être pointés du doigt...
     Un roman ? Parfois, on en doute ! Laurent Gounelle, « auteur de romans psychologiques », semble avoir imaginé le squelette d’une trame romanesque pour l’habiller de ses convictions et conseils, au point que ce récit pourrait aisément passer pour un « guide destiné à mieux se connaître et à aborder la vie de façon positive ». – c’est là de ma part moins une critique qu’un avertissement au lecteur ! En effet, les discours d’Yves Dubreuil semblent parfois extraits des articles du magazine Psychologies ! Bref, ce récit a l’allure d’un gentil thriller et le goût du Monde de Sophie, version non pas philo mais psy !
     Autre petit bémol : rédigé à la première personne, ce roman est cependant entrecoupé de passages dans lesquels l’auteur, omniscient, nous entraîne brièvement dans la vie d’Yves Dubreuil — sans toutefois nous livrer la clé de son identité.
     Un lecteur exigeant déplorera que l’auteur se soucie peu de littérature et habille son texte de descriptions sinon maladroites, du moins assez convenues. D’autre part, la succession ( bienvenue ) de coups de théâtre, dans les derniers chapitres, frise l’invraisemblance. Même si Gounelle boucle la boucle ( tous les mystères et faits accumulés s’éclaircissent ), c’est évidemment au prix d’un savant travail de préparation quelque peu artificiel : l’identité d’Yves Dubreuil, la rupture avec Audrey, l’ascension inattendue d’Alan Greenmor ( et la conclusion en forme de conte de fée ) sont empreints de bons sentiments qui irriteront certains.
     Mais au moins, on aura passé un bon moment, d’autant plus que l’auteur de Dieu voyage toujours incognito ( une formule empruntée à Einstein . ? ) semble connaître son Lacan sur le bout des doigts.

     Impossible de lire cet ouvrage récent dans une autre collection que celle de ce beau grand format !


  La part de l'autre , Eric-Emmanuel Schmitt ( Le Livre de Poche )  
     Le 8 octobre 1908, Hitler est recalé à l’Ecole des Beaux-Arts de Vienne.
     Le 8 octobre 1908, Adolf H. est admis à l’Ecole des Beaux-Arts de Vienne.
     Cette date fatidique est le point de départ non pas d’un, mais de deux récits parallèles, que l’auteur va relater en intercalant ( et en relatant dans le détail ) un certain nombre d’événements marquants.
     Dans le premier récit, ces événements sont réels, et d’ailleurs fort bien documentés – E.-E. Schmitt relate le suicide de la cousine ( désespérée et amoureuse ) d’un Hitler qui préserve sa virginité pour mieux concentrer son action ; il évoque même la brève cécité psychotique de ce héros au double visage, illustré par la couverture !
     Dans le second, il évoque l’improbable destin d’un peintre au demeurant médiocre, qui a le mauvais goût de s’évanouir à la vue d’un modèle nu – et qui, pour poursuivre sa carrière artistique, se fait soigner par... Sigmund Freud ! Un Adolf au fond assez sympathique qui perfectionne son art, et noue des relations fort amicales avec un Juif et... un homosexuel, qui mourra pendant la guerre et aura beaucoup plus de talent que lui ! Un Adolf H. enfin, devenu grand-père et qui mourra paisiblement en 1970...
     Ainsi, renouvelant un essai uchronique ( à peine ) amorcé avec son Evangile selon Pilate ( 2000 ), Eric-Emmanuel Schmitt pose clairement la question : « le destin du monde aurait-il été différent si Hitler avait été admis à l’Ecole des Beaux Arts de Vienne ? »
     La réponse ( oui ! ) a de quoi troubler le lecteur. La thèse de l’auteur, ma foi fort pertinente, suppose que si le vrai Hitler, recalé, et blessé par cet échec, a nourri une amertume profonde ainsi qu’un sentiment de revanche, son double imaginaire Arthur H., qui lui, a réussi ( enfin... presque ! ) n’est pas devenu l’ignoble dictateur de l’Histoire.
     L’auteur s’explique d’ailleurs dans une postface sur ses hésitations à rédiger cet ouvrage – notamment les reculs de son éditeur. Ce dernier jugeait qu’un tel ouvrage pourrait flirter avec le révisionnisme, ce qui n’est évidemment pas le cas !
     Au-delà de la moralité implicite du récit ( en substance : Hitler et Adolf H. sont le même individu, un homme comme vous et moi, mais un événement a radicalement orienté leurs deux destins dans des directions différentes ), c’est évidemment son aspect uchronique qui a retenu mon attention.
     Bref rappel : une uchronie est un récit qui se déroule dans un présent différent parce qu’un événement du passé ne correspond pas à l’Histoire telle que nous la connaissons.
     A cet égard, La part de l’autre n’est pas une uchronie – ni l’ouvrage dans son ensemble, ni même la moitié évoquant le destin du peintre Adolf H.
     Pourquoi ?
     Tout simplement parce que l’histoire d’Hitler s’arrête au moment où il se suicide dans son bunker – et parce que celle d’Adof H., qui s’achève en 1970, s’attache bien davantage à l’individu qu’au contexte historique, social, scientifique, littéraire, culturel et politique d’un XXIème siècle dans lequel Adof H. serait devenu un peintre admis parmi les surréalistes.
     Et c’est là, sans doute, ce qui sépare la littérature de science-fiction de la littérature tout court : la première privilégie le social ; ses hypothèses sont de taille à bouleverser le monde et l’Histoire. La deuxième, elle, privilégie l’humain et l’individu, laissant au second plan les grandes interrogations métaphysiques ou sociales.
     Cela ne rend pas à mes yeux le roman d’Eric-Emmanuel Schmitt moins intéressant... il pourrait même au contraire inviter le lecteur néophyte à entrer en SF !
     Mais rendons à César ce qui lui appartient : si l’ouvrage d’E.-E. Schmitt est passionnant, l’idée de départ n’est pas si originale puisque Norman Spinrad publiait, en 1972, Rêve de fer, une uchronie dans laquelle Adolf Hitler, admis à l’école des Beaux-Arts de Vienne, finissait par émigrer aux Etats-Unis pour devenir un auteur de BD renommé avant d’entamer une carrière d’écrivain de science-fiction ; notre dictateur raté aurait notamment publié, en 1954, un étonnant roman de fantasy baptisé Le seigneur de la svastika !
     Cette jolie mise en abîme de Norman Spinrad se voulait sans doute une variation du modèle du genre, Le maître du haut château ( 1962 ) de Philip K. Dick, dans laquelle un écrivain, dans un monde devenu nazi ( et gouverné par Hitler Krupp 1er, puisque les forces de l’axe ont gagné la guerre en 1947 ) rédigeait une audacieuse uchronie suggérant qu’Hitler se serait suicidé dans son bunker en mai 1945 !

     Lu dans son édition de poche, à la couverture et à la reliure souples — autrefois, ce genre d’ouvrage voyait sa couverture brisée à la première lecture... que de progrès faits dans les colles !


  Chasses à l'homme , Christophe Guillaumot ( Fayard )  
     Soupçonné par l’IGS d’avoir violé ( et assassiné ? ) une prostituée, le jeune lieutenant de police Luc Caramany appelle à son secours son supérieur le commissaire Saint Hilaire.
     Ce dernier revient justement d’un congrès à Florence ; dans le train, il fait la connaissance d’une jeune Italienne qui semble très sensible à son charme – mais Saint-Hilaire résiste aimablement : il aime toujours sa femme Marthe, mystérieusement disparue voilà 17 mois. Depuis ce drame, sa fille ( de 27 ans, médecin légiste ) est entrée en conflit avec lui, lui reprochant d’avoir toujours fait passer son travail avant sa famille. Pire : elle est devenue la compagne de Wuenheim, le commissaire de l’IGS justement chargé de l’affaire Caramani ! La moralité du suspect semble pourtant le mettre hors de cause. Mais les faits sont têtus : on retrouve dans un tiroir du bureau de Caramany la photo de la prostituée, un poignard ensanglanté accroché au cordon d’un rideau... et, dans la cave de son immeuble, une femme tuée de plusieurs coups de couteau ! Comment Saint-Hilaire pourrait-il venir en aide à ce jeune Caramany qui, d’ailleurs, décide de s’enfuir ?
     Attention : il ne s’agit là que du premier quart d’un ( vrai ) roman policier trépidant, une double machination diabolique dont Caramany et Saint-Hilaire sont les victimes ! En guise de coup d’essai ( c’est son premier roman ), le capitaine de police Christophe Guillaumot nous livre un coup de maître : son récit, magistralement construit, se lit d’une traite. Et le lecteur, qui va de surprise en surprise, prend un réel plaisir à dénouer l’écheveau d’une intrigue surprenante, aux rebondissements inattendus.
     On attend un opus 2 avec impatience !

     Fayard nous a habitués à des grands formats et à des auteurs prestigieux ; aussi, c’est une surprise d’avoir ici un livre de poche souple et épais — 440 pages – d’un jeune auteur inconnu, et d’une lecture d’autant plus aisée que les caractères sont d’un corps important... idéal pour le train !


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