FLAMMARION
(Paris, France), coll. Imagine n° (12) Dépôt légal : mars 2000, Achevé d'imprimer : mars 2000 Première édition Recueil de nouvelles, 322 pages, catégorie / prix : 85,00 FF ISBN : 2-08-067741-1 Format : 13,0 x 20,0 cm Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
Une « poupée à tout faire » qui va résoudre de façon imprévue les problèmes de parents harassés, une terrifiante crise d'amnésie, une enquête sur l'origine des histoires drôles qui va se transformer en une drôle d'histoire...
Ce troisième des cinq volumes composant l'intégrale des nouvelles de Matheson — présentées dans l'ordre de leur composition et dans des traductions nouvelles ou soigneusement revues — correspond aux années 1954-1956, celles où l'auteur élargit encore sa palette : au fantastique, à la science-fiction, au suspense, s'ajoutent ici des incursions dans le western et l'humour le plus débridé, façon Fredric Brown ou Robert Sheckley. Mais c'est toujours dans l'art de donner corps à nos pires cauchemars que se fond la variété d'une inspiration faisant feu de tout bois. En témoignent quelques chefs-d'œuvre de noirceur comme « Le zoo », « L'examen » ou « Danse macabre ».
Harlan Ellison, autre grand spécialiste du récit court, salue ici un géant qu'il « aime, respecte... et maudit ».
Richard Matheson mène depuis 1950 une carrière jalonnée d'oeuvres mémorables dans le domaine du roman (Je suis une légende, L'homme qui rétrécit, La maison des damnés, devenus des classiques et autant de films) et de la nouvelle (« Né de l'homme et d'une femme » s'impose d'emblée comme un chef d'oeuvre). Scénariste pour La quatrième dimension, la mythique série télévisée, il a adapté les plus célèbres contes d'Edgar Poe pour le cinéaste Roger Corman et signé le scénario de Duel, le premier grand succès de Steven Spielberg.
1 - Harlan ELLISON, Un mot de Harlan Ellison (From Harlan Ellison, 1989), pages 7 à 9, introduction 2 - Le Zoo (Being, 1954), pages 11 à 52, nouvelle, trad. Jacques CHAMBON 3 - Le Conquérant (The Conqueror, 1954), pages 53 à 75, nouvelle, trad. Jacques CHAMBON & Daniel RICHE 4 - L'Enfant trop curieux (The Curious Child, 1954), pages 77 à 89, nouvelle, trad. Jacques CHAMBON & Michel DEUTSCH 5 - Cher journal (Dear Diary, 1954), pages 91 à 95, nouvelle, trad. Jacques CHAMBON 6 - Descendre (Descent, 1954), pages 97 à 115, nouvelle, trad. Jacques CHAMBON 7 - La Poupée à tout faire (The Doll that Does Everything, 1954), pages 117 à 128, nouvelle, trad. Hélène COLLON 8 - L'Homme qui avait créé le monde (The Man who Made the World, 1954), pages 129 à 135, nouvelle, trad. Jacques CHAMBON & Daniel RICHE 9 - L'Examen (The Test, 1954), pages 137 à 161, nouvelle, trad. Jacques CHAMBON & Roger DURAND 10 - Le Voyageur (The Traveller, 1954), pages 163 à 179, nouvelle, trad. Jacques CHAMBON & Arlette ROSENBLUM 11 - Au soir du monde (When Day Is Dun, 1954), pages 181 à 186, nouvelle, trad. Hélène COLLON 12 - Danse macabre (Dance of the Dead, 1955), pages 187 à 208, nouvelle, trad. Hélène COLLON 13 - Funérailles (The Funeral, 1955), pages 209 à 219, nouvelle, trad. Jacques CHAMBON & Paul HEBERT 14 - Miss poussières d'étoiles (Miss Stardust, 1955), pages 221 à 246, nouvelle, trad. Hélène COLLON 15 - Un cas d'école (One for the Books, 1955), pages 247 à 269, nouvelle, trad. Hélène COLLON 16 - Cycle de survie (Pattern for Survival, 1955), pages 271 à 275, nouvelle, trad. Jacques CHAMBON & Alain DORÉMIEUX 17 - Une tripotée de donzelles (A Flourish of Strumpets, 1956), pages 277 à 287, nouvelle, trad. Hélène COLLON 18 - Le Haut et gentil lieu (The Splendid Source, 1956), pages 289 à 310, nouvelle, trad. Hélène COLLON
Critiques
L'intérêt avec un volume de l'intégrale des nouvelles de Richard Matheson, c'est qu'on est sûr d'y dénicher à chaque fois quelques classiques. La poupée à tout faire, troisième des cinq tomes, ne déroge pas à la règle. Au rang des textes ultra-célèbres, on trouvera donc « Le zoo », où un pompiste a créé derrière chez lui un zoo dont les pensionnaires humains attendent avec angoisse le crépuscule. De même pour « L'examen » (précédemment publié sous le titre « Le test »), récit poignant où la solution à la surpopulation consiste à soumettre les personnes âgées, tous les cinq ans, à un examen éliminatoire. Véritable contrôle technique appliqué à l'être humain, il entraîne inexorablement la mort du candidat — par suicide ou injection mortelle — en cas d'échec. Dans le troisième grand texte du recueil, « Le haut et gentil lieu », un homme se lance à la recherche de l'endroit d'où viennent toutes les histoires drôles.
Les autres textes vont, comme d'habitude avec Matheson, du drame à la comédie, en passant par toutes les facettes de l'humour, même si l'auteur avoue une préférence pour l'humour noir et macabre (comme dans « La poupée à tout faire », sommet d'atrocité, ou bien dans « Funérailles »). Les inédits (au nombre de quatre, si l'on considère que « La poupée à tout faire » fut pré-publiée dans « Ténèbres ») ne contiennent pas de chef-d'œuvre, comme il fallait s'y attendre, mais des petits bijoux d'humour : « Miss Poussière d'étoiles » brocarde les élections comme celle de Miss France ou Miss Monde, tandis que « Une tripotée de donzelles » nous propose des prestations à domicile d'une bien curieuse sorte.
Bref, pour ceux qui connaissent Richard Matheson depuis longtemps, cette intégrale est une aubaine car elle permet de faire le tour des textes courts de cet auteur. Pour ceux qui ne le connaissent pas (mais en reste-t-il ?), ce tome est un bon point d'entrée, mais il est vivement conseillé de se procurer les deux tomes déjà parus et de guetter les deux suivants.
Heureux hasard du calendrier, la publication de La Poupée à tout faire (troisième tome des cinq que comprendront l'intégrale des fictions courtes de Richard Matheson) a cette année coïncidé avec la venue en France de l'auteur en personne, venu recevoir à l'occasion du festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo un hommage que le public hexagonal brûlait de lui témoigner depuis des années.
Avec ce volume, les lecteurs français seront comblés. En effet, nous atteignons indubitablement ici un Everest mathesonnien. Entre 1954 et 1956 (la courte période dans laquelle ont été écrites les dix-sept nouvelles qui composent ce recueil), Matheson est encore un nouvelliste prolixe et inclassable. Mais s'il transgresse toujours allègrement les frontières entre science-fiction, horreur et fantastique, il développe à présent une nouvelle dimension de son œuvre : celle de l'humour. Bien entendu, une certaine forme d'humour noir apparaissait déjà chez lui, dès Né de l'homme et de la femme (dans le tome 1, Derrière l'écran). Mais on sent ici pour la première fois que Matheson cherche sciemment à faire sourire son lecteur, et plus forcément à le faire grincer. On s'en convaincra à la lecture de textes comme Cher journal, Funérailles, Miss poussière d'étoiles, Une tripotée de donzelles, et le franchement burlesque Haut et gentil lieu.
N'en concluons pas pour autant que Matheson ait troqué sa plume acérée contre le nez rouge du fantaisiste. Ses nouvelles demeurent sombres pour une large part, et mettent en scène le héros-type mathesonnien : cet homme ordinaire qui, sous le regard impuissant du lecteur, sombre peu à peu dans le cauchemar au milieu d'une incompréhension générale (L'enfant trop curieux, Un cas d'école). Oppression à tous les étages encore avec L'examen (que diriez-vous si votre père, comme toutes les personnes âgées, devait passer régulièrement un test qui détermine si sa vie offre encore quelque intérêt pour la communauté ?), et horreur sans fard avec Le zoo (un pompiste capture les automobilistes isolés pour les livrer en pâture à une chose venue d'ailleurs), où l'auteur s'amuse à adopter à tour de rôle le point de vue de chacun de ses personnages. Matheson est ici au sommet de son art : jamais il n'a aussi bien maîtrisé cette technique innée qui lui permet, en une poignée de pages, d'amener le lecteur exactement où il l'a décidé. Inutile de lutter : la poupée à tout faire, en fin de compte, ce sera vous !
Chacun trouvera son compte dans ce recueil : les aficionados redécouvriront avec plaisir certaines des nouvelles les plus célèbres de l'auteur (Comme ce Cycle de survie, subtil et poignant, sa meilleure nouvelle à ce jour), et seront même gratifiés de quatre inédits (un argument de poids quand on sait le peu de déchet qui caractérise le travail de Matheson au milieu des années 50). Les novices se régaleront quant à eux de ce qui constitue la marque de fabrique de l'auteur : la nouvelle à chute, à laquelleatheson s'autorisait encore régulièrement le recours (La poupée à tout faire, L'homme qui avait créé le monde), et qui exerce toujours la même séduction sur le lecteur près d'un demi-siècle plus tard.
Gageons qu'avec ce nouveau volume, Flammarion achèvera de gagner son pari : faire découvrir et aimer à une nouvelle génération de lecteurs l'un des plus talentueux nouvellistes contemporains. Rassembler et diffuser cette œuvre est d'ailleurs bien plus qu'un pari : c'est un acte d'utilité publique.
[Critique commune à Intrusion et à La Poupée à tout faire]
Suite de l'intégrale (ou peu s'en faut) des nouvelles de Richard Matheson — avec au total cinq volumes prévus. Francis Valéry s'étant longuement et patiemment intéressé aux textes composant le premier volume (cf. Bifrost 14), nous nous intéresserons aux suivants de façon plus succincte. Au sommaire de ces deux opus, 30 nouvelles, offrant une bonne perspective des différentes facettes de Matheson. Tout d'abord, il y a bien sûr ces récits ancrés dans la banalité du quotidien, que l'auteur va imperceptiblement faire dévier vers quelque chose d'autre : c'est un homme qui ne se souvient plus de l'endroit où il a garé sa voiture (« L'Enfant trop curieux »), c'est un enfant qui pleure dans le noir (« Tina a disparu »), quelqu'un dont soudain personne ne semble se souvenir (« Escamotage »), ou un coup de fil anonyme (« Appel longue distance »). Dans ce registre, popularisé au petit écran par la série Twilight Zone, Matheson passe pour un maître. Ce n'est pas le seul auquel il s'est essayé. Certes, lorsqu'il s'adonne à la nouvelle humoristique, les résultats sont plus mitigés. Tantôt il sort la cavalerie lourde (« Funérailles », où un employé des Pompes Funèbres reçoit la visite de divers personnages de la mythologie fantastique, ou « Une tripotée de donzelles », pochade sans grand intérêt mettant en scène une nouvelle forme de prostitution), tantôt il ressasse de vieilles plaisanteries éculées (« Cher journal », relatant les tracas de la vie quotidienne a diverses époques ; « L'homme qui avait créé le monde », le titre dit tout). Parfois, aussi, le résultat est plus convaincant, comme dans « Miss Poussière d'Étoiles », que n'aurait pas renié Robert Sheckley ou « Une Armée de conspirateurs », narrant les malheurs d'un paranoïaque.
D'autres textes, pas forcément les moins intéressants d'ailleurs, relèvent d'une S-F ou d'un fantastique des plus classiques : « Le Dernier jour » ou « Descendre », côté S-F symptomatiques des peurs des années cinquante, « La Maison du crime » ou « Paille humide » dans le registre fantastique. À l'inverse, un texte comme « Danse macabre » surprend, tant il s'apparente plus volontiers à la science-fiction de la décennie suivante. Enfin, plus anecdotique, on trouvera dans ces volumes une nouvelle policière, « Toilettes pour hommes seuls », ainsi qu'un western, « Le Conquérant ». Le résultat est aussi varié qu'intéressant.