Né en Belgique en 1887, Jean Ray est mort en 1964. Tout comme Lovecraft, il a écrit des récits fantastiques, mais aussi des textes de science-fantasy très proches de la science-fiction. Malpertuis est son oeuvre maîtresse.
Dans sa chambre de Malpertuis, oncle Cassave va mourir et il le sait... Alors il convoque tous les siens et promet à chacun une rente mirifique à condition qu'ils viennent vivre ensemble, ici, dans sa chère vieille maison.
Aucun de ces sages petits-bourgeois du XIXe siècle finissant ne se doute qu'un terrible huis clos commence, que des forces d'une violence inouïe vont se déchaîner en eux, que, jaillissant des greniers, des meubles, des murs mêmes de Malpertuis, des monstres vont apparaître...
Et qui devinerait qu'oncle Cassave avait à sa mort plus de deux cents ans et qu'en 1630 un certain Quentin Moretus Cassave, savant à demi fou, cherchait à s'emparer de l'énergie non encore éteinte des dieux de l'Olympe ?
« Elle est là, avec ses énormes loges en balcons, ses perrons flanqués de massives rampes de pierre, ses tourelles crucifères, ses fenêtres géminées à croisillons, ses sculptures menaçantes de guivre et de tarasques, ses portes cloutées. Elle sue la morgue des grands qui l'habitent et le terreur de ceux qui la frôlent. La façade est un masque grave où l'on cherche en vain quelque sérénité. C'est un visage tordu de fièvre, d'angoisse et de colère, qui ne parvient pas à cacher ce qu'il y a d'abominable derrière lui. »
Sans même évoquer le Nouveau Testament ou le ciel gréco-romain, en littérature, dans les BD ou dans leur adaptation cinématographique, les Dieux humains ou à forme humaine ne manquent pas. Plus rares sont les ouvrages mettant en scène des Dieux déchus, même si là encore, les mythes religieux se taillent la part du lion : Satan ange expulsé aux Enfers, Prométhée, les Titans grecs … Plus près de nous on se souvient d’Américan Gods de Neil Gaiman, dans lequel les dieux de la société de consommation éclipsent les anciens, et bien sûr de Malpertuis de Jean Ray.
Dans la lignée de La chute de la maison Usher d’Edgar Allan Poe ou de La Maison aux sept pignons de Nathaniel Hawthorne, Jean Ray imagine une « tanière de l’angoisse » (selon l'expression d'Arnaud Huftier) habitée par de petits bourgeois dont l’existence se trouve menacée par des évènements terrifiants et imprévisibles. L’intrigue démarre par l’agonie de l’oncle Cassave, patriarche de la maison. Il lègue une immense fortune aux membres de sa famille (ou tout au moins à ce qui ressemble à une famille) à la seule et impérative condition que les survivants ne quittent jamais Malpertuis. Il y a là « Charles Dideloo, sa femme, tante Sylvie, et leur fille Euryale ; Mathias Krook, le commis du magasin de couleurs ; Nancy et Jean-Jacques Grandsire ; les trois sœurs Cormélon ; le cousin Philarète, taxidermiste de talent ; le Dr Sambucque ; le ménage Griboin, serviteurs du vieux Cassave, aidé de Tchiek ; le vieux Lampernisse, ancien propriétaire du magasin de couleurs ; et Eisengott ». A ces personnages s’ajoutent ceux de L’abbé Doucedame-le-Vieil, complice de Cassav et chef de l’expédition qui captura les Dieux grecs et enfin son descendant l’Abbé Doucedame-Le-Jeune, ami du jeune Grandsire et condamné à se transformer en loup-garou.
Jean-Jacques Grandsire est le principal locuteur du récit, reconstitué à partir de plusieurs manuscrits. Promis à un destin funeste, il assiste spectateur impuissant à la disparition progressive des habitants de Malpertuis. Tour de force du livre, chaque péripétie devient intelligible aux yeux du lecteur à la fin du roman. Tout s’éclaire, si l’on peut dire dans ce paysage de ténèbres, et les Dieux se révèlent enfin sous leurs tristes oripeaux.
Publié en 1943, Malpertuis et ses Dieux grecs réduits en esclavage par des Puissances Maléfiques métaphorise en quelque sorte l’agonie de la pensée rationnelle durant les sombres années d’avant-guerre et le conflit mondial qui suivit. C’est là toute sa force.