La collection « Bibliothèque du Fantastique » dirigée par François Ducos permet de faire le point, à distance, sur des auteurs de fantastique français et dont les textes ont paru ici et là de façon dispersée. Ce fut le cas de Christine Renard, de Jean-Louis Bouquet, et de Michel Pagel entre autres. C'est ici l'occasion de rendre hommage à André Ruellan — qui a signé certains textes Kurt Steiner, d'autres Kurt Walgar ou encore Kurt Dupont et a écrit des nouvelles pour V Magazine, Fiction ou Hara Kiri. André Ruellan a, de plus, publié un grand nombre de romans fantastiques dans l'ancienne collection Angoisse, et des romans de SF au Fleuve Noir Anticipation. Certes, ces textes remontent à une période légèrement enfouie dans le passé : on y sent revivre les atmosphères des années 50 à 80, mais comme dit l'autre, « le temps ne fait rien à l'affaire ». Quand c'est bon, c'est bon.

          Déjà Gérard Klein avait republié dans sa collection « Classique » deux textes extraordinaires, qui ne relevaient d'aucun genre alors connu mais qui anticipaient sur la vogue actuelle de la fantasy : Aux armes d'Ortog et Ortog et les ténèbres. François Ducos nous offre maintenant cette remarquable anthologie, précédée d'une copieuse introduction, qui nous propose deux romans, trente-sept nouvelles et des morceaux choisis, disparates et succulents : des aphorismes, sous le titre calembour de Déchets d'œuvres, et quelques poèmes/chansons. Une bibliographie complète clôt l'ensemble.

          Les deux romans De Flamme et d'ombre et L'Envers du masque relèvent explicitement du fantastique classique, par leur thème (présence de l'au-delà, fatalité du retour des mêmes événements à deux mille ans d'intervalle) et par leurs effets d'écriture, prévisibles mais bien venus. Les nouvelles présentent une plus grande originalité. Elles se partagent entre fantastique et SF. Mais dans l'un ou l'autre genre, ce qui les distingue c'est le ton, d'un humour triste — du Pierre Dac mâtiné de Cioran : elles méritent parfaitement leur titre de Contes au scalpel. En fait, on pourrait y voir une sorte d'humour anarchiste qui, bien qu'un peu daté, fait souvent mouche, comme il apparaît dans l'un de ces aphorismes : « Le refuge dans le rêve était névrotique. Le refuge dans la réalité l'est encore plus ». N'oublions pas qu'André Ruellan avait obtenu naguère le prix de l'Humour noir avec son Manuel du savoir mourir illustré Roland Topor.

          Ce recueil est à conseiller aux amateurs d'un fantastique à la fois classique dans ses codes et original par son écriture, à ceux qui aiment les jeux du langage, d'où tout lyrisme est banni et où le sarcasme pointe, là où un autre auteur laisserait poindre de l'émotion. Un univers bizarre à explorer ou à revisiter, avec émerveillement et nostalgie.