Le Fleuve de l'Éternité, long de trente-deux millions de kilomètres, serpente à la surface d'une planète spécialement remodelée par les Éthiques pour accueillir quarante milliards d'humains ressuscités.
Toute l'humanité et un extra-terrestre.
Dans quel but ? C'est la question que se posent Sam Clemens, Richard Burton, Jack London et Savinien Cyrano de Bergerac.
La clef de l'énigme se trouve-t-elle dans la tour géante entrevue au pôle Nord comme le prétend un « mystérieux inconnu » qui est apparu à certains d'entre eux ?
Avec celle de l'immortalité définitive.
Après un premier échec, nos héros remontent à l'assaut par la voie du Fleuve et par celle des airs, aiguillonnés par la volonté de savoir et le désir d'entraver les projets sinistres de certains des occupants de la tour.
La série du Fleuve de l'Éternité est un des chefs-d'œuvre les plus fameux de la science-fiction. Mêlant science-fiction, aventures et histoire, elle a reçu le Prix Hugo pour son premier titre, Le Monde du Fleuve, publié dans la même collection. Le Noir Dessein est le troisième volume d'une fresque qui en comporte cinq.
Au départ, la démarche intellectuelle de Farmer était un peu semblable à celle d'Andy Warhol, qui rêvait d'un cinéma « total », c'est-à-dire non plus une suite d'anecdotes mais une histoire complète avec les minutes superflues et les temps d'attente (foin des raccourcis et autres fondus enchaînés !). Farmer nous prévient de ses intentions en exergue de ce roman (qui fait suite au Fleuve de l'éternité, paru dans la même collection) : « Bien que certains habitants du Monde du Fleuve portent des noms romanesques, tous les personnages sont ou ont été réels. Si votre nom n'est pas cité, cela ne veut pas dire que vous n'y êtes pas. » Eh oui ! Les habitants du Monde du Fleuve, ce sont nos ancêtres, ainsi que nos modestes personnes. Et le roman « total » est inventé.
Vous me rétorquerez que, dans ces conditions, on doit obligatoirement retrouver le romancier lui-même dans ce Monde. Mais le fourbe a devancé cette remarque en incluant une préface, où il explique qu'il possède certains des traits caractéristiques d'un nommé « Peter Jairus Frigate » (P. J. F.), héros du livre. Voilà de quoi désamorcer bien des critiques et désarçonner bien des bibliographes — à part peut-être Jacques Chambon au Livre d'or duquel je vous renvoie (Farmer, Presses Pocket) pour de plus amples informations.
« Total », ce roman l'est aussi par la gigantesque autant qu'éclectique érudition de Farmer ; chaque personnage qu'il fait entrer en scène possède en effet une biographie précise et dense bien que succincte, qu'il s'agisse d'un baron du moyen âge, d'un acteur du cinéma hollywoodien ou bien d'un de ces énormes titanthropes, ancêtres bien improbables de l'homo sapiens. De plus, la prochaine fois que je ressens le besoin de fabriquer un bateau à aubes ou un dirigeable, nul doute que je prenne avec moi la série du Fleuve plutôt qu'un bouquin technique ! C'est vous dire !
Au fil du roman, on trouve même (pages 41 et 42) une définition de la SF, car figurez-vous que dans sa vie terrestre Peter Frigate n'était rien de moins qu'écrivain de SF ! Dans la foulée, on aura droit au récit de certains de ses démêlés avec les éditeurs (qui eux aussi sont ressuscites). On aura droit également à la description minutieuse de la vie et de l'organisation de deux utopies : la Ruritanie et Parolando, où rien n'est laissé au hasard, même pas le recyclage des déchets organiques. Et derrière tout cela, il y a l'humour monumental de Farmer, tellement « hénaurme » qu'on n'y croit pas, jusqu'à ce qu'on se sente piégé irrémédiablement dans sa logique dévastatrice et minutieuse.
Une mauvaise nouvelle pour finir : ce roman a une suite, qui doit paraître dans « Ailleurs et Demain » sous le titre Le labyrinthe magique... Et une bonne : après cette suite, il y aura au moins un autre volume sur le Monde du Fleuve, constitué de nouvelles n'ayant rien à voir avec l'intrigue principale.
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Amis lecteurs, plongez-vous quand même sans tarder dans ce Monde du Fleuve.
Il en va du cycle du Fleuve de l'Eternité comme de la cuisine exotique : on n'en mangerait pas à tous les repas, mais une fois de temps en temps, on le savoure pleinement. C'est en tout cas le conseil que je donnerais à tout lecteur désireux d'entrer dans l'univers créé par Philip José Farmer : surtout, ne pas consommer la série d'une traite, mais au gré de ses envies ajouter de temps à autre un plat au menu.
Car avec ce troisième volume, Le Noir dessein, apparaissent chez Farmer les premiers signes d'essoufflement. Sans doute dopé par le succès des deux volumes précédents, et peut-être sous l'amicale pression de son éditeur, il nous livre en effet un volume deux fois plus épais que les précédents, en nous avertissant d'emblée qu'il ne s'agit que de la première moitié de son dénouement (auquel il a depuis ajouté un volume supplémentaire). Ici, quelques gouttes de sueur perlent au front du lecteur sujet aux digestions littéraires difficiles : il pourrait bien tenir entre les mains un étouffe-chrétien de plus.
Et malheureusement, si les deux premiers volumes nous avaient mis dans d'excellentes dispositions, nous sommes ici contraints de déchanter. En effet, l'auteur se fait plus nombriliste qu'à l'accoutumée : d'une façon assez gratuite, certains passages sont prétextes à de longues envolées qu'on devine autobiographiques, puisqu'elles émanent de Peter Jairus Frigate, un personnage qui, outre ses initiales, possède de nombreux points communs avec Farmer). L'érudition, simplement sous-jacente dans les premiers épisodes du récit, semble quelquefois virer ici au pédantisme le plus éhonté. Quant à l'histoire, si elle est encore fréquemment palpitante (Farmer a tout du feuilletoniste d'antan), elle ne se renouvelle pas sensiblement dans ce troisième volume : après qu'un groupe de ressuscités a tenté de remonter aux sources du Fleuve avec un bateau à voiles (volume 1) et un bateau à vapeur (volume 2), ils se lancent cette fois-ci dans l'aventure avec un dirigeable. Pourquoi pas ? Il leur restera toujours les avions à réaction pour le volume 4...
Je me rappelle mon enthousiasme au moment où je refermais le premier volume du cycle, Le monde du Fleuve. Je n'imaginais pas alors que la série risquât de perdre en intérêt au fil des volumes. Je m'avançais un peu, je l'avoue... Farmer est humain, il a cédé à la facilité et au mercantilisme en étirant exagérément son intrigue. Mais cet homme sait y faire, on peut au moins lui reconnaître ce mérite. On s'ennuie très peu en lisant Le noir dessein, et sans préjuger de ce qu'on éprouvera une fois le cycle achevé (pleine satisfaction ou sentiment d'avoir perdu son temps sur la fin ?), le chroniqueur ne prend pas beaucoup de risques en supposant que la plupart des lecteurs parvenus jusqu'ici entameront avec plaisir et curiosité le quatrième volume, Le labyrinthe magique. À moins que ce ne soit avec un brin de masochisme. Mais seulement après avoir longuement et confortablement repris son souffle.