Robert A. HEINLEIN Titre original : The Man Who Sold the Moon, 1950 Première parution : États-Unis, Chicago (Illinois) : Shasta, 15 fevrier 1950ISFDB Cycle : Histoire du Futur vol. 1
C'était un soir splendide, après une journée où le ciel s'était fait nettoyer à fond par des orages. La catapulte rampait en droite ligne à l'assaut de la montagne ; on lui avait creusé de profondes tranchées. A l'astroport provisoire, Harriman, accompagné de visiteurs de choix, faisait ses adieux aux passagers et à l'équipage de la MAYFLOWER. On ferma la porte ; les signaux de départ s'allumèrent tout au long de la piste et sur la tour de contrôle. Une sirène mugit. La grande fusée partit tout doucement le long de la piste, montant lentement en prenant peu à peu de la vitesse, et fonça vers la cime lointaine. Elle était déjà toute petite quand on la vit bondir de la montagne et s'élancer dans le ciel. Elle fut une lueur dans le ciel, une boule de feu, puis... plus rien.
Harriman regardait.
"Il doit ressembler à Moïse, quand il contemplait la Terre Promise", dit Strong.
Robert Heinlein (1907-1988) est aux U.S.A. le classique suprême : des générations de lecteurs et d'auteurs sont entrés en S.-F. en lisant son Histoire du futur, une grande fresque des siècles à venir où l'humanité entre dans l'âge de l'espace, parfois à reculons. Heureusement, des hommes et des femmes ont gardé en eux la dynamique des pionniers. Ils sont prêts à affronter tous les détours du progrès.
1 - Préface et tableau chronologique, pages 7 à 13, préface, trad. Pierre BILLON 2 - Ligne de vie (Life-Line, 1939), pages 15 à 40, nouvelle, trad. Pierre BILLON 3 - "Que la lumière soit" (Let there be light, 1940), pages 41 à 64, nouvelle, trad. Pierre BILLON 4 - Les Routes doivent rouler (The Roads Must Roll, 1940), pages 65 à 118, nouvelle, trad. Pierre BILLON 5 - Il arrive que ça saute (Blowups Happen, 1940), pages 119 à 189, nouvelle, trad. Pierre BILLON 6 - L'Homme qui vendit la Lune (The Man Who Sold the Moon, 1950), pages 191 à 326, roman, trad. Jean-Claude DUMOULIN 7 - Requiem (Requiem, 1940), pages 327 à 351, nouvelle, trad. Jean-Claude DUMOULIN
Si l’histoire officielle n’a retenu que la date de 1969, c’est pourtant en 1950 que les États-Unis ont (re)posé un premier pied sur la Lune, pied dont le propriétaire n’était autre que Robert Anson Heinlein. C’est en effet à cette date que sort en salle Destination… Lune ! et en librairie L’Homme qui vendit la Lune, deux œuvres qui ont beaucoup fait pour populariser l’idée d’un voyage vers notre satellite auprès du grand public américain. Elles sont aussi l’aboutissement d’un travail entamé par l’auteur peu après la fin de la guerre, une série de textes qui, pour la plupart, s’inscrivent dans son « Histoire du futur » et prennent la Lune pour cadre. Notons en particulier «Jockeydel’espace» (1947) ou la difficile vie d’un pilote assurant la liaison Terre-Lune, « C’est bon d’être de retour » (1947) dans lequel un couple, après trois années passées à Luna City, décide de rentrer chez lui avant de réaliser qu’il n’y trouve plus sa place, et « Les Puits noirs de la Lune » (1948), une excursion familiale lunaire qui manque de peu de tourner mal. Ces nouvelles sont très loin d’être ce qu’Heinlein a écrit de mieux, mais elles eurent l’insigne honneur de paraître dans le Saturday Evening Post, l’un des plus gros tirages de la presse américaine de l’époque, guère habitué à ouvrir ses pages à la science-fiction.
Destination… Lune ! est sans doute l’œuvre d’Heinlein qui obtint le plus grand impact au moment de sa sortie. Un film de SF aux antipodes de ce que proposait le genre alors, ne sacrifiant pas la vraisemblance scientifique au spectaculaire, s’appuyant sur de solides effets spéciaux, et accordant autant d’importance et de minutie à ses préparatifs qu’à la mission elle-même. De son côté, L’Homme qui vendit la Lune s’intéresse davantage au montage du premier vol vers la Lune qu’à sa réalisation proprement dite. Et plus encore à son financement qu’aux problèmes techniques à résoudre. C’est son aspect le plus novateur, à une époque où il arrivait encore que l’on croise un scientifique génial capable de bricoler seul une fusée au fond de son jardin et de partir vers les étoiles. Heinlein met ici en scène l’un de ses héros les plus mémorables, D.D. Herriman, homme d’affaires hors-pair et margoulin de première, dont la volonté d’être le premier homme à atteindre la Lune vire à l’obsession. Pour financer son projet, Herriman fera feu de tout bois, multipliant les promesses pour faire les poches des grands industriels, développant les idées les plus délirantes, détournant la loi afin de devenir l’unique propriétaire du satellite, instillant dans la population à grand renfort de campagnes publicitaires l’idée que l’avenir de l’humanité se trouve là-haut. Outre l’inventivité permanente dont fait montre Herriman pour parvenir à ses fins, le récit est porté par sa gouaille inébranlable et un goût de la réplique qui fait mouche à tous les coups. Son histoire trouvera sa conclusion dans « Requiem », une nouvelle paradoxalement parue dix ans plus tôt, ce qui lui est malheureusement préjudiciable tant la façon dont Heinlein y traite son personnage est éloignée de celle adoptée dans L’Homme qui vendit la Lune.
Philippe BOULIER Première parution : 1/7/2019 Bifrost 95 Mise en ligne le : 3/11/2023
Ce recueil de nouvelles n'est pas, comme beaucoup d'autres, un simple moyen de publier des textes de qualité inégale. Les six récits prospectifs qui le composent constituent une véritable Histoire du Futur si on considère leur date de publication : comment imaginait-on la fin du XXe siècle vers 1940 ? En lisant cette anticipation ancienne, il est amusant de constater combien certaines extrapolations se révèlent justes, alors que d'autres sont encore aujourd'hui complètement irréalisables.
Ligne de vie
Certaines découvertes sont tout simplement contre nature. Dans cette tragédie, un inventeur prétend prévoir la date du décès de ceux qu'il examine. Le style ne correspond pas au drame, sans doute pour illustrer l'aspect rocambolesque de la vie en général.
Que la lumière soit
Qu'il est difficile pour un chercheur de profiter pleinement d'une découverte fondamentale ! Surtout lorsque celle-ci éveille les jalousies de gens puissants... Ici encore le ton est léger dans une histoire plutôt triste pour ce chercheur.
Les routes doivent rouler
Voici un texte centré sur le thème de la lutte des classes. Certains corps de métier peuvent s'estimer indispensables à la société. De là à en profiter pour exiger des avantages disproportionnés...Heinlein ne cache pas ses idées et ravale les révolutionnaires au rang qu'il leur croit dû.
Il arrive que ça saute
On oublie trop souvent le prix payé par certains pour notre petit confort personnel. L'auteur traite là de toute l'organisation nécessaire pour utiliser l'énergie atomique. Les hommes sont sur les nerfs, les psychologues surveillent les techniciens et les ingénieurs. L'atmosphère est étouffante, la tension est grande, mais la production continue...
L'homme qui vendit la lune
Les amoureux de la science ont toujours du mal à se rappeler tout ce que nécessite la réalisation d'un projet scientifique. Il faut non seulement être capable techniquement mais aussi trouver des finances. Or l'argent n'est pas détenu par les savants. Dans cette nouvelle, le coût d'une expédition sur la lune va être couvert grâce à l'action d'un fanatique excentrique et entêté : l'homme qui vendit la lune. Les méthodes font froid dans le dos, mais qu'importe, il faut que la fusée parte !
Requiem
On croit souvent que les riches ont réussi. Pourtant, rien n'est moins sûr. Que désirent-ils vraiment ? Ont-ils voulu être riches ? Sont-ils heureux ? Quel est leur véritable rêve ? Cette courte nouvelle dévoile le désir fondamental de l'homme qui vendit la lune.
Voilà donc comment passer un long après-midi à se divertir grâce à Monsieur R. Heinlein. Tour à tour amusant et tragique, sérieux et loufoque, le texte touche le lecteur de plusieurs façons et ne peut que lui laisser le désir de découvrir le reste de cette Histoire du Futur.
Premier Heinlein de la collection, qui a le bon goût d'offrir (p. 13-14) le tableau général de l'Histoire du Futur. Il est intéressant de lire p. 14 les « remarques » : cela situe l'arrière fond psycho-sociologique où il situait son futur. Un modèle proche du cyclique, avec les corrections possibles du type New Deal (Keynes). Dans la série, quelques beaux titres : Les vertes collines de la Terre, par exemple. Heinlein n'achèvera pas son histoire : entre temps, il s'est adapté à de nouveaux modèles de pensée.
Cela nous vaudra Révolte sur la Lune (Livre de Poche) et En terre Etrangère (Laffont). Dans ce livre des Presses-Pocket, nous avons aussi, en forme d'épilogue, la nouvelle Requiem, à visée pathétique. Sans être d'une actualité brûlante, ni d'un intérêt extraordinaire, cet ouvrage se lit fort bien. Il permet de se remettre en mémoire ce qu'était la SF des années 50, avec un texte exemplaire de cette époque. Et compte tenu du succès de cette œuvre, de voir ce qu'on attendait à la fois de la SF et de l'avenir. Ça donne à réfléchir. A lire en parallèle avec le documentaire récent Villes dans l'espace (Laffont).