DENOËL
(Paris, France), coll. Présences n° (35) Dépôt légal : mars 1997 Première édition Recueil de nouvelles, 690 pages, catégorie / prix : 280 FF ISBN : 2-207-24452-0 Format : 14,0 x 20,5 cm Genre : Science-Fiction
Ressources externes sur cette édition de l'œuvre : quarante-deux.org
Quatrième de couverture
Vedette de la télévision à qui tout le monde finit par ressembler, ancien combattant d'une guerre qui n'a pas encore eu lieu, obsession de l'hygiène et de l'« esthétiquement correct » conduisant à la pire des dictatures, société future où les auteurs de science-fiction du passé, considérés comme des prescients, sont vénérés... et consultés...
Ce troisième des quatre volumes regroupant toutes les fictions courtes de Philip K. Dick — présentées dans un ordre aussi proche que possible de celui de la composition, dans des traductions soigneusement révisées, et accompagnées parfois des commentaires de l'auteur qui ont pu être retrouvés — correspond très exactement à dix ans d'écriture. Une période beaucoup plus longue que la précédente pour moins de nouvelles, mais en chemin le roman a fait son apparition dans la production de Dick et se déploie parfois à partir des nouvelles, comme le montre, entre autres, « Ce que disent les morts », qui conduira à Ubik (1969).
C'est dire que nous entrons dans les créations les plus novatrices de Dick, celles qui devaient l'imposer à la fin des années 60 comme un écrivain incontournable. À la fois capable de formuler brillamment nos angoisses, de nous donner le vertige... et de nous faire rire.
Philip K. Dick (1928-1982) a laissé une oeuvre considérable tant dans le domaine de la nouvelle que dans celui du roman. Son approche de l'imaginaire est celle d'un écrivain-phare qui a définitivement marqué toute une génération d'auteurs et de lecteurs, mais il est désormais considéré avant tout comme un créateur puissamment original dont la vie et les écrits n'ont pas fini de nous bouleverser.
1 - Hélène COLLON, Préface, pages 5 à 8, préface 2 - Le Pessimisme en science-fiction (Pessimism in science fiction, 1955), pages 9 à 12, article, trad. Hélène COLLON 3 - Foster, vous êtes mort ! (Foster, You're Dead, 1955), pages 13 à 37, nouvelle, trad. Bruno MARTIN rév. Hélène COLLON 4 - Copies non conformes (Pay for the Printer, 1956), pages 38 à 58, nouvelle, trad. Marcel THAON rév. Hélène COLLON 5 - L'Ancien combattant (War Veteran, 1955), pages 59 à 114, nouvelle, trad. Hélène COLLON rév. Hélène COLLON 6 - Là où il y a de l'hygiène... (The Chromium Fence, 1955), pages 115 à 134, nouvelle, trad. Hélène COLLON rév. Hélène COLLON 7 - Question de méthode (Misadjustment, 1957), pages 135 à 157, nouvelle, trad. Marcel THAON rév. Hélène COLLON 8 - Un monde de talents (Autofac, 1955), pages 158 à 207, nouvelle, trad. Bernard RAISON rév. Hélène COLLON 9 - Consultation externe (Psi-Man Heal My Child!, 1955), pages 208 à 236, nouvelle, trad. Hélène COLLON rév. Hélène COLLON 10 - Autofab (Autofac, 1955), pages 237 à 267, nouvelle, trad. Daphné HALIN rév. Hélène COLLON 11 - Visite d'entretien (Service Call, 1955), pages 268 à 291, nouvelle, trad. Alain DORÉMIEUX rév. Hélène COLLON 12 - Marché captif (A World of Talents, 1954), pages 292 à 313, nouvelle, trad. Alain DORÉMIEUX rév. Hélène COLLON 13 - À l'image de Yancy (The Mold of Yancy, 1955), pages 314 à 341, nouvelle, trad. Jean-Pierre PUGI rév. Hélène COLLON 14 - Rapport minoritaire (What the dead men say, 1964), pages 342 à 388, nouvelle, trad. Mary ROSENTHAL rév. Hélène COLLON 15 - Phobie or not phobie (Recall Mechanism, 1959), pages 389 à 409, nouvelle, trad. Marcel THAON rév. Hélène COLLON 16 - Machination (The Unreconstructed M, 1957), pages 410 à 457, nouvelle, trad. Jean-Pierre PUGI rév. Hélène COLLON 17 - Le Retour des explorateurs (Explorers We, 1959), pages 458 à 469, nouvelle, trad. Emmanuel JOUANNE rév. Hélène COLLON 18 - Un jeu guerrier (War Game, 1955), pages 470 à 490, nouvelle, trad. Alain DORÉMIEUX rév. Hélène COLLON 19 - Si Benny Cemoli n'existait pas… (If There Were No Benny Cemoli, 1963), pages 491 à 517, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH rév. Hélène COLLON 20 - Un numéro inédit (Novelty Act, 1964), pages 518 à 554, nouvelle, trad. Emmanuel JOUANNE rév. Hélène COLLON 21 - Projet Argyronète (Waterspider, 1964), pages 555 à 593, nouvelle, trad. Michel DEMUTH rév. Hélène COLLON 22 - Ce que disent les morts (The Crawlers, 1954), pages 594 à 658, nouvelle, trad. Pierre BILLON rév. Hélène COLLON 23 - L'Orphée aux pieds d'argile (Orpheus with Clay Feet, 1987), pages 659 à 676, nouvelle, trad. Emmanuel JOUANNE rév. Hélène COLLON 24 - Hélène COLLON, Bibliographie, pages 677 à 680, bibliographie
Critiques
Troisième et avant-dernier volume de l'intégrale des nouvelles de Dick, ce recueil embrasse une décennie entière alors que les deux premiers ouvrages réunis ne couvraient que sept ans. Les textes, moins nombreux (vingt et un, soit une moyenne de deux par an), sont sensiblement plus longs. Entre-temps, Dick a découvert le roman. Certaines nouvelles annoncent d'ailleurs des romans à venir, comme Ce que disent les morts, qui préfigure Ubik.
Malgré l'ordre chronologique le plus proche possible de la composition, il est dès lors plus difficile de suivre l'évolution de la pensée de l'auteur, qui se développe sur quelques nouvelles avant de se poursuivre ailleurs. La simple lecture du recueil montre cependant que l'évolution de Dick n'est pas constante mais procède par à-coups : après une nouvelle radicalement novatrice suivent deux ou trois textes se rattachant à la précédente facture. Le thème de la guerre totale, lié à celui de la machine — comme on le voit encore dans Autofab — est progressivement abandonné pour celui du post-catastrophisme, où abondent les psi, précognitifs ou télépathes.
Parallèlement, puis en imbrication avec le thème précédent, se développe l'idée de la manipulation, politique surtout — qui trouve ses racines dans le contexte de guerre froide qui sévissait alors — , et qui débouche sur celle de l'altération du réel. Il s'agit d'abord de machinations que la dénonciation suffit à combattre : soldat soi-disant venu du futur ou robot semant de faux indices pour faire inculper un homme de meurtre. Le réel est d'abord perverti en réduisant la perception du monde à des dichotomies qui imposent aux gens de choisir leur camp (psi et non-psi, possesseurs d'abris antiatomiques et ceux qui en sont dépourvus, Puristes bannissant les odeurs corporelles et Naturalistes privilégiant les manifestations du corps), en orientant les regards pour cacher une portion de réalité : Le jeu guerrier suspect détourne ainsi l'attention des testeurs d'un banal dérivé du Monopoly qui pervertit l'esprit des enfants, les rapports truqués concernant le révolutionnaire Cémoli de Si Benny Cemoli n 'existait pas... permettent de faire oublier la chasse aux criminels de guerre.
Au fil des textes, la manipulation devient plus difficile à déceler : la pensée pré-mâchée, dans Àl'image de Yanci, propagande diffusée sur les écrans télé, décrit l'installation en douceur d'un état totalitaire. Rapport minoritaire, écrit dans la foulée, offre un pot-pourri des thèmes brassés ces deux dernières années. À partir du Retour des explorateurs, texte phare de cette décennie, l'origine de la manipulation n'est plus connue. L'explication sans cesse dérobée génère davantage d'angoisse et de paranoïa.
Cette angoisse trouve parfois un exutoire dans le rire (les situations bouffonnes, les remarques ironiques dont Dick émaille ses récits) jusqu'à donner de réjouissantes pochades où il met en scène les auteurs de SF.
On voit également ce que le roman a apporté à Dick en complexité et en densité du récit. Les premières nouvelles se réduisaient à des démonstrations, à partir d'idées parfois si simplistes qu'elles paraissent naïves (les hommes faisant dupliquer les objets ont oublié qu'ils sont capables de fabriquer un outil aussi simple qu'un bol) mais que son art de la mise en scène et de la suspension de la révélation rendaient crédibles malgré tout.
À présent, Dick développe souvent une intrigue secondaire, approfondit l'histoire individuelle de ses personnages : l'idée s'efface devant l'histoire. Elle n'apparaît plus dans le seul argument du récit, mais est ressassée en permanence. Ainsi, l'idée que les téléspectateurs deviennent tous semblables au personnage de Yanci (qui a pour modèle Eisenhower), déjà reprise dans La vérité avant-dernière, se retrouve, en marge de l'intrigue de Ce que disent les morts, dans la réflexion d'un des personnages : « Dieu nous protège d'avoir un homme pareil pour Président ! Imaginons qu'on devienne tous semblables à Gam ! »
Désormais, l'ensemble des thèmes sont agités ensemble et déclinés à tous les niveaux : la galaxie dickienne se met définitivement en place.