Le jour du grand cri, tous les humains qui avaient jamais vécu se réveillèrent, nus, sur les rives d'un fleuve immense, le Fleuve de l'éternité. Trente ou quarante milliards, issus de toutes les époques et de toutes les cultures, chacun parlant sa langue, chacun ayant sa conception de l'au-delà, et immensément surpris de se retrouver vivants.
Parmi eux, des ressuscités célèbres en leur temps, l'explorateur Richard Burton, Sam Clemens, alias Mark Twain, Jean Sans Terre, Hélène de Troie, Cyrano de Bergerac, Mozart, Ulysse. Et tous les autres.
Tous se demandent qui a construit ce monde impossible, qui les a ramenés à la vie. Et pourquoi ?
Il a fallu le talent immense de Philip José Farmer pour évoquer cet univers picaresque, démesuré, à la dimension du passé et de l'avenir de l'humanité, où se mêlent avec allégresse science-fiction, aventures et histoire authentique.
Le Monde du Fleuve a obtenu le Prix Hugo.
Le cycle du fleuve de l'éternité, qui compte parmi les chefs-d'œuvre incontestés de la science-fiction, comprend cinq volumes :
Imaginez un peu. Vous pensiez que vous étiez mort, et vous vous réveillez un jour dans un lieu inconnu, au bord d'un gigantesque fleuve, avec l'apparence de vos vingt-cinq ans, à ceci près que vous êtes entièrement nu et dépourvu de toute pilosité. Vous avez bien entendu gardé intacts les souvenirs de toute votre vie. Vous regardez autour de vous. Ils sont des millions comme vous, des milliards, des dizaines de milliards peut-être, de toutes cultures, de toutes époques, même de l'aube de l'humanité. Et ils ne comprennent pas davantage ce qui leur arrive.
Vous avez peut-être eu la chance de vous réveiller à côté de Sir Richard Francis Burton, le célèbre explorateur britannique qui découvrit au siècle dernier le Lac Tanganyika. Privé de ses splendides moustaches, Burton a cependant conservé l'âme intrépide et le charisme qui firent de lui un des plus grands aventuriers de l'époque victorienne. Et vous lui emboîtez le pas, comme Kazz, l'homme de Néanderthal, Alice Liddell (dont vous avez peut-être entendu parler si Charles Lutwidge Dodgson — alias Lewis Carroll — était connu à votre époque), l'extraterrestre Monat Grrautut, qui débarqua sur terre au XXIème siècle en provenance de Tau Céti, ou Peter Frigate, un simple citoyen américain. Quel est ce monde mystérieux qui s'ouvre devant vous ? Ce n'est pas le paradis, puisque vous y côtoyez de grands criminels de l'humanité. Ce n'est pas non plus l'enfer, puisque vous n'avez pas spécialement l'impression d'y souffrir. En outre, des appareils étranges subviennent automatiquement à vos besoins en remplissant régulièrement les récipients métalliques dont vous avez tous été généreusement pourvus, et que Burton a surnommés les graals.
Las ! l'humanité livrée à elle-même et précipitée de force à l'état de nature n'offre pas un spectacle bien réjouissant. Meurtres, viols, pillages, fanatisme, esclavage : l'homme reproduit dans cet Eden les pires schémas de sa planète d'origine. Car vous n'êtes plus sur Terre, l'observation des astres l'atteste. Mais où ? Et par la grâce de qui ? Embarquez-vous avec Burton sur le bateau qu'il a construit, vous trouverez peut-être toutes les réponses en remontant le cours du Fleuve jusqu'à ses sources, en un long et dangereux périple.
Couronné par le Prix Hugo en 1972, Le Monde du Fleuve compte au nombre des classiques de la science-fiction. On louera sans réserve l'habileté de Farmer, qui emprunte des éclats à divers genres littéraires bien définis (quête initiatique, roman d'aventures, roman picaresque) pour les enchâsser dans l'univers à la fois mystérieux et envoûtant qu'il a créé. Mais la vraie richesse du Monde du Fleuve réside surtout dans l'utilisation des personnages. Le choix de Sir Richard Burton (grand voyageur et découvreur, linguiste et ethnologue avant l'heure, il traduisit les Mille et Une Nuits et fut aussi le premier occidental à participer — travesti en arabe — au hâjj, le pèlerinage annuel à la Mecque), apporte notamment une touche d'une grande originalité et d'une non moins grande pertinence. Car si Burton a tout du héros de roman, il a aussi une face plus sombre, qui le rend fascinant : auteur de prises de positions antisémites, malheureux en amour, et surtout spolié de la plus importante découverte de sa vie — les sources du Nil — par son ami Speke, qui se suicida après sa trahison. Sa quête des sources du Fleuve de l'éternité prend alors une autre dimension, replacée dans la perspective de la vie du héros. La confrontation de personnages que tout oppose (langues, époques, cultures, religions...) génère également son lot de situations qui vont du cocasse au tragique, mais avec sous la plume de Farmer, un souci permanent et quasi-naturaliste d'authenticité.
Le Monde du Fleuve possède le souffle épique des plus grandes sagas du genre, c'est pourquoi il faudra ici adresser un avertissement au lecteur. Si pour vous un cycle romanesque de science-fiction est synonyme d'exploitation à l'extrême d'un filon mercantile, d'intrigue anémique étirée à la manière d'un vieux chewing-gum trop mâché, et donc de prodigieux ennui, la lecture du Fleuve de l'éternité risque de vous détromper, car vous aurez immanquablement envie, une fois arrivé à la fin du premier tome, d'en connaître la suite. Ne craignez pas que la magie s'émousse au fil des cinq volumes qui composent le cycle : le talent de Farmer et la richesse des possibilités de l'univers qu'il a imaginé apportent indubitablement au crédit de la formule. Et si vous hésitez encore à vous embarquer sur ce roman-fleuve... tant pis pour vous ! il vous restera l'éternité entière pour le regretter.