Appel à tous les limiers-robots : Recherchez cet homme. Nom : Montag. Signes particuliers : Refuse le bonheur obligatoire et rêve d'un monde perdu où la littérature ne serait pas bannie. Cet ancien pompier est un dangereux criminel : au lieu de brûler les livres, il les lit. Le chef-d'oeuvre de Ray Bradbury, dont François Truffaut a écrit et réalisé l'adaptation cinématographique avec pour vedettes Julie Christie et Oskar Werner.
Ray Bradbury est né en 1920 à Waukegan. Sa famille émigre à Los Angeles en 1934. Après avoir terminé ses études en 1938, il gagne sa vie en vendant des journeaux tout en commençant à écrire. Publie son premier conte en 1940. A également écrit des scénarios pour le cinéma, dont celui de Moby Dick (John Huston) et adapté nombre de ses nouvelles pour la télévision.
Après « Chroniques martiennes » et « L’homme illustré », « Fahrenheit 451 » (Denoël), prouve une fois de plus que, non seulement Ray Bradbury est le plus grand écrivain de S.-F. de notre époque, mais qu’encore c’est un esprit nettement subversif, pour ne pas dire asocial. N’ose-t-il pas de nouveau s’attaquer aux « digests » de toute sorte, à l’aboutissement systématique, à la civilisation mécanique, aux brûleurs de livres, à ceux qui empêchent les gens de penser, de réfléchir ? Jamais peut-être critique de l’« American way of life » ne fut plus féroce, plus amère et, en même temps, plus spirituelle. Le postulat de Bradbury est le suivant : les États-Unis ont déclenché et gagné deux guerres atomiques et, en attendant la prochaine, les pompiers, menacés de chômage (toutes les maisons ont été ignifugées), ont été transformés en corps d’élite (désigné « 451 ») et chargés de dépister et de brûler toute création de l’esprit (y compris son propriétaire à l’occasion). Mais voilà qu’un pompier, Guy Montag, rencontre une jeune fille, Clarisse, qui lui sème le doute dans l’âme. A-t-il raison d’être fier de son métier ? Est-il heureux ? Clarisse meurt, hélas ! mais le mal a germé et, un jour, Montag emporte subrepticement des volumes qu’il était censé détruire. Dès lors, il sera en butte aux persécutions de la société, une chasse à l’homme télévisée sera organisée, et seule la troisième guerre sonnera l’aube d’une nouvelle époque. Un des chapitres les plus extraordinaires de ce roman extraordinaire est la rencontre de Montag avec des « hommes-livres », d’anciens savants qui ont chacun appris par cœur un chef-d’œuvre de la littérature mondiale pour le transmettre oralement aux futures générations.
Deux nouvelles complètent cet admirable ouvrage. La première, intitulée « Le terrain de jeux », a tout d’un cauchemar – n’y voit-on pas un père se transformer en son fils, pour éviter à celui-ci des jeux trop brutaux ? – cependant que la seconde, « Mañana », est une satire impitoyable du dollar-roi et une action subversive de plus à l’actif de Bradbury. Nous y voyons un couple d’Américains retenus au Mexique par suite d’une guerre qui a détruit toute la race blanche et découvrant avec étonnement la haine que portent les indigènes aux « propres enfants du Bon Dieu ». Un volume dans la meilleure tradition de la collection « Présence du Futur », que je vous recommande chaleureusement.
Igor B. MASLOWSKI Première parution : 1/7/1955 Fiction 20 Mise en ligne le : 2/4/2025
« Fahrenheit 451 », la température à laquelle un livre s'enflamme et se consume....
Fahrenheit 451 conte l'histoire de Montag, un pompier qui commence à douter du bien fondé de sa mission : brûler tous les livres. Sa rencontre avec une petite fille qui lui pose des questions « indiscrètes » remet soudain en cause certaines de ses idées reçues. Il en vient à s'interroger quant aux raisons qui poussent certaines personnes à mourir pour du papier. Bousculé par ses incertitudes, Montag ira jusqu'à voler un de ces ouvrages et le lire. Il deviendra par ce geste un hors-la-loi condamné à fuir.
Ray Bradbury signe ici un des romans de dystopie (ou contre-utopie) les plus reconnus et considéré même comme un « classique » du genre, voire de la littérature dans son ensemble.
Cependant, cette qualification de « classique » peut aussi desservir le livre. En effet le lecteur s'attend a priori à un chef d'œuvre de très haut niveau, novateur et incomparable. Or, dans cette optique, Fahrenheit 451 risque de décevoir un peu, notamment parce que son héros demeure peu attachant et que son sort nous laisse indifférent. Certes il reste une grande œuvre mais qui a vieilli : trop courte peut-être, d'une écriture trop lourde, trop descriptive... C'est là sûrement un problème commun à bon nombre de « classiques » comme 1984 d'Orwell ou Le meilleur des mondes d'Huxley.
Néanmoins, dans les dystopies, l'intrigue importe moins que la description de l'univers créé, que l'étude des dérives possibles de notre monde à travers la peinture des vices d'une société conçue par l'auteur. Sur ces bases, la lecture de Fahrenheit 451 s'affirme très intéressante.
Si Orwell nous faisait réfléchir sur les dérives d'une société dictatoriale, si Huxley préférait étudier la déshumanisation à travers la prédestination et le clonage, Bradbury quant à lui étudie, à travers l'accessibilité aux livres, l'importance de la culture elle-même et les conséquences de sa popularisation. Pour cela il imagine une civilisation qui apparait pauvre, triste, et même artificielle (notamment avec la « famille » : cette émission de télévision où grâce à un logiciel les acteurs prononcent le nom du spectateur pour donner l'impression à celui-ci qu'il entre dans l'histoire). L'une des interrogations suscitées par cette société concerne la popularisation de la Culture (avec un grand C). L'un des personnages explique que la vulgarisation pourrait être une hypocrisie, puisqu'elle sous-entend que les livres permettent un accès plein et total à la connaissance alors que cet accès est en réalité restreint par le niveau intellectuel du lecteur. La Culture « populaire », de moindre valeur, s'oppose ainsi à un savoir plus « intellectuel » et plus difficile à aborder. La Culture de masse est une illusion qui masque en fait une forme d'élitisme. Ce paradoxe apparent reste une des questions qui nous trotte dans la tête en fin de lecture.
Fahrenheit 451 est donc un ouvrage fort dans la plus pure tradition de l'anticipation où dans la société créée par l'auteur on retrouve la nôtre. Un livre qui nous fait réfléchir même bien longtemps après en avoir tourné la dernière page.
Cette édition se compose en outre de deux nouvelles, de dystopie là encore :
La première, Le Terrain de jeux, pose la question de l'éducation des enfants à travers le regard d'un adulte. Pour la plupart d'entre nous, les souvenirs d'enfance demeurent des moments d'innocences et de joies, cependant, il faut le reconnaître, l'univers de nos chérubins n'est pas toujours marrant ni beau car ils peuvent être très durs entre eux. En caricaturant la brutalité des jeunes, Ray Bradbury aborde le thème de la violence des enfants comme passage obligé pour atteindre l'âge adulte. Pour cela, il crée un parc où les enfants se maltraitent véritablement, où la barbarie sert de système d'éducation et d'apprentissage. Le récit de ce père qui ne veut pas que son fils souffre comme lui a souffert, mais qui sait ce passage malheureusement inévitable, s'avère véritablement émouvant.
La seconde nouvelle se nomme Mañana. L'auteur y imagine la destinée d'un couple d'occidentaux en vacances en Afrique au moment où tous les « Blancs » disparaissent. Bradbury interpelle le lecteur sur le thème de la domination des européens en Afrique et ses diverses conséquences : les ressentiments que peuvent avoir les africains (ou n'importe quelles personnes dominées) vont ressurgir et s'extérioriser vraiment au moment de la disparition des oppresseurs. Si le comportement des personnages apparaît peu crédible voire même surréaliste, l'histoire reste belle, profonde et poignante.
Dans l'ensemble, le « classique » Fahrenheit 451 et les deux nouvelles qui l'accompagnent sont des œuvres dans la tradition de la dystopie, où l'auteur fait réfléchir sur notre monde à travers ses créations, où l'important ne réside pas dans l'intrigue mais dans le thème central et les questionnements qu'il suscite.