Christian Grenier, auteur jeunesse
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     Ces pages ne seront plus mises à jour ( pour l'instant ...).
Les notes de lecture étant publiées sur le blog chaque semaine, cela devenait difficile de mettre ces pages à jour en parallèle. Donc rendez-vous sur le blog pour les nouvelles "lectures de la semaine" ! CG, le Lundi 18 février 2013
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 Mai 2008 : Les lectures de mars et avril 
     Grosse rubrique — mais rien ne vous empêche de grappiller.
     Il va de soi que je n'évoque pas ici certaines lectures que je préfère passer sous silence ( le remarqué Tokyo Année Zéro de David Peace que j'ai, une fois n'est pas coutume, abandonné après 40 pages ! ), des relectures comme Une Vie de Maupassant, Le silence de la mer de Vercors, Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry ( relus au début de l'année en raison du passage à la télévision de leur adaptation cinématographique ), de nombreux morceaux de la correspondance de Flaubert, la biographie de Romain Gary... il m'arrive aussi fréquemment ( mais qui ne le fait pas ? ) de me replonger une heure ou deux dans un vieux texte, au fil de mes promenades dans ma bibliothèque.
     J'ai ainsi récemment feuilleté A l'est d'Eden de Steinbek, les Diaboliques de Barbey d'Aurevilly, Cyrano de Bergerac ( dictée oblige ! ) d'Edmond Rostand... j'en passe !
     Restent certaines lectures ou relectures intégrales assez marquantes pour que je leur consacre un article.

  La théorie du panda , Pascal Garnier ( Zulma )  
     C'est d'abord un petit livre bien séduisant, avec une couverture-emballage-cadeau. C'est ensuite un récit simple, grave, désespéré et beau. C'est enfin un road movie plein de réflexions, de métaphores, d'humour et de larmes rentrées : une histoire qui résonne longtemps en écho, ...
     Arrivé dans la gare d'une ville bretonne dont on ignorera toujours le nom, Gabriel se réfugie dans un hôtel modeste. La réceptionniste, Madeleine, est intriguée par cet homme mystérieux et solitaire. Gabriel veut dîner et il fait la connaissance d'un restaurateur voisin, José, qui lui confie son désespoir à lui : sa femme Marie ( c'est elle qui fait la cuisine ! ) est hospitalisée, c'est grave — que va-t-il devenir, que va-t-il faire de leurs deux enfants ?... Les deux hommes se rapprochent, grâce au porto et à la cuisine, car si José n'est pas un vrai chef, Gabriel n'a pas son pareil pour mitonner une épaule de veau ou du foie de veau au vinaigre balsamique...
     Peu à peu, on devine que Gabriel a vécu lui aussi un drame terrifiant, qu'il a, lui, pour de bon, perdu femme et enfant, et qu'il traîne un désespoir définitif pourtant dépourvu de haine.
     Arrive au restaurant et à l'hôtel un drôle de couple : Marco, qui est un peu trop pressé d'hériter, et son amie provisoire Marie, trop maquillée et trop attachée à lui... Gabriel les dépanne, leur achète un saxophone et voilà qu'ils sympathisent, sans doute parce qu'ils dorment dans le même hôtel, dans la même chambre — enfin, à un étage près... Avec Madeleine, qui est de plus en plus attirée par Gabriel, ils forment un drôle de quatuor auquel s'adjoint parfois José-le-désespéré.
     Car la mort rôde, au passé, au présent, au futur : maladies, meurtres, accidents... chacun finira par avoir sa part, comme si le souvenir obsédant de Gabriel devait, au fil de ses rencontres, trouver de nouvelles victimes pour mieux être digéré, y compris l'attachante Madeleine dont les touchantes avances ne semblent pas séduire son gentil client. Peut-être d'ailleurs a-t-elle tort d'insister, car Gabriel porte désormais la mort en lui, et il l'apporte à qui l'approche.
     En effet, le lecteur trouvera Gabriel, en fin de récit, plus seul qu'il ne l'a jamais été.
     Et puis, et surtout il y a ce panda, un nounours que Gabriel a gagné dans un stand de tir et donné à José. Un panda qui trône désormais près du bar, un ours dont les drôles de bras écartés rythment sans cesse le récit : des bras qui tour à tour accueillent, capturent ou miment l'abandon, l'infortune ou l'incapacité d'agir...
     Difficile, en quelques lignes, de restituer la force, l'originalité, la dérision et l'humour d'une histoire qui vous prend aux tripes et ne vous lâche plus.
     Polar ? Road movie ? Roman noir ? Journal intime détourné ? Leçon de vie et/ou de mort ? Qu'importe, on est dans la littérature ! Ceux qui connaissent Pascal Garnier le retrouveront ici tout entier avec sa bonhomie, son style incisif et efficace, son art de tourner des dialogues ( et des situations ) au bord du surréalisme et son goût du décalage permanent.

     Dernière minute : ayant adressé un mail à Pascal ( il faut révéler que nous nous connaissons... un peu et depuis un certain temps ! ) en l'informant de l'article que je me promettais de mettre en ligne, celui-ci m'a répondu : « pourquoi ne publierais-tu pas ce que tu viens de m'écrire ? Je m'en contenterais bien ! ». Soit ; mais cette correspondance au départ privée n'intéressera que ceux qui connaissent l'un ou l'autre des épistoliers et surtout, celles et ceux qui ont déjà lu le roman dont il est question.
     Voici donc, pour finir — une fois n'est pas coutume — la quasi intégralité du mail que j'ai envoyé à Pascal Garnier, qui me répondait en m'avouant sa méfiance des e-mails et son amour du stylo à bille !

     ***************
     Cher Pascal,

     Bon, j'admets que tu refuses l'usage des e-mails !
     Cela dit, j'adore le bic-cristal, moi aussi — au lycée, c'était même l'instrument à la mode et cependant interdit par les profs, qui nous obligeaient à écrire avec un stylo-plume.
     Aujourd'hui, j'ai encore une grande tendresse pour l'encre et une grande méfiance pour l'informatique. Comme pour la bagnole.
     Mais j'ai une voiture et un ordinateur, que veux-tu !

     J'ai fini La Théorie du panda. Si je te disais que ton livre m'a bouleversé, tu me croirais ? Oui, tu me croiras.
     C'est magnifique et désespéré.

     J'aurais mille choses à t'en dire.
     Quand je lis, je relève les passages qui me plaisent. Là, il m'a fallu y renoncer parce qu'au bout de cinquante pages, j'avais envie d'à peu près tout souligner.

     Le dialogue de la page 16, sans cesse interrompu par les infos, donne bien le ton du livre... d'autant que ces interruptions n'ont en réalité rien de gratuit, ces infos sont comme le rappel, le leit-motif permanent des souvenirs de Gabriel, de la vie-n'importe-quoi et surtout de la mort qui rôde un peu partout. Le lecteur averti ne s'y trompe pas.

     Eh oui, des phrases comme : dès qu'on est en marche, on va toujours trop loin. On ne s'en rend compte que quand il faut revenir. Parce qu'il faut toujours revenir.
     Là encore, Gabriel ( ou le narrateur indirect, ou les deux ? ) pressent qu'il va devoir payer. Lui ou d'autres. Ce qu'il a vécu aura de toute façon un prix.

     Ce que tu dis des deux jeunes meurtriers ( je pense à la fin, bien sûr ), ce que Gabriel en pense est à la fois terrifiant et vrai, tellement vrai.
     Le coupable, le vrai, courait toujours... et celui-là (...) ne serait jamais inquiété.
     Le pire étant le score de la France auquel tout ce petit monde prête la même oreille faussement distraite : meurtrier, victime, juge... épouvantable.
     Désespéré, désespérant sont sans doute les deux adjectifs qui me reviennent sans cesse à l'esprit, à l'image du monde dans lequel on vit. Avec, par surcroît, un Gabriel qui n'a même pas de haine, qui ne veut pas faire mal — y compris à cette Madeleine qui pourtant se perdra...

     J'évoque aussi ( dans le trop bref et imparfait résumé de ton livre ) le surréalisme des situations.
     Ainsi, cette clé, rescapée de l'armoire dévorée — quelle image, quelle métaphore !... « il la perdra et un autre la trouvera car c'est le devenir des choses de passer de main en main ».
     Là encore, la métaphore me paraît claire : il faut digérer le crime et la mort, mais il reste toujours une clé, les objets nous survivent ( ces quatre derniers mots sont de moi ! ) et deviennent de gré ou de force la clé des événements que nous avons vécu et/ou voulu oublier.

     J'adore aussi ces phrases « sans en avoir l'air » : les essuie-glaces font leur boulot, sans conviction. Ici, c'est toujours la pluie qui gagne.
     Ou, plus loin, en parlant des enfants : « en jouant avec eux, on collabore sans le savoir à notre propre perte ».
     L'air de rien, quand tu dis des trucs comme ça, ça va toujours très loin.

     J'espère que Marcus Malte aura apprécié ton clin d'oeil, page 120 !

     Un chapitre exemplaire : celui des pages 82 à 85... Tout est génial !
     Des saints « aux yeux cernés par une nuée de soucis mystiques » au chien assassiné... « je sais qui c'est » dit la dame. Et pour cause !
     On pense à Pierre Dac, à Desproges ( c'est un vrai compliment de ma part, tu t'en doutes ! ), à Ajar-Gary et surtout à Queneau, bien sûr... c'est délirant et la mise en abyme est permanente !
     Le chapitre de la langue de veau est lui aussi exemplaire, à tout point de vue...

     Bref, comment tout citer ?
     Un grand merci, Pascal, pour ce beau cadeau : le livre, sa lecture, toutes les réflexions et émotions qu'il a soulevées.

     Je passe ton panda à Annette.
     On t'embrasse !

     Christian


  Le paysage cosmique , Leonard Susskind ( Robert Laffont )  
     Je ne remercierai jamais assez mon webmaster Patrick Moreau de m'avoir offert cet essai.
     Son propos ? C'est simple : la ( ou plutôt les ) réponse(s) à la question : comment se fait-il que l'univers semble, à tous égards, avoir été spécialement conçu pour que des formes de vie comme la nôtre puissent exister ?
     Eh oui, malgré les milliards de milliards de planètes existantes, l'auteur admet que l'apparition de la vie et de l'intelligence résultent d'une série de hasards qui confinent au miracle !
     Réfutant les explications magiques ou divines, Susskind admet cependant que dans l'état actuel de nos connaissances ( l'univers tel que nous le connaissons ) et surtout de la fameuse constante cosmogonique d'Einstein, « il est impossible de croire que le seul hasard en soit la cause ».
     La clé ?
     Elle frôle le délire mais semble vraisemblable : « progressivement, des cosmologistes et des physiciens comme moi-même en viennent à considérer notre monde de dix milliards d'années lumière comme l'une des bulles infinitésimale d'un prodigieux mégavers — ou « multivers »... ce qui signifie que notre univers n'est sans doute pas le seul mais un parmi « un nombre prodigieux d'univers-bulles ». « Je parierais », ajoute l'auteur, « qu'au début du XXIIe siècle, les philosophes et physiciens considéreront notre époque comme celle du remplacement de la notion d'univers par celle d'un mégavers dont le paysage présente des proportions d'une étrangeté inouïe. »
     Théorie ? Vue de l'esprit ?
     Non : Süsskind s'emploie ( comme le fit en son temps — 1905/1916 — Einstein avec sa théorie de la relativité ) à démontrer que l'existence d'une infinité d'univers comme le nôtre ( ou... très différents du nôtre ! ) est une théorie plus plausible que celle d'un univers unique.
     A l'appui de sa démonstration, il nous invite à un voyage fascinant qui part du monde des particules élémentaires pour s'achever dans celui des trous noirs.
     Certes, le lecteur qui n'est pas un familier des nucléons et de la théorie quantique des champs aura un peu de mal à suivre. Mais avec quelques notions de base et sans être agrégé d'astrophysique ( et je ne le suis pas ! ), le lecteur moyen qui a digéré Hubert Reeves et Stephen Hawking franchira avec cette lecture majeure une étape essentielle : non seulement il aura appris une foule de choses et aiguisé son appétit, mais il aura frôlé cent fois des vertiges que le profane ignorera à jamais.
     Passer à côté de cet ouvrage... ce serait bien dommage !


  Le cœur à la renverse , Robert Bigot ( Le Seuil Jeunesse )  
     Nous sommes en 1787, à Taverny, petit village rural au nord de Paris.
     Colin, 16 ans, fils du veuf Renaud Clarisse, vit chichement avec ses deux sœurs aînées, ( la belle Agnès, 20 ans et Fanchon qui en a 18 ) et la grand-mère Justine. Agnès est aimée du jeune Guillaume Herbert ... mais le père Herbert, paysan cossu, voit très mal cette union avec une pauvresse. Colin, lui, a le cœur partagé : bien sûr, il aime Toinette, son amie d'enfance. Mais l'arrivée de Fleur, une jeune fille de bonne famille, lui met... le cœur à la renverse.
     De plus les temps sont durs : la noblesse spolie paysans et vignerons, elle s'octroie les biens communaux et punit durement ceux qui se risquent à tuer les sangliers ou les merles qui saccagent les vignes... quand ce n'est pas la grêle qui s'en charge !
     Jalouse de l'attirance de Colin pour Fleur, Toinette se jette dans le brasier de la Saint Jean. Elle en sortira défigurée à vie et trouvera à se placer dans un couvent à Paris.
     Colin, lui, finit par fauter avec Fleur avant que celle-ci ne quitte Taverny... le jeune homme, à la suite d'une imprudence suivie d'une dénonciation, finira lui aussi par s'enfuir et se cacher dans la capitale.
     Le roman s'achève... le 14 juillet 1789, au moment où Toinette retrouve son Colin après avoir recueilli le bébé d'une jeune femme qui vient de mourir en couches. Le lecteur un peu futé devinera peut-être la conclusion du récit.
     Il y a les auteurs, innombrables, qui nous font pleurer sur le sort de la pauvre Marie-Antoinette et d'autres, plus rares, qui nous font connaître la misère du peuple pendant les années qui précèdent la Révolution.
     On retrouve ici le grand Robert Bigot, celui de la Commune ( avez-vous lu Les Lumières du matin ? ) et du petit peuple. Un peuple qui gronde face aux disettes, aux impôts, aux injustices, à l'indifférence et l'arrogance des nobles, des possédants et des puissants.
     Ce roman est à mes yeux un petit bijou : d'abord parce qu'il nous plonge au cœur d'une époque et d'un milieu rural mal connu des jeunes ; ensuite parce qu'il s'agit d'une magistrale leçon d'histoire — je ne parle pas de la grande histoire, bien sûr, mais de la vraie : celle des gens de tous les jours, celle de nos vrais ancêtres, vignerons, artisans, paysans. Oui, Robert Bigot sait de quoi il parle quand il évoque la taille, la capitation, la corvée, la dîme et les gabelous ! Enfin parce que c'est un récit où le mot cœur prend toute sa place.
     Je mets le lecteur au défi de ne pas être ému par les dernières pages de ce roman mille fois plus édifiant et passionnant qu'un chapitre d'un livre d'histoire !
Vous pouvez aussi lire les notes de lecture sur d'autres livres du même auteur :
Camille Clarisse


  Un autre monde , J. H. Rosny Aîné ( Editions Marabout )  
     De Rosny Aîné, je n'avais lu, autrefois, notamment dans la collection 1000 Soleils, que les classiques : Les Xipéhuz, La Mort de la Terre, Les Navigateurs de l'infini, La Guerre du Feu, Le Félin géant... Mais l'occasion m'a été donnée d'avoir accès à l'intégrale de ses « récits de science-fiction ».
     Le premier d'entre eux, Un autre monde ( écrit en 1895 ), a été une découverte... je ne l'avais jamais lu !
     Le narrateur, Karel Ondereet, confie au lecteur qu'il n'est pas comme les autres : né avec le teint violet, il perçoit des couleurs dans des spectres indécelables par les humains ordinaires. Il s'exprime si rapidement qu'on ne le comprend que très mal. Enfant, il passe pour débile et il grandit ainsi, solitaire, conscient que sa perception du monde est particulière... En effet, Karel distingue autour de lui des êtres dont les humains ne soupçonnent pas l'existence : des Moedingen et des Vuren, fabuleuses créations vivantes, mouvantes et lumineuses qui ont leurs particularités, se combattent, se mêlent aux humains sans que ces derniers s'en doutent !
     Après des études lamentables, Karel rejoint enfin de son propre gré un hôpital à Amsterdam. Là, il se confie au docteur Van den Heuvel, qui comprend avoir affaire à un humain pas comme les autres ! Karel confie petit à petit ses secrets à ce scientifique bienveillant... avant de faire la connaissance, dans un hospice, d'une jeune femme hideuse, rejetée par les siens, qu'il reconnaît être de la même espèce que lui.
     L'enfant qui vient de naître de leur union préfigure-t-il une ère nouvelle ?
     Ce récit étonnant, vaguement inspiré de Poe, préfigure à la fois Lovecraft ( La couleur venue d'ailleurs ), Sturgeon ( Les plus qu'humains ) et Matheson ( Journal d'un monstre ) ! Son écriture est vive est très accessible. Aucun doute : Rosny Aîné était un précurseur, même si cet écrit de jeunesse a été rédigé à la même époque que L'Homme invisible de Wells, où la vision fascine tout autant l'auteur anglais que son homologue français.
     Ce qui frappe également chez Rosny, ce sont ses références permanentes à la science et aux recherches de son époque. Jules Verne était dans ce domaine un amateur éclairé... mais Rosny, lui, était un vrai scientifique !


  Les navigateurs de l'infini , J. H. Rosny Aîné ( Editions Marabout )  
     Plus tardif ( 1925 ), Les Navigateurs de l'infini entraîne le lecteur dans l'exploration de la planète Mars. Le narrateur, Jacques Laverande, qui fait partie de cette première expédition humaine, évoque brièvement le vaisseau, le Stellarium aux cloisons en « argine sublimé », au « champ pseudo-gravitif », et son mystérieux mode de propulsion qui permet aux trois héros d'atterrir en douceur sur Mars en trois mois.
     Les explorateurs, dont les dialogues rivalisent d'hypothèses scientifiques et philosophiques, constatent vite que Mars est habité par d'étranges êtres « ternaires », pourvus de trois membres et de nombreux yeux. Mais des « zoomorphes » agressifs se disputent la planète, habitée en réalité par ces êtres verticaux ternaires intelligents, dont le destin semble être la disparition prochaine... Leur espèce, en effet, doit céder la place aux zoomorphes envahissants.
     L'un des trois explorateurs, Jean, se fait capturer par ces êtres pacifiques qui, après l'avoir observé et communiqué avec lui, le relâchent et sollicitent l'aide efficace — mais hélas provisoire — des Terriens. Jacques tombe très vite sous le charme d'une charmante Tripède qu'il baptise Grâce avec laquelle, si aucun acte physique n'est possible, naît une idylle d'une force et d'une sincérité capables de rivaliser avec toutes les amours terrestres...
     L'intérêt de ce récit, au-delà des nombreuses questions scientifiques ( aujourd'hui dépassées ) qu'il soulève, est évidemment son humanité profonde : Rosny Aîné, avant le fameux Ose de Philip José Farmer ( qui narre les amours d'un terrien et d'une extraterrestre ), offre au lecteur une superbe leçon de tolérance, de communication et de philosophie. Son récit s'arrête d'ailleurs avant le retour probable des trois navigateurs, au sommet de cette union platonique entre cette étrange et séduisante Martienne et son amant terrien.


  Jalouse , Dominique Biton ( Oskar Jeunesse )  
     Nouvel éditeur, nouvel auteur...
     Sabine, 14 ans, est jalouse de sa sœur aînée Sophie, 18 ans ( et demi ). Sophie est belle, elle ressemble à sa mère, elle réussit en classe — elle est en prépa... alors que Sabine est un vrai garçon manqué. Certes, elle joue bien au tennis, coatchée par un père très présent ( la mère, elle, rentre tard et fait tourner la marmite... ) mais son rêve secret, c'est de faire du cinéma !
     Voilà qu'un drame se noue : un jour, Sophie rentre désespérée. Sabine jette un coup d'œil sur le journal intime de son aînée et croit comprendre qu'elle se drogue. Mais les pilules que prend Sophie sont en réalité destinées à la faire avorter... car son copain Jérôme n'a pas été très prudent.
     Révélations, confidences entre les deux sœurs... puis une double et violente explication oppose les deux filles avec leurs parents : oui, Sophie veut se marier et interrompre ses études ! Quant à Sabine, elle en a assez du tennis !
     Ce coup d'éclat va contribuer à réconcilier les sœurs.
     Ce roman bref plaira sûrement beaucoup aux adolescentes car la narratrice, Sabine, a leur âge, leur langage, leurs préoccupations. Ce récit, de facture classique, est essentiellement psychologique — et son auteure va bientôt faire paraître un récit destiné aux adultes.
Vous pouvez aussi lire les notes de lecture sur d'autres livres du même auteur :
Bunker Story | L'école sans Dieu


  Portnoy et son complexe , Philip Roth ( Folio )  
     Interminablement, Alexandre ( dit Alex ) Portnoy se confie à son psy : son enfance d'enfant juif surprotégé, sa mère envahissante, son père faussement naïf et éternellement constipé... et surtout ses désirs longtemps refoulés : une judéïté qu'il abhorre et rejette ( mais il rejette toute forme de religion... sauf celle du sexe à tout prix ! ), une épouse provisoire surnommée Le Singe qui lui aura fait connaître le meilleur et le pire. Et surtout, et enfin, ses envies et désirs cachés qui datent de l'enfance et dont l'assouvissement semble n'avoir pas de fin.
     Ce résumé ( mais... il n'y a pas vraiment d'histoire ) donne une faible idée de ce récit d'autofiction drôle et provocateur qui, en cinquante ans, n'a rien perdu de son humour ni de sa verdeur. Il y a du Woody Allen dans les logorrhées d'Alex, dans ses obsessions à la fois naïves et perverses qui, chez les lecteur, soulèvent à la fois des crises de fou-rire et des réflexions qui vont de : Non, là, il exagère ! à : euh... après tout, il n'a pas vraiment tort.
     Ce classique américain m'avait échappé et je m'en réservais depuis longtemps la lecture. Elle ne m'a pas déçu ! Etonnant, d'ailleurs, que Philip Roth ( qui, après le succès de cet ouvrage incendiaire et avant sa « trilogie américaine* » de l'an 2000, a subi une sorte de traversée du désert ) n'ait pas fait l'objet à l'époque d'une fatwa de la part d'Israël ou du pape... car il n'épargne personne, et surtout pas les Juifs dont il est le premier à se moquer, avec une hargne et un humour qui frôle parfois le désespoir.
     * Pastorale américaine, La tache, J'ai épousé un communiste... j'en reparlerai !


  Un anglais sous les tropiques , William Boyd ( Seuil , Points )  
     Morgan Leafy a bien des soucis... Premier secrétaire du Haut commissariat à Nkomgsamba ( capitale du Kinjanja, état africain qui a fait partie de l'Empire britannique ), il vient d'être jeté par Priscilla, la fille de Fanshaw, son patron, qui lui a préféré Dalmire, le nouvel adjoint avec lequel elle va se marier. De plus, Fanshaw a confié à Morgan une mission délicate : mettre dans sa poche Adekunlé, un universitaire africain très influent qui, si son Parti, le PNK, gagne aux prochaines élections, deviendra sans doute un Ministre des Affaires Etrangères très ouvert à l'Angleterre... le Royaume Uni a en effet investi dans la recherche pétrolière et les réserves du Kinjanja se révèlent prometteuses ! Morgan ne cesse de se débattre, avec ses problèmes : sa jeune maîtresse indigène, peu fidèle, lui a refilé une maladie ; le médecin du Haut Commissariat, Murray, est devenu son ennemi juré. Et pour couronner le tout, Morgan a eu la mauvaise idée d'entamer une liaison peu passionnée avec... la peu séduisante femme d'Adekunlé ! Pris sur le fait par le mari, ce dernier exige de Morgan d'intriguer pour obtenir un marché immobilier juteux ( et douteux ! ). Pour cela, il doit se faire un ami... du docteur Murray ! Morgan est prisonnier, il n'a pas le choix... comment va-t-il s'en tirer ?
     Si l'on ajoute à cet imbroglio le rôle d'un Père Noël à assurer, le cadavre foudroyé d'une domestique dont personne ne veut se charger, l'arrivée imminente d'une duchesse et d'un poète invité à résidence, on obtient un cocktail à la fois improbable et délirant.
     Le premier roman ( 1984 ) de William Boyd, qui m'avait échappé, n'est pas si loin de La Constance du jardinier de John le Carré — avec l'humour en supplément. Car la critique implicite de la politique post-colonialiste britannique est à la fois implicite et cruelle.
     Dans ce petit pays africain, où trouver un personnage sympathique ou seulement convenable — peut-être le Dr Murray, justement, soucieux de probité. Morgan, étrange héros, est veule et égoïste, les indigènes hypocrites et paresseux, leurs dirigeants corrompus avant même d'arriver au pouvoir et les Anglais prêts à toutes les compromissions parce qu'essentiellement préoccupés par leur confort et leur avancement.
     Etrangement construit ( la deuxième partie est en fait la première ! ), ce récit, écrit avec une efficacité redoutable, ne s'en lit pas moins d'une seule traite. Cynisme et humour y alternent avec un entrain jouissif... un livre magistral.
     Lisez William Boyd !


  Brigade Sud : Le jeu du tueur , Jean-Luc Luciani ( Rageot , Heure Noire )  
     Inès ( 13 ans ) et son père le capitaine Roullier assistent en direct à un assassinat — au moyen d'une fléchette au curare — dans un bus, à Marseille ! Le père ( et la fille ! ) mènent l'enquête, car les suspects, dans le bus, sont nombreux. Bientôt, ils comprennent que la victime participait, comme six autre personnes, au fameux « jeu du tueur ». Mais l'assassin désigné par le jeu a réellement tué la victime qui lui était désignée ! Qui est-ce ?
     Malgré le peu d'indices dont dispose la police, Inès oriente peu à peu son père vers la solution... un père maladroit et solitaire ( sa femme l'a quitté pour... un éditeur ! ), attaché à l'une de ses collègues. Un bref roman policier que liront facilement les jeunes collégiens qui ne connaissent pas encore le genre !
Vous pouvez aussi lire les notes de lecture sur d'autres livres du même auteur :
Un léger bruit dans le moteur | Deux ailes dans le dos | Le secret de Papy Frioul | L'été en tente double


  Infaillible , Christophe Lambert ( Bayard , Millézime )  
     Gloria, cartomancienne black ratée sur le retour ( une sorte de « Caroline Teissier » américaine ! ) reçoit l'étrange visite de Michael Granchester, un enfant de 13 ans atteint de progeria qui a l'allure de vieillard. Ce petit génie a mis au point un cerveau électronique artificiel qui prédit les catastrophes. D'abord dubitative, l'ancienne cartomancienne ( qui a autrefois conseillé le futur président des Etats-Unis ) ne tarde pas à vérifier que Michael a dit vrai : il lui a prédit qu'elle aurait un gros ennui... et elle chute dans son escalier. De plus, les accidents spectaculaires annoncés par l'appareil se produisent bel et bien, à la seconde près. Jusqu'au jour où, à une époque où la tension au Pakistan est telle que l'armée américaine s'en mêle, Michael avertit Gloria qu'une action imprudente de l'armée va provoquer la troisième guerre mondiale et entraîner des milliards de victimes. Comment approcher le Président et le convaincre de ne pas agir ?
     Que le lecteur se rassure : Gloria parviendra à ses fins... comme Michael d'ailleurs. Car la fin du récit, stupéfiante réserve au lecteur une surprise de taille !
     Christophe Lambert a bouclé ici un roman très « US » : décor, langage, action, personnages font sans cesse référence à ce cinéma américain qu'il adore — que de clins d'œil à ces vieux classiques de l'écran... et même à ce Titanic que l'auteur a lui-même utilisé dans l'un de ses romans. Si la... solution finale de ce petit thriller frise l'invraisemblance, le lecteur le lira d'une traite grâce à une écriture fort efficace.
Vous pouvez aussi lire les notes de lecture sur d'autres livres du même auteur :
La Loi du plus beau


  L'élégance du hérisson , Muriel Barbery ( Gallimard )  
     Ce roman est fait de deux journaux intimes imbriqués — ou plutôt de deux narrations à la première personne : celui de Renée Michel, concierge de 54 ans au 7 rue de Grenelle et celui de Paloma, douze ans et demi, dont les parents habitent le même immeuble.
     Mais voilà : depuis 27 ans, Renée cache bien son jeu : elle écoute du classique, lit Kant et Proust ( mais aussi Mankel et Connely ! ), fréquente les musées et apprécie aussi bien Tolstoï que le cinéma d'art et d'essai ; cependant, elle joue son rôle de concierge à merveille en gardant tous les niveaux ( langage, culture, comportement ) que sa charge lui impose. Quant à Paloma, surdouée et consciente des faiblesses de sa famille ( un père ex parlementaire, une mère « socialiste » en analyse depuis dix ans, une sœur en prépa... ), elle se livre au papier avec la double intention de mettre le feu à l'immeuble et de se suicider... Longtemps, Renée et elle se croisent et s'observent sans vraiment se parler. Paloma déclare d'ailleurs : « Mme Michel, elle a l'élégance du hérisson : à l'extérieur, elle est bardée de piquants, une vraie forteresse, mais j'ai l'intuition qu'à l'intérieur, elle est aussi simplement raffinée que les hérissons, qui sont des petites bêtes faussement indolentes, farouchement solitaires et terriblement élégantes. »
     Mais voilà : le décès d'un des copropriétaire fait arriver sur les lieux un Japonais de soixante ans, aussi discret qu'exquis. Fine mouche, l'homme perce à jour la personnalité de Renée, qu'il invite et apprécie à sa juste valeur. La jeune Paloma, elle, trouve en Renée une amie et une confidente inattendue : M. Ozu, Renée et elle ne parlent-ils pas le même langage et n'ont-ils pas le même regard critique vis-à-vis d'un monde obtus et prétentieux ? Commence alors à se tisser, face à des copropriétaires ébahis, une triple histoire d'amour et d'amitié...
     « Comment ? Tu n'as pas ( encore ) lu...* ? ? ? »
     Cette question, en forme de reproche étonné, je l'entends à intervalle régulier. Comme si un écrivain ( mieux : un « bon lecteur » ) avait le devoir de lire le dernier livre à la mode, celui-dont-tout-le-monde-parle. Je ne cède pas toujours. Plutôt que de me précipiter sur le livre-qu'il-faut-avoir-lu, il m'arrive de me replonger dans de vieux classiques, ou d'ouvrir enfin tel ouvrage acheté trois ( ou dix ) ans auparavant. D'autres fois, je cède, ne serait-ce que pour pouvoir en parler si l'on m'interroge, et parce qu'être tout le temps à contre-courant serait une attitude tout aussi ridicule.
     Ne boudons pas notre plaisir : L'élégance du hérisson se lit avec un plaisir évident, grâce à sa double distanciation ( une concierge ultra-cultivée et une gamine de riches qui vit en décalage avec sa sœur pimbêche et son milieu bourgeois ) et aux clins d'œil multiples qu'il offre au lecteur lettré. Sans voir la moindre critique dans la remarque qui va suivre, j'aimerais cependant expliquer comment... ce livre est fait ! Il m'a parfois donné l'impression d'un habile montage, celui d'un auteur épris de philosophie, qui maîtrise aussi bien la langue, la grammaire, la peinture, la musique et les Lettres, un auteur qui aurait eu envie de livrer au lecteur mille et une pensées intimes, profondes, originales ou fortes... et qui se serait demandé comment le faire sans passer pour un esprit fort ou prétentieux. Euréka : mettre d'une part ces pensées-côté-culture dans la bouche d'une concierge d'immeuble ; d'autre part ces réflexions-critiques-de-la-bourgeoisie sous la plume d'une gosse de riche. Restait à mêler ces deux journaux intimes croisés en imaginant que les deux héroïnes habitent le même immeuble et, par la grâce d'un Japonais nouveau-venu, qu'ils finissent par créer un trio aussi original qu'inattendu. Une fois de plus, qu'on ne se méprenne pas : voir « comment c'est fait » n'enlève rien aux qualités de ce texte, ni à son humour quasi permanent, ni à certaines séquences émotion très réussies — notamment la fin. Après tout, Le Dormeur du val ne tient que par sa chute, et le savoir n'en rend pas le poème moins fort !
     Mais il est vrai que souvent, les ( longues ) réflexions ( pertinentes ) de Renée sur l'Art, la littérature, la philosophie, la musique — ou la place d'une virgule, ou le mauvais usage du verbe pallier ! — ne tiennent la distance que... parce qu'elles sont formulées par une concierge ! Lues hors de tout contexte, elles friseraient l'insupportable, la prétention et pédantisme ! Il n'empêche, certaines scènes sont de vrais morceaux d'anthologie, comme la dénonciation des déviances de la psychiatrie par Paloma, lors de son unique et bref séjour face au psy de sa mère — ou la scène de soldes de lingerie fine à laquelle elle doit participer... Certaines formules de Paloma ( euh... ou de Muriel Barbery ? ) font d'ailleurs mouche : «  Finalement, les ados croient devenir adultes en singeant des adultes qui sont restés des gosses et fuient devant la vie ».


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