Christian Grenier, auteur jeunesse
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Les notes de lecture étant publiées sur le blog chaque semaine, cela devenait difficile de mettre ces pages à jour en parallèle. Donc rendez-vous sur le blog pour les nouvelles "lectures de la semaine" ! CG, le Lundi 18 février 2013
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 Septembre 2011 : Les lectures de l'été 

  Mygale , Thierry Jonquet ( Gallimard )  
     Chirurgien spécialisé dans les réparations plastiques, Richard Lafarge maintient prisonnière sa femme Eve, cloîtrée dans l’une des chambres de sa belle villa du Vésinet. A l’occasion, il la sort pour lui faire subir les derniers outrages dans un appartement parisien, où elle se livre à des inconnus tandis qu’il l’observe...
     De son côté, Alex Barny se cache. Le casse auquel il a participé a mal tourné. Certes, il a sauvé le butin ; mais les caméras ont surpris son visage et il est recherché par toutes les polices de France. Il se terre dans le Sud de la France, provisoirement à l’abri grâce à la complicité d’un copain. Ses pensées vont souvent du côté de Vincent, son ami d’enfance, qui a mystérieusement disparu il y a quelques années...
     Et puis, à l’aide d’une troisième narration ( en italique et à la deuxième personne du singulier), on assiste précisément au kidnapping de ce fameux Vincent Moreau, l’ami d’Alex le proscrit. Et à son enfermement interminable, par un mystérieux tortionnaire dont les fins resteront longtemps inconnues...
     Un jour, Alex voit à la télévision un reportage sur les miracles que fait le chirurgien Lafargue. Et la solution s’impose, évidente : ce chirurgien va lui faire un nouveau visage !
     Pour l’y contraindre, un seul moyen : capturer soit sa fille ( mais hélas, elle est devenue folle et séjourne dans un asile ) ou mieux encore : sa femme, Eve !
     Peu à peu, les trois fils de ces narrations indépendantes se rapprochent, se croisent et se nouent, dans un final à la fois inattendu, baroque et monstrueux !

     Récit court et sans doute mineur, Mygale a pourtant bien des attraits – notamment, et comme à l’habitude de son auteur, celui de disséminer avec soin des indices qui permettront au lecteur perspicace de deviner une fin... fort habilement ficelée, même si le narrateur a un peu forcé tous les hasards ! Ce roman a récemment inspiré Pedro Almodovar pour son dernier film, qui sort sur les écrans ce mois-ci : La piel que habito.
     Mygale se trouve être le troisième et dernier récit d’un gros volume qui regroupe trois romans de Thierry Jonquet : un ouvrage de 680 pages qui peut constituer le viatique d’un voyageur amateur de romans noirs. Un bon moyen de découvrir quelques facettes du talent d’un grand du roman policier, prématurément disparu en août 2009.
Vous pouvez aussi lire les notes de lecture sur d'autres livres du même auteur :
La Bête et la Belle | Les orpailleurs


  Café Lovely , Rattawut Lapcharoensap ( Buchet Chastel )  
     En Thaïlande, mieux vaut se méfier des touristes, que l’on surnomme « Les farangs ».
     Le jeune Luk ( et son cochon baptisé Clint Eastwood ) en aura la confirmation à ses dépens. Tombé amoureux de Lizzie, une Américaine larguée par son copain Hunter, il espère séduire la belle étrangère avec la complicité du cochon, et à la suite d’une promenade à dos d’éléphant...
     Avec Café Lovely, l’auteur nous entraîne dans les quartiers pauvres, au sein d’une famille dont le père vient de mourir d’un accident du travail, écrasé par une caisse de jouets en bois destiné aux riches occidentaux – quel symbole ! Le narrateur évoque deux ou trois souvenirs d’enfance à l’époque où Anek, son frère aîné, l’initiait à la culture occidentale et à sa future vie d’adulte : un anniversaire raté dans un fast food, un shoot à la colle, une initiation sexuelle balbutiante dans une maison de passe ( le Café Lovely ) et un retour grisant sur une moto rafistolée...
     Dans La Loterie, le narrateur évoque le jour où, avec son ami Wichu, il doit passer l’épreuve de la conscription : visite médicale sommaire et tirage au sort. Les jeunes gens qui tirent une carte rouge sont bons pour deux ans de service, ceux qui tirent une carte noire sont exemptés. Mais grâce à la corruption, le tirage est truqué.
     Puisque la mère de Luk va devenir aveugle, elle entreprend avec son fils un voyage sur l’archipel d’Andaman, funèbre pèlerinage, un dernier « Tour au paradis ».
     Grâce à son père dentiste, la petite Priscilla la Cambodgienne possède toute la fortune de la famille... dans sa bouche, toutes ses dents sont couronnées d’or ! Hélas, les réfugiés cambodgiens ne sont pas les bienvenus dans cette Thaïlande en proie à la misère. Pourtant, Luk et son ami Dong finissent par se faire une amie de Priscilla... dont les dents ( de lait ) menacent de tomber.
     Le narrateur de Je ne veux pas mourir ici est un vieil Américain veuf et à demi-paralysé. Exilé de force à Bangkok avec son fils Jack et sa bru thaïlandaise, il est amer — et nostalgique d’un pays qu’il a dû abandonner pour survivre ici en étranger.
     Combat de coqs, novela de cent pages divisée en vingt chapitres, relate par le biais de la jeune Ladda, l’histoire de Wichian, son père, qui vit grâce à ses coqs de combat. Mais Wichain s’est fait un ennemi juré de Petit Jui – le fils du truand Grand Jui qui autrefois avait séduit sa sœur aînée. Humilié par son adversaire malhonnête, Wichian ne s’avoue pas vaincu et s’entête... au risque de ruiner sa famille ; mais Petit Jui – et surtout Ramon, son complice, s’intéressent d’un peu trop près à Ladda... un drame dans lequel les coqs les plus hargneux ne sont pas toujours les volatiles.

     Pour mieux connaître la Thaïlande ( autrefois le Siam ), on peut s’offrir un voyage à Bangkok... ou lire ce recueil de sept nouvelles édifiantes, tour à tour drôles, tristes et toujours cruelles. Ce recueil est une plongée en apnée dans un pays où règne encore la misère, avec la complicité du tourisme de masse et d’un régime corrompu.
     Né à Chicago, l’auteur est pourtant thaïlandais de culture et de cœur. Avec une langue claire et directe pleine de nostalgie et de tendresse, il nous offre, vu de l’intérieur, le tableau édifiant d’un pays dont les étrangers n’ont qu’une idée superficielle et souvent fausse.
     Une vraie découverte !
     Lu dans un joli livre de poche.


  L'homme inquiet , Henning Mankell ( Editions du Seuil , Policiers )  
     A 55 ans, Kurt Wallander est un policier veuf qui se sent vieillir. Sur un coup de tête, il décide de s’acheter une maison isolée et d’adopter un labrador, Jussi. C’est alors que survient un incident stupide et inexplicable : il quitte le restaurant où il dîner de façon trop arrosée... en oubliant son arme de service sur la banquette ! Il est moins choqué par le blâme qui l’attend que par le regard de ses collègues et, surtout, le fait qu’il n’a aucun souvenir de cet oubli !
     Sa fille Linda ( flic elle aussi ) l’avertit qu’elle est enceinte. Kurt fait alors la connaissance de son compagnon, Hans ( qui gère des hedge founds ) – et de ses parents, Louise et Haken von Enke, à l’occasion de ses 75 ans. A son propre étonnement, Wallander sympathise avec ce vieil officier qui a passé sa vie dans les sous-marins, et qui, ce soir-là, lui fait d’étranges confidences concernant la chasse à un submersible étranger ( soviétique ? ) infiltré dans les eaux suédoises à l’automne 1982... En effet, au moment où le navire espion allait être arraisonné, un ordre mystérieux venu du gouvernement a ordonné à l’équipage de le laisser filer. Cette confidence serait banale si... Haken von Enke ne disparaissait pas le lendemain !
     Mis provisoirement à pied, Wallander enquête. Il interroge notamment un officier ami du disparu, Sten Nordlander ; il est lui aussi stupéfait par cette disparition inexplicable et lui livre les coordonnées d’un proche de Haken von Enke : l’Américain Atkins, qui vit près de San Diego. Mais voilà que Louise, l’épouse de Haken... disparaît elle aussi à son tour, aussi vite et inexplicablement que son époux !
     Informé par Wallander, Atkins vient en personne à Stockholm lui rendre visite pour échanger des informations. Deux membres d’une même famille ( les parents de Hans, le compagnon de sa fille ! ) ont-ils été enlevés ? Par qui ? Et pour quelle raison ? Cet incident vieux de 25 ans aurait-il un rapport avec ces deux disparitions plus que suspectes ?
     C’est alors qu’Atkins livre à Wallander une info en apparence anodine qui se révèle un scoop : les von Enke avaient... une fille, Signe, très handicapée, dont son frère cadet lui-même ignorait l’existence !
     Wallander se met alors à la recherche de cette fille de 40 ans... et il finit par la trouver !

     Bien. Peut-être suffit-il au lecteur de savoir qu’à ce stade du récit... il se trouve page 165.
     Et que le roman comporte 550 pages, plus passionnantes encore que le résumé qui précède !
     Dernière enquête d’un Kurt Wallander que les familiers de Henning Mankell connaissent bien, c’est ici la quête difficile d’un policier au bord de la déprime. Le thème des sous-marins – puisé dans l’actualité réelle, au temps d’Olof Palme – n’est peut-être pas dû au hasard, on « navigue en eaux troubles et profondes » !
     Ce superbe roman policier vaut autant par son contenu que par le portrait attachant que Mankell brosse ici de son héros : un père qui communique peu et mal avec sa fille, un flic qui perd la mémoire et ses moyens, un grand-père qui va attendre longtemps qu’un nom ( Klara ) soit enfin donné à sa petite fille. Ce sombre récit crépusculaire s’achève de façon très inattendue : comme dans tout bon roman policier, le lecteur, comme Wallander lui-même, disposait de tous les indices pour découvrir le coupable. Ce roman engagé qui, comme ceux de Stieg Larsson, évoque les heures sombres de la Suède ( on flirte avec le récit d’espionnage et... avec la réalité des années 80 ! ) possède une écriture sobre, attachante et efficace.
     C’est aussi une magnifique réflexion sur la vieillesse, la mémoire et l’oubli.
     Lu dans la belle version grand format du Seuil. Ce beau et grand roman méritait une présentation à sa mesure – et elle est proportionnelle au plaisir de sa lecture !
Vous pouvez aussi lire les notes de lecture sur d'autres livres du même auteur :
Meurtriers sans visage | La muraille invisible


  Un enfant de la balle , John Irving ( Points )  
     Farrokh Daruwalla, chirurgien orthopédiste, a plusieurs secrets...
     Le premier, c’est son déchirement identitaire entre l’Angleterre et l’Inde.
     Le deuxième, c’est son obsession à découvrir les gènes des nains achodronplases, ce qui explique sa longue fréquentation des cirques de Bombay et son amitié avec l’un d’eux.
     Le troisième, ce sont ses liens étroits avec une sorte de Colombo /Dr Who local, comédien à la fois adulé et détesté, avec lequel il entretient des liens quasi-familiaux, et pour cause : il connaît comme sa poche le passé ( et la mère ) de celui qui joue le rôle de l’Inspecteur Dhar... sans parler du fait que ce garçon possède un frère jumeau ( mais le comédien, lui, l’ignore ! ), un ecclésiastique qui vient d’arriver à Bombay et qui pourrait bien tomber nez à nez avec son clone... comment faire ?
     Si l’on ajoute le meurtre plus qu’étrange de Mr Lahl, un vieux golfeur du club dont Farrokh et son fils adoptif font partie, on possède une grande partie des clés d’un récit à la fois baroque, lent, complexe et passionnant dont le décor est l’Inde en général et Bombay en particulier !

     Amateurs s’abstenir !
     Si l’auteur du Monde selon Garp et d’Une prière pour Owen ne livre pas ici son œuvre majeure, il immerge le lecteur dans un univers très particulier, tant sur le plan du cadre que sur celui des mœurs ! Rédigé sous la forme classique du monologue indirect libre, ce roman-fleuve d’une rare densité relate à la fois le destin du Dr Daruwalla, mais aussi celui de personnages attachants et multiples. Malgré sa rédaction traditionnelle, ce récit reste à mes yeux inclassable car il traite de l’Inde, du cirque, de la médecine de pointe, de génétique... mais on y trouve aussi une quête identitaire et familiale, le portrait d’un homme déchiré entre deux cultures et deux pays ( comme John Irving lui-même ) en même temps qu’une enquête policière aux pistes et indices entrecroisés, du grand art !
     C’est là un récit complexe et foisonnant réservé aux lecteurs exigeants, qu’on complètera utilement par l’interview que l’auteur a livrée au magazine Lire de février dernier à l’occasion de la sortie en France de son dernier roman, Dernière nuit à Twisted River ( publié comme les autres au Seuil ).

     Superbe ouvrage ( assez lourd... 700 pages ) en grand format avec jaquette, la fameuse collection « blanche » ( avec liséré vert ! ) du Seuil, beau papier, belle typographie.


  La découverte du ciel , Harry Mulisch ( Gallimard )  
     Aux Pays Bas, Onno Quist, issu d’un milieu aisé, calviniste et aristocratique, est un dilettante cultivé, original et provocateur, essentiellement occupé à déchiffrer les caractères ésotériques d’une pierre ancienne... Rompant les liens avec sa famille ce 13 février 1967 au soir, il se fait prendre en stop par un inconnu, Max Delius, astronome amateur de femmes dont la mère juive a été déportée, dénoncée par un mari collabo.
     Bien que très différents, les deux hommes deviennent vite complices, et proches au point de vivre ensemble. Max tombe alors vraiment amoureux d’une jeune fille attachante : Ada. Union à laquelle il met fin par maladresse.
     Onno devient alors le fidèle compagnon d’Ada.
     A la suite d’une invitation assez baroque à Cuba, tous trois participent malgré eux à un colloque révolutionnaire. Un soir, l’improbable a lieu : à l’instant où Onno trompe brièvement Ada avec une belle Cubaine, Max couche avec Ada.
     Un enfant extraordinaire en naîtra : Quinten.
     Qui est le père ?
     Impossible de le savoir — seul Max, sa vie durant, sera tenaillé par le doute.
     Peu avant la naissance de Quinten, le père d’Ada décède. Le trio ( qui est revenu aux Pays-Bas ) se rend chez l’épouse du défunt, Sophia, pour l’avertir, triste mission... Sur le trajet a lieu un accident au cours duquel Ada sombre dans un profond coma, dont elle ne sortira pas. Il faudra provoquer l’accouchement.
     Conscient qu’il est incapable d’élever seul son ( ? ) enfant, Onno le confie à Sophia, sa grand-mère, et à son ami Max... qui d’ailleurs entretiennent une étrange liaison charnelle secrète !
     Max, Sophia et Quinten emménagent dans un château où grandit l’enfant. Il est beau comme un dieu, à la fois taciturne et surdoué, obsédé par une architecture dont il rêve, et qui possède le secret du grand tout...
     Un secret que l’astronome Max découvre à la seconde où une météorite le pulvérise !
     Entre-temps, Onno, qui s’est tourné vers la politique et a échoué ( à cause de ce fameux voyage à Cuba qui décidément le poursuit ) fuit le château pour disparaître et vivre en ermite. A dix-sept ans, Quinten décide de retrouver son père.
     Il y parviendra ; et tous deux partiront alors, via Rome, Florence et Jérusalem en quête de l’Arche d’Alliance – ou plus exactement des Tables de la Loi que Quinten retrouve et veut ( imprudemment ) remettre à leur place !

     Ainsi résumé, ce récit peut déconcerter. C’est d’ailleurs le cas !
     Il faut savoir qu’il est encadré et coupé de temps à autre par un étrange dialogue entre deux anges, dont l’un a d’ailleurs à peu près tout manigancé depuis de début : rien n’arrive au hasard, ni la rencontre entre Onno et Max, ni le coma d’Ada et la naissance de cet enfant au destin exceptionnel qu’est Quinten.
     Cet été sont venus nous rendre visite comme chaque année mon vieil ami hollandais Cor-Jan ( je le connais depuis... 1963 ) et son épouse. Il m’a demandé quels auteurs hollandais je connaissais. Honte sur moi ! A part Robert van Gulik...
     — Il faut absolument que tu lises Harry Mulisch et La découverte du ciel !
     C’est fait. Et j’en sors à la fois ébloui et décontenancé.
     C’est là un roman inclassable, entre... Da Vinci Code et Le pendule de Foucault !
     Son intérêt, outre les rebondissements incessants, réside dans la personnalité de tous les protagonistes et surtout dans les dialogues, qui fourmillent de références culturelles multiples, tour à tour d’ordre historique, politique, astronomique, sémantique et religieux.
     C’est un fourre-tout apparent, très improbable, que structure la présence de ces deux anges et une vision cosmogonique ambitieuse. On va sans cesse du réel à l’extraordinaire, du quotidien à l’exceptionnel. Bref, il faut entrer et plonger dans ce long et passionnant récit ( 1140 pages, tout de même... ), foisonnant et attachant, pour en ressortir à la fois perplexe et stupéfait, nourri davantage de questions que de réponses.
     Dans la catégorie des OVNI, un modèle !

     Lu dans sa version poche, ouvrage fort épais... un excellent rapport qualité-prix !


  Daisy Miller , Henry James ( Robert Laffont , Bouquins )  
     Dans les années 1870, Winterbourne, un jeune Anglais, vient rendre visite à sa tante, Mme Costello qui séjourne à l’hôtel des Trois Couronnes de Vevey, en Suisse.
     Très vite, il est séduit par la beauté et surtout frappé par la liberté d’actes et de paroles de Daisy Miller, jeune Américaine qui se trouve dans le même hôtel, flanquée d’une mère velléitaire et d’un domestique effronté, Eugenio.
     Fantasque, Daisy accepte de se promener deux fois seule avec Winterbourne ( shoking ! ) au grand effroi de la tante de ce dernier ( les Miller ne sont pas des « gens comme il faut » ) ; à la suite d’un reproche injustifié, Daisy « rompt » — alors qu’il n’y a rien entre eux !
     Les deux jeunes gens se retrouveront l’hiver suivant à Rome, chez Mme Walker, une amie commune. Winterbourne s’aperçoit que Daisy s’est entichée d’un bellâtre italien, le signor Giovanelli ; il comprend mal l’attachement de cette jeune et belle aristocrate pour un filou qui n’en veut qu’à son argent. Malheureux comme un amant éconduit, toujours épris, Winterbourne, impuissant, ne pourra qu’assister en direct à un dénouement tragique...

     L’adaptation de romans 1 au cinéma a parfois du bon.
     C’est en effet après avoir vu l’excellent Portrait de femme de Jane Campion ( adapté du roman éponyme, Portrait of a lady ) que je me suis replongé dans Henry James, dont je suis loin d’avoir lu l’œuvre intégrale. Ce petit roman – les Américains le nommeraient sans doute novella – œuvre de jeunesse de l’auteur ( 1878 ), est un vrai bijou, comparable ( bien que le sujet en soit très différent ) à Un cœur simple ( 1876 ) de Flaubert.
     Œuvre de jeunesse, Daisy Miller porte la marque ( et les thèmes ) caractéristiques de l’auteur de Portrait de femme : une jeune femme prise au piège d’un galant mal intentionné. Mais ici, c’est avec le regard d’un amoureux éconduit que le récit est mené, regard qui pourrait bien être celui d’Henry James lui-même ( il est, comme Winterbourne un « enfant d’hôtel » ). On sait qu’il aima sans espoir, à vingt ans, sa jeune cousine Mary Temple, dite « Minnie », comme le fera le Ralph souffreteux d’Un portrait de femme dont il est le double mal déguisé.
     Winterbourne est aussi le double de Henry James dans la mesure où l’essentiel de ce récit sentimental réside dans le fait qu’un Anglais est à la fois séduit et désorienté par l’attitude libre ( et effrontée aux yeux d’un Britannique victorien ! ) d’une jeune Américaine.
     Né à New York ( en 1843 ), Henry James fut toute sa vie partagé entre le nouveau continent et l’ancien ! Cent quarante ans plus tard, l’écriture de ce récit n’a pris ni une seule ride, ni un pouce de graisse ; et certaines analyses préludent sans doute le meilleur d’une Recherche à venir. Offrez-vous cette heure de lecture particulièrement lumineuse !

     Lu dans le Bouquins ( Robert Laffont ) consacré à Henry James, et dans lequel on trouve aussi Les ailes de la colombe et Les ambassadeurs. A peine plus gros qu’un poche – cet ouvrage, en 900 pages, rassemble trois romans majeurs !


Notes :

1. Daisy Miller a été adapté à l'écran par Peter Bogdanovich (1974)



  Correspondance , Gustave Flaubert & George Sand ( Flammarion )  
     En janvier 1863, à la suite de la lecture de Salammbô, George Sand en fait une critique élogieuse pour le journal La Presse. Flaubert lui adresse un mot de remerciement.
     Sand répond. Un bref échange s’ébauche... et s’interrompt.
     En août 1865, le nouveau ( et dernier ) compagnon de George Sand, Manceau, meurt.
     Six mois plus tard, Sand accepte enfin d’aller à l’un de ces fameux « dîners chez Magny » où elle rencontre Flaubert pour la première fois. D’autres dîners suivent, chez Magny et ailleurs.
     Les deux écrivains se revoient, sympathisent et s’écrivent.
     Des courriers de moins en moins convenus et de plus en plus intimes dans lesquels ils échangent sur à peu près tout : leur famille, leurs amis, leurs collègues, la politique... mais surtout la littérature !
     Très active entre 60 et 70 ans, accaparée par son fils Maurice et sa petite-fille Aurore qu’elle adore, Sand continue d’écrire ( à temps perdu ) dans sa propriété de Nohant.
     Quant à Flaubert ( il a 44 ans en 1865 ), reclus à Croisset avec sa mère, il transpire sur chaque chapitre de sa future Education sentimentale.
     Sand et lui se croisent parfois à paris, chez Magny ou à Palaiseau ; parfois, elle pousse jusqu’à Croisset où l’ermite normand lui lit, des heures durant, son roman qu’il peine à achever...

     Comment résumer ces 420 lettres aussi passionnantes et touchantes les unes que les autres ? Quelle édifiante leçon de littérature, qui consiste à entrer dans les coulisses de l’écriture, de l’imaginaire et de la sensibilité de ces deux écrivains... que tout oppose !
     En effet, Sand écrit vite ( en se relisant à peine ) des romans qui débordent de sentiments. Flaubert, lui, « pioche » des heures durant, peaufinant des récits ( L’Education sentimentale, La tentation de St Antoine, Bouvard et Pécuchet et deux de ses « Trois contes » dont « l’écriture blanche » préfigure le futur naturalisme ?
     Une parenthèse concernant les relations particulières entre ces deux géants. On a parfois évoqué une liaison charnelle entre Sand ( qui, il est vrai, a collectionné les partenaires à une époque où cette coutume était réservée aux messieurs ). Une légende, accréditée par le fait que Sand a vite tutoyé son collègue. « Et vous, mon cher ami, que fais-tu à cette heure » ? écrit Sand à Flaubert dès le 22/11/1866 . Ce fait n’a pas échappé aux frères Goncourt, qui participaient aux mêmes dîners, les Goncourt dont on connaît le mauvais esprit. La vérité est qu’une immense tendresse reliait ces complices, tendresse soulignée par des confidences et des termes d’une affection peu commune. A noter que Flaubert a toujours dit vous à Sand.
     Le 12/11/1866, Flaubert écrivait : «  je ne sais pas quel espèce de sentiment je vous porte, mais j’éprouve pour vous une tendresse particulière... » Sand fait preuve d’une réelle modestie, elle ne se croit pas, comme Flaubert, un écrivain majeur. Elle juge ( comme moi ! ) que Salammbô « est un des plus beaux livres qui aient été faits depuis qu’on fait des livres ( 27/10/67 ) et avoue : « Je ne m’intéresserais pas à moi si j’avais l’honneur de me rencontrer ( 14/11/67 ) » ou encore : « Il n’y a d’intéressant, dans ma vie à moi, que les autres ( 18/09/68 ) »
     La sincérité, la générosité de ces deux auteurs ne peut que toucher, ainsi que l’actualité d’un grand nombre de réflexions : «  Ils sont rares ceux qui n’ont pas besoin du Surnaturel » écrit Flaubert le 19/09/68. « L’argent n’est pas non plus la vraie preuve du succès, lui confie Sand le 15/10/68, puisque tant de choses nulles ou mauvaise font de l’argent » ; « L’artiste est trop occupé à son œuvre pour s’oublier à approfondir celle des autres » ajoute-t-elle le 11/02/69. A propos de son travail, Flaubert avoue le 2/07/70, « Pour commencer un ouvrage de longue haleine, il faut avoir une certaine allégresse qui me manque (... ) j’ai autant de mal à me mettre au travail qu’à l’interrompre » «  On ne peut plus écrire quand on ne s’estime plus » (10/09/70 ) et, évoquant l’actualité, il ajoute ( le 3/08/70 ) en déplorant les conflits : « on verra, avant un siècle, plusieurs millions d’hommes s’entretuer en une séance » Quelle prophétie ! Socialiste, Sand se plaint que « la vie se passe à travailler pour ceux qui ne travaillent pas ( 19/12/72 ) » à quoi répond Flaubert, dans un PS de son courrier du 25/11/72 : « connaissez-vous dans l’histoire universelle (...) quelque chose de plus bête que la Droite de l’Assemblée nationale ? »
     Enfin, combien d’écrivains du XXIe siècle ne pourraient pas se reconnaître dans ce que confie Flaubert à sa complice, le 29/11/72 : « Du moment que la littérature est une marchandise, le vendeur qui l’exploite n’apprécie que le client qui achète, et si le client déprécie l’objet, le vendeur déclare à l’auteur que sa marchandise ne plaît pas. La république des lettres n’est qu’une foire où on vend des livres. Ne pas faire de concession à l’éditeur est notre seule vertu, gardons-la et vivons en paix ; même avec lui quand il rechigne, et reconnaissons aussi que ce n’est pas lui le coupable. Il aurait du goût si le public en avait. »
     Faut-il être un inconditionnel de Flaubert ( ou de Sand ) pour lire ce courrier ?
     Je ne crois pas. A l’heure où la correspondance traditionnelle disparaît au profit du téléphone, des mails et surtout des SMS au style plus que télégraphique, cette immersion épistolaire a quelque chose de magique. Ce recueil ferait partie des dix ouvrages que j’emporterais sur une île déserte, c’est un véritable livre de chevet.
     D’abord emprunté en bibliothèque, j’ai acheté l’ouvrage – et je l’ai, comme c’est hélas souvent le cas, prêté à un ami qui ne me l’a jamais rendu. Très bon signe !
     Avez-vous remarqué que ce sont les livres auxquels on tient le plus que l’on prête... et que l’on vous rend rarement ? A l’occasion d’une intervention à Nohant ( j’ai eu la fierté d’assurer une conférence dans ce lieu à mes yeux mythique ! ), j’ai racheté cet ouvrage que j’ai relu, et annoté. Une lecture émouvante, édifiante, indispensable à celles et ceux qui sont curieux d’entrer dans les coulisses de l’écriture des grands maîtres.
     Courez chez votre libraire commander de toute urgence cet ouvrage !

     Un superbe livre grand format, magnifique couverture, beau papier épais et bouffant, typographie aérée... 25 euros pour 600 pages dont chacune est un bijou en soi !



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