Griffon

          Si l'on pouvait voyager à une vitesse proche de celle de la lumière, le temps s'écoulerait, pour ceux qui sont restés, beaucoup plus vite. Voyager à cette vitesse pendant un an verrait s'écouler plusieurs dizaines d'années au port d'attache.

          A y regarder de près, c'est toute l'œuvre science-fictionnelle de Christian Gre­nier qui est parsemée, de temps en temps, de textes avec le paradoxe tem­porel comme axe central. Un quart d'heure avec Les passagers de décembre* et vous comprendrez triple­ment de quoi il retourne. En effet, ce très beau conte illustre parfaitement la relativité du temps telle qu'Einstein a pu la découvrir et la décrire : Maela et son fils Ronan retrouvent, après quatre ans de voyage, le papa, vieilli de qua­rante ans. Est évoquée également la relativité psychologique du temps : les quatre ans de Ronan n'ont pas pour lui la même valeur que l'éternité qu'ils représentent pour sa mère, séparée de son amour. On ne perçoit pas le temps de la même manière aux différents âges de notre vie. Enfin, ce quart d'heure de lecture nous emmène si loin en temps et en distance qu'il est un quart d'heure de vie plus riche et plus intense que les autres. On y pense et on est habité longtemps encore après l'avoir terminé.

          Lisez Le satellite venu d'ailleurs où Clia venue d'où... de quand... compren dra pourquoi... avec Paul... ou André. Bref, lisez et abandonnez-vous à la gymnastique de l'intelligence que vous propose Christian Grenier. Et, pour les fouineurs-de-Bibliothèque-municipale, car malheureusement ils sont épuisés en librairie, mettez la main sans perdre un instant sur Les cascadeurs du temps ou bien Le soleil va mourir ou encore Messier 51 l'impossible retour où une erreur de calcul temporel mènera Irsis dans une quête de ses origines et de son destin.

          Mais Christian Grenier va plus loin que la simple exploitation de la théorie relativiste. Dans Futurs antérieurs, seul à seul, la dernière nouvelle du recueil, reprend l'idée classique et séduisante du voyage dans le temps. C'est une de ces idées comme seuls les auteurs de science-fiction peuvent nous en offrir ; se revoir plus jeune, s'obser­ver plus vieux, connaître son destin...

          « Fallait-il ou non intercepter son propre vaisseau, faire connaissance avec son double plus jeune de quinze ans ?

          Il ne se posa même pas la ques­tion : l'événement avait déjà eu lieu. C'est donc qu'il existait.Il aurait pu modifier son avenir — mais comment modifier son passé ? « 

          Pour être tant préoccupé par le temps, Christian Grenier, dites-nous tout : qu'avez-vous fait de vos vingt ans ? •

          * in Dix contes de Noël, Amitié, Hatier-Rageot, 1987