Christian Grenier, auteur jeunesse
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 SOMMAIRE 
C1 Présentation
C2 Profession du père : Ecrivain
Sophie Grenier
1 Christian Grenier le joueur de marelle
Yves Pinguilly
2 Planète enfance ou Christian Grenier questionné par ses deux enfants
Sophie Grenier et Sylvain Grenier
4 De la Terre à la Lune : L'avenir d'une illusion
Jacques Deitte
5 Les pieds sur Terre
Jean Coué
6 La planète Utopie
Raoul Dubois
7 La Mercedes à explorer le temps
Jacques Cassabois
8 La planète Robinson
Michel Jeury
9 Dans le sillage de l'extraterrestre
Philippe Barbeau
10 La planète des poireaux
Joël Fuzellier
10 Planète fraternité
René Trusses
11 Intersections d'orbites
Daniel Collobert
12 De temps en temps
Thierry Opillard
13 Le baladin de l'espace
Jean Ollivier
14 Christian Grenier et l'inquiètude du temps
Jean Perrot
15 Les dessous du G.R.E.N.I.E.R.
Christian Poslaniec
17 Imposteur ? Imposteur auteur
Christian Léourier
19 Le cochon de Noël
Christian Grenier
C4 Conjuguer l'enfance et la science-fiction ?
Jo Taboulet

Griffon

revue


La Mercedes à explorer le temps



Jacques Cassabois

Ecrivain


          Mon cher Christian,
          J'étais allongé. Je rêvassais à ces lignes que je t'avais promises. J'ignorais ce qu'elles allaient te dire et, peu à peu, sans doute parce que penser à toi m'in­fluençait déjà, je me suis mis à remon­ter le temps, souplement, sans manifes­ter l'esprit aventureux de tes « cascadeurs », jusqu'à notre première rencontre... Pourquoi me suis-je arrêté là ? Je n'en avais aucune idée. Je n'ai compris qu'ensuite. Au fait, t'en sou­viens-tu, toi ? C'était il y a dix ans tout juste. Le 15 mars 1983. Parfaitement ! Mes agendas ont une mémoire infaillible, tu peux vérifier sur les tiens. Bibliothèque Robert Desnos, Montreuil, 20 heures 30. Nous étions quelques-uns autour de Jean-Claude Stéphani qui nous avait prêté une salle. Je me sou­viens avec certitude de Ruy-Vidal, Pinguilly, Pef, un gars d'Astéroïde, toi et moi. Je ne sais plus ce qui nous avait réunis. De cette soirée je n'ai conservé que les quelques pas que nous avions faits ensemble, vers 23 heures, parce que nos voitures étaient garées dans la même rue. Un an et demi auparavant, je t'avais envoyé un exemplaire de mon premier livre. Tu ne m'avais pas répon­du, tu ne me connaissais pas. Mais j'es­pérais que tu l'avais reçu, lu. Que mon geste, surtout t'aurait intrigué. Ce soir-là, juste avant de nous séparer, tu m'as dit :
          — L'homme de pierre, pourquoi ? Un signe ?
          Et moi, ému par cette preuve que tu avais bien compris, j'ai seulement pu répéter :
          — Oui... un signe.
          Et j'ai hoché la tête, incapable d'ajou­ter : « Un signe de reconnaissance. Un remerciement d'écrire ce que tu écris, de révéler à d'autres qu'ils portent en eux des chemins semblables au tien. Un espoir de partage. » et d'autres choses qu'il était prématuré d'évoquer. L'amitié ne se décrète pas. Elle se consent. Aussi, je me suis tu et c'est toi qui as poursuivi :
          — Ta manière d'écrire, allusive, je ne saurais pas.
          Puis nous sommes repartis vers nos banlieues respectives.
          C'est, en imaginant, net instant, en revoyant la rue, les jardins autour de la bibliothèque, la nuit, que j'ai compris pourquoi j'étais resté fixé sur ce souve­nir. Tu vas sourire. C'est à cause de ta voiture ! Une Mercedes je ne sais com­bien. Un ancien modèle, que tu as ven­due depuis. Un comédien du Théâtre National de Strasbourg possédait la même. Un extraordinaire acteur, comme seule la décentralisation a su en façonner. Il avait été mon professeur, quinze ans avant, à l'école du TNS et, devant ta voiture, inconsciemment, je t'ai associé à lui. Aujourd'hui je me rends compte de la pertinence de cette association. Son souvenir, votre res­semblance en réalité qui dépassait lar­gement la similitude de votre moyen de locomotion, n'a servi qu'à amplifier l'ef­fet de tes livres sur moi. J'admirais cet acteur. Il savait faire tout le contraire de ce que j'aimais. Je me sentais à l'aise dans les demi-teintes ; lui, brassait ses rôles, les proje­tait à l'avant-scène, explosait. Il construisait ses personnages en force, bataillait avec eux, les bousculait pour les contraindre à sa volonté. Il était de ces gens dont les esquisses à main levée laissent entrevoir l'édifice achevé et sa progression vers le détail était la conséquence naturelle d'un mouvement plus vaste, antérieur, jamais remis en cause, car l'impulsion première était toujours orientée avec justesse et bien équilibrée.
          J'éprouvais la même sensation devant tes livres. Le même ébahissement. Que ce soit à propos de La machination, de Face au grand jeu, Le moulin de la colère, Le montreur d'étincelles. Com­ment pouvais-tu, à ce point, jongler avec les idées, les conceptions, les modèles sociaux ? Spéculer sur tes rêves en élaborant d'aussi méticuleuses mécaniques ? Maîtriser si bien l'évolu­tion des mondes qui fermentaient sous ta plume ? Tu étais décourageant de facilité apparente, agaçant de conduire tes combinaisons avec une telle sûreté et, tes livres achevés, je restais long­ temps silencieux, à énumérer nos diffé­rences, à mesurer le gouffre qui sépa­rait mes tentatives dérisoires de tes réussites, incapable de me comparer à toi sans renoncer à moi.
          Cependant, à l'inverse d'autres auteurs que j'ai longtemps évités, tu ne m'as jamais désespéré. Peut-être parce que je mêlais étroitement ton image d'écri­vain à ton image de co-fondateur de la Charte et que ce mélange formait un ensemble où la bienveillance dominait.
          La Charte ! Ce bel enthousiasme, grâce à toi, aux Held, aux Grimaud, à Léourier que je ne peux dissocier de toi. Ce lieu d'échange, de partage amical et de parité qui savait faire mollir le grand vent des personnalités affirmées pour stimuler les nouveaux-venus sans les rebuter. Rares qualités sur nos chemins de création, où les sarcasmes, la déri­sion, l'indifférence sont des obstacles permaments, qu'il faut apprendre à digérer, le plus souvent en se taisant.
          Je ne veux pas oublier cette atmo­sphère d'amitié que, dans mon esprit, tu catalysais. J'y ai souvent puisé au cours de ces dix ans passés. Bien des fois elle m'a donné l'énergie de me remettre devant la page.
          Reçois mon amitié fidèle.


Jacques Cassabois
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Dernière mise à jour du site le 12 octobre 2021
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