Christian Grenier, auteur jeunesse
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 SOMMAIRE 
C1 Présentation
C2 Profession du père : Ecrivain
Sophie Grenier
1 Christian Grenier le joueur de marelle
Yves Pinguilly
2 Planète enfance ou Christian Grenier questionné par ses deux enfants
Sophie Grenier et Sylvain Grenier
4 De la Terre à la Lune : L'avenir d'une illusion
Jacques Deitte
5 Les pieds sur Terre
Jean Coué
6 La planète Utopie
Raoul Dubois
7 La Mercedes à explorer le temps
Jacques Cassabois
8 La planète Robinson
Michel Jeury
9 Dans le sillage de l'extraterrestre
Philippe Barbeau
10 La planète des poireaux
Joël Fuzellier
10 Planète fraternité
René Trusses
11 Intersections d'orbites
Daniel Collobert
12 De temps en temps
Thierry Opillard
13 Le baladin de l'espace
Jean Ollivier
14 Christian Grenier et l'inquiètude du temps
Jean Perrot
15 Les dessous du G.R.E.N.I.E.R.
Christian Poslaniec
17 Imposteur ? Imposteur auteur
Christian Léourier
19 Le cochon de Noël
Christian Grenier
C4 Conjuguer l'enfance et la science-fiction ?
Jo Taboulet

Griffon

revue


Planète enfance ou Christian Grenier questionné par ses deux enfants



Sophie Grenier et Sylvain Grenier



          Sophie : Pourquoi nos grands-parents ont-ils refusé que tu deviennes acteur, comme eux ?

          Christian : Quand je suis né, en 1945, ils vivaient depuis 20 ans de tournées, de chômage et de gloires éphémères. Ma mère a interrompu sa carrière d'ac­trice pour m'élever. Quand mon père est devenu régis­seur à la Comédie Fran­çaise, ce fut un immense soulagement : enfin un salaire régulier allait ren­trer à la maison ! Mes parents redoutaient que je suive leurs traces, que je vive les mêmes galères.

          Sylvain : Pourquoi voulais-tu devenir acteur ?

          Christian : Mais parce que le théâtre a baigné toute mon enfance ! Mon père m'y emmenait plusieurs fois par semaine. Parfois il me plantait en cou­lisses, entre son brigadier et le jeu d'orgues. Il me murmurait « Regarde et ne bouge pas ! » ; d'autres fois, il m'ins­tallait dans la salle près du metteur en scène.

          Sophie : Tu as côtoyé des auteurs célèbres ?

          Christian : Oui, mais je l'ignorais. Mon père me disait ensuite : « Le mon­sieur qui était assis à côté de toi s'ap­pelle Paul Claudel » ou « Qu'est-ce qu'il t'a demandé monsieur Henri de Mon­therlant ? ». Moi, je n'avais d'yeux que pour les acteurs : Robert Hirsch, Jacques Charon, Paul-Emile Deiber, Jean Piat, Robert Manuel, Denise Gence, Georges Descrières... J'ai assisté aux répétitions et aux débuts de Jeanne Moreau, d'Annie Girardot, de Michel Galabru... Et même, adoles­cent, à ceux de la doyenne du Français aujourd'hui : Catherine Samie.

          Sylvain : Tu t'es consolé en te tournant vers l'écriture ?

          Christian : Pas exactement. Quand on m'a appris à lire et à écrire, j'ai lu... et j'ai écrit ! Songez que j'étais seul, sans camarades, sans télévision. Mes livres ne me suffisaient pas. Je me suis vite inventé mes histoires.

          Sophie : L'écriture était ta seule pas­sion ?

          Christian : Non. A dix ans, j'ai découvert la musique. Je ne la connaissais qu'à travers les opérettes qu'avaient jouées et que fredonnaient mes parents : Là-haut, Pas sur la bouche, Princesse Czardas... Beethoven fut une révélation ! Puis il y eut Bach, Wagner, Schubert -Ah ! Schubert ! — Ravel, Prokofiev, puis tous les compositeurs, y compris les contemporains : Chostakovich, Stockhausen, Pierre Henry... J'écoutais les premières sur France IV. Le chef d'orchestre de la Comédie Française, un ami de mon père, s'appe­lait André Jolivet. J'ai voulu appren­dre le piano. Adolescent, je composais aussi !

          Sylvain : Ça, c'est nouveau ! Nous savions que tu avais peint, puisque tu caches quelques toiles vieilles de trente ans...

          Christian : C'étaient surtout des sonates pour trompette et piano. Eh, oui : mon ami Jacques Deitte jouait de la trompette ! Nous organisions des schubertiades ! Mon opus 12 ( !) Jour de tristesse, est une petite sonate pour piano dédiée à Annette, votre mère. J'ai même rédigé le début d'un opéra, L'aube des hommes, qui se voulait la réplique optimiste et utopique du Cré­puscule des Dieux.

          Sophie : Tu écrivais déjà de la science-fiction, enfant ?

          Christian : Non. J'écrivais des contes, des récits, des romans, des poèmes, des pièces de théâtre, des nouvelles... de 6 à 23 ans, j'ai rédigé des centaines, des mil­liers de pages qui dorment dans une malle au grenier !

          Sylvain : Mais qui lisait ces textes ?

          Christian : Mes parents, jusqu'à ce que j'aie 10 ans. N'oublie pas que tu as écrit au même âge, Sylvain, un Mystère à 300 000 km/seconde ; et toi, Sophie, La cité des fleurs géantes. Adolescent, j'ai confié mes textes à mes amis, comme Jacques Deitte (lire page 4). Puis à Annette.

          Sylvain : Comment as-tu connu maman ?

          Christian : Un soir, fin 1957, Papy a changé de trot­toir en revenant du Français et il est tombé nez à nez avec une ancienne amie, une actrice perdue de vue depuis 30 ans ! Elle et son mari habitaient Sen-lis, ils avaient en pension une jeune fille : Annette. Très vite, c'est pour elle que j'ai écrit mes textes. Chaque dimanche, j'ef­fectuais l'aller-retour en vélo pour lui apporter un camembert.

          Sophie : Un camembert ? ? ?

          Christian : C'était un prétexte. Annette aimait la musique, la littérature et les camemberts.

          Sylvain : Tu avais besoin d'un prétexte ?

          Christian : Oui. Annette était plus âgée que moi. C'est en 1962, à 17 ans, que je lui ai dit : « C'est toi que j'aime. C'est avec toi que je veux avoir des enfants. »

          Sophie : Comment a-t-elle réagi ?

          Christian : En fuyant en Guadeloupe ! Pour y enseigner l'anglais avec un enga­gement de deux ans. Aussitôt je lui ai écrit. D'abord, elle n'a pas répondu. Puis elle m'a envoyé une, puis deux lettres... Ainsi s'est établie une correspondance régulière et clandestine — j'étais alors pensionnaire à l'Ecole Normale d'Auteuil.

          Sylvain : La va­lise de 15 kilos, au grenier ?...

          Christian : Oui. Elle contient notre correspondan­ce : des dizaines, des centaines de lettres à l'écri­ture serrée, sur papier avion. Face à mon harcèlement, Annette n'a tenu qu'un an. Elle est rentrée en 1963. Nous nous sommes mariés deux ans plus tard, quand je suis devenu prof.

          Sophie : Au fait, pourquoi prof ?

          Christian : Acteur ou professeur, quelle est la différence ? En 1966, j'étonne mes élèves en leur faisant étudier des pièces que je connais (évidemment) par cœur. J'enseigne dans l'enthousiasme, je crée un journal d'école. En juin, je fais repré­senter à mes élèves une pièce de Charles Vildrac, à laquelle l'auteur vient assister.

          Sylvain : Et la science-fiction, dans tout ça ?

          Christian : Je la découvre en même temps que l'astronomie, en 1968, après avoir obtenu un poste au collège Charles Péguy. Pour la première fois, je tape un roman à la machine — une machine qu'Annette m'a offerte. Ce texte de 600 ou 700 pages, c'est Aïo, que je confie à un col­lègue, Raoul Dubois, quand j'apprends qu'il est critique de littérature de jeu­nesse. Raoul ne me lâchera plus (lire page 6). Il me convaincra de proposer ce roman à des éditeurs, puis au prix ORTF. Aïo est refusé par les éditeurs et il n'ob­tient pas le prix ORTF ! Raoul me com­mande une étude sur la SF qui paraîtra en 1972. Alors que l'ouvrage est sous presse, mon second manuscrit de SF (car je m'entête !), La machination, obtient le prix ORTF.

          Sophie : Et après La machination ?

          Christian : Tout va très vite. Et les amis auxquels j'ai fait appel ici sauront mieux parler que moi de ce qui arrive ensuite.

          Sylvain : Ces amis... ce sont tous des écrivains, comme Jacques Cassabois ou Christian Léourier qui t'ont succédé com­me président de la Charte ? (lire p. 17).

          Christian : Mais non, pas tous ! Certes, quand nous créons La Charte aux Ajoncs d'Or en 1974, avec entre autres William Camus, Pierre Pelot et Jean Coué (lire page 5) nous essayons de mieux nous définir en tant qu'« auteurs pour la jeu­nesse ». Quand Pierre Marchand en 1981 me demande de créer et d'animer la série Folio-Junior SF, c'est pour moi l'occasion de nouer ou de renouer avec certains auteurs prestigieux qui m'ont fait aimer la SF, comme Gérard Klein ou Michel Jeury (lire page 8). Certes, quand je lance le projet Saga en 1987, ce sont vingt écrivains de la Charte qui ré­pondent pré­sent... dont cer­tains, comme Philippe Barbeau, en sont à leur coup d'essai ! (lire p.9). Mais quand j'écris La guerre des poi­reaux, je mets en scène vos amis d'en­fance, Pascal et Dorothée, ainsi que le maire du village de Villers-sous-Ailly, Joël Fuzellier (lire p.10) devenu un ami. Quand le poète et directeur de troupe René Trusses me réclame à son Mai du livre, pour expli­quer la science-fiction, il me commande une pièce de théâtre (et même une choré­graphie !) et il me permet ainsi de renouer avec la scène (lire p. 10) et d'ap­procher les scientifiques.

          Sophie : Comme Daniel Collobert ?

          Christian : J'ai rencontré Daniel grâce à... Yves Pinguilly qui avait sollicité la venue d'un astro-physicien pour pimenter le débat sur la science-fiction que j'ani­mais en Bretagne. Depuis, Daniel lit mes manuscrits et corrige mes erreurs scienti­fiques (lire pages 11 et 12).

          Sylvain : Et pourquoi t'être lancé dans la bande dessinée ?

          Christian : Mais c'était un défi fasci­nant ! Quand Jean Ollivier m'a sollicité, j'ai été enthou­siasmé (lire p. 13). De même, à la de­mande de Nina Wolmark, qui avait créé quelques années plus tôt Ulysse 31, je me lancerai dans la rédaction d'une vingtaine de scéna­rios des Mondes engloutis avant d'adapter pour la télévision plusieurs épisodes de Rahan.

          Sophie : D'accord. Tu voulais conjuguer la SF avec tous les genres... Mais quelle idée d'avoir repris tes études ? Et entrepris sous la direction de Jean Perrot (lire page 14) une thèse sur la SF alors que tu n'envisages même pas d'enseigner à l'uni­versité ?

          Christian : Sans doute pour mettre au propre vingt-cinq ans de réflexion sur la science-fiction. Pour mesurer, comme le fait Christian Poslaniec (lire page 15), la théorie et la pratique. Pour me montrer digne de la confiance que m'accordent précisément certaines universités (comme celle du Mans), certains I.U.F.M. (comme celui de la rue Molitor) ou des centres de formation des bibliothécaires (comme celui de la rue de Corvisart) qui me sollicitent pour que j'explique comment fonctionne la littérature de science-fiction. Enfin, pour me prouver aussi que je suis capable d'écrire autre chose que des romans SF pour la jeunesse.
          Sylvain : Par exemple Auteur auteur imposteur ?

          Christian : Oui ! Voyez-vous, c'est très étrange : quand Yves Pinguilly m'a dit qu'il souhaitait me consacrer le prochain numéro de Griffon, j'ai vite sollicité une quinzaine d'amis. Je pensais qu'il s'en trouverait bien trois ou quatre pour répondre à l'appel. Ils ont tous répondu. Cet empressement, cette fidélité m'ont ému bien plus qu'ils ne le soupçonnent — et je tiens ici à les remercier. J'avais fait appel à Michel Jeury pour qu'il parle de la SF destinée aux adultes, et il me semble fasciné par la littérature pour la jeunesse ! Je pensais que Christian Léourier parlerait de SF pour la jeunesse. Eh bien, non : il a bâti sa réflexion autour de ce roman Auteur auteur imposteur qui n'est ni de la science-fiction, ni destiné aux jeunes ! (lire page 17).

          Sophie : Toi-même, n'as-tu pas souhaité achever ce numéro sur un conte qui n'a rien à voir avec la SF ? (Lire page 19). Pourquoi ?

          Christian : C'est vrai... Je voulais sans doute illustrer un aspect de mon écriture et de mon imaginaire que mes lecteurs connaissent mal. Mais mon Cochon de Noël ne raconte rien d'autre que ce que je répète de roman en roman. Et il ne le raconte pas autrement : il boucle un par­ cours amorcé depuis très longtemps -peut-être depuis l'époque où j'écrivais opiniâtrement à votre mère dans cette Guadeloupe... où je ne suis jamais allé.

          Sylvain : Tu le regrettes ?

          Christian : Non. Dans mes récits, qui se déroulent parfois à des années-lumière, je crois accorder beaucoup moins d'impor­tance au voyage qu'à l'objectif. Et le but, c'est de se trouver — et de se retrouver aussi.


Sophie Grenier et Sylvain Grenier
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Annette et Christian 1963
Annette et Christian 1963

Annette et Christian 1993
Annette et Christian 1993

1972 : remise du prix ORTF ( pour
1972 : remise du prix ORTF ( pour "La Machination") avec Pierre Tchernia



Dernière mise à jour du site le 12 octobre 2021
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