Griffon

          Parmi les êtres qui viennent au monde, il y a ceux auxquels le monde suffit : sept mers, cinq continents, c'est assez, disent-ils, pour jouer les Sindbad ou les Gulliver... et puis il y en a d'autres pour lesquels le monde c'est trop peu, pour lesquels dans un monde qui tourne rond on tourne trop en rond. Ceux-là clignent de l'œil (même des deux) vers les galaxies. Ils guet­tent entre chien et loup d'éven­tuels big-bang... et ils iraient bien en week-end dans un de ces trous noirs que les guides les plus avisés disent n'être pas aussi troués que cela. Grenier est, vous l'avez compris, dans le camp des autres mondes. Cela dit, je sais que la croûte ter­restre l'intéresse et qu'il peut dire à tout-un-chacun où cette croûte est un peu plus purulente qu'il ne faudrait.

          Du bout de sa lorgnette (son télescope...), Grenier a choisi de n'écrire jamais des histoires vraies, mais toujours de vraies histoires. Cela est certainement une imposture dans un monde où l'imaginaire et ses déborde­ments a plus mauvaise presse que le reality show ! Seulement voilà, les vraies histoires de Grenier, quand elles ont les pieds non pas sur Terre mais sur une autre planète (voir Le cœur en abîme...) créent un monde de machination ou d'amour qui fait écho aux ma­chinations et aux amours des lecteurs terriens que nous sommes. Oui, il serait dommage de se passer de telles impos­tures... de telles utopies.

          Ecrire de la science-fiction, c'est peut-être fracturer le réel pour le confronter avec les peurs ou les joies d'un réel à venir. Et quand on sait (par confidence) que Grenier est amoureux d'un cœur simple (celui de Flaubert, s'entend) on se doute que le lec­teur aura en plus du plaisir galactique celui d'une langue perdue d'alphabet latin.

          A tous les âges (et dans toutes les dimensions) on peut jouer à la marelle ; Grenier depuis tou­jours y joue et tombe dans le ciel. A tous les âges, donc, il y a de bonnes raisons de lire Gre­nier et ainsi de s'éclater... dans les étoiles.