Ray BRADBURY Titre original : The Golden Apples of the Sun, 1953 Première parution : États-Unis, New York : Doubleday, 19 mars 1953ISFDB Traduction de Richard NÉGROU Illustration de Vincent FROISSARD
DENOËL
(Paris, France), coll. Présence du futur n° 14 Dépôt légal : mars 1999 Réédition Recueil de nouvelles, 242 pages, catégorie / prix : 4 ISBN : 2-207-24854-2 Format : 11,0 x 18,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
Ray Bradbury, né en 1920, est l'écrivain de science-fiction le plus connu au monde. Ses romans et ses nouvelles ont été lus à des millions d'exemplaires dans presque toutes les langues de la Terre. Passionné par l'image, il est aussi l'auteur de plusieurs scénarios pour le cinéma, dont celui de Moby Dick (John Huston), et a adapté nombre de ses récits pour la scène et la télévision. Un de ses plus célèbres romans, Fahrenheit 451, a été porté à l'écran par François Truffaut.
Bradbury a des adorateurs qui se pâment en le lisant, et des détracteurs qui méditeraient facilement de le griller à petit feu. Les uns et les autres sont fermement ancrés dans leur jugement et refusent d'en dévier seulement d'un pouce. Celui pour qui toute ligne signée Bradbury est sacrée se montre tout aussi entêté que celui qui le vomit en bloc. Pour un auteur, c'est déjà un honneur que de ne pas provoquer des réactions tièdes. Mais pourtant, il est possible de se convertir à Bradbury comme il est possible d'en guérir, selon qu'on aura à la longue discerné ses qualités derrière ses défauts ou réciproquement. Et il peut surtout être recommandé de l'aimer tel qu'il est, à cause de ses qualités et malgré ses défauts, tout en distinguant clairement ce qui compose ces deux éléments.
Chaque fois que « Fiction » parle de Bradbury (jusqu'ici, toujours pour lui tresser des louanges), il y a des lecteurs qui écrivent : « Assez ! N'en jetez plus ! À mort Bradbury ! On n'en veut plus ! » Ces cœurs farouches ricaneront peut-être de plaisir si je leur avoue que « Les pommes d'or du soleil » (The golden apples of the sun), publié chez Denoël, est son plus mauvais livre ; et ils hausseront les épaules si je leur dis que cela ne m'empêche pas de continuer à estimer Bradbury…
Les critiques américains n'ont pas été très tendres pour « Les pommes d'or du soleil » lorsque le recueil parut aux U.S.A. voici trois ans. Il faut faire là la part de la déception qui suit les trop grandes espérances. Après les « Chroniques martiennes » et « L'homme illustré » (*), on pouvait – on devait – attendre énormément de Bradbury… et certainement pas ce recueil mi-chair mi-poisson, mi-figue mi-raisin, fait de bric et de broc et pareil à un vêtement fabriqué de pièces. En fait, les circonstances atténuantes se dégageaient d'elles-mêmes de la composition de l'ouvrage : les précédents avaient été un florilège de tous ses meilleurs récits parus auparavant et celui-ci réunissait les autres, les (plus ou moins) laissés pour compte. Bradbury était victime de sa popularité qui l'avait forcé à faire paraître dans les plus brefs délais un nouveau titre. Cela explique l'aspect un peu « fonds de tiroir » du livre, qui sur vingt-deux nouvelles en reprend seize publiées de-ci de-là entre 1945 et 1952.
Défaut primordial de ce recueil : son aspect totalement hétéroclite, que le texte de présentation sur la jaquette tente désespérément d'enrober derrière un concept d'« unité humaine ». Un tiers à peu près des histoires est réaliste et n'a rien à voir avec le fantastique ou la SF ; un autre tiers s'y rattache plus ou moins vaguement ; et seul le restant y rentre véritablement. Dans un certain nombre d'entre elles, on retrouve la « patte » de Bradbury ; d'autres ne sont pas mauvaises, mais pourraient être signées de n'importe qui ; d'autres encore ne valaient même pas d'être publiées.
Chose notable, les meilleures sont pour la plupart celles de sujets purement SF ou fantastiques, et les plus mauvaises celles de sujets purement réalistes. À vrai dire, Bradbury semble aussi peu fait pour décrire la vie quotidienne du temps présent que s'il n'avait jamais regardé le monde qui nous entoure ; c'est exactement comme s'il vivait sur une autre planète (vous savez laquelle !).
Le thème de l'aboutissement psychologique monstrueux de la civilisation mécanisée, qui lui est cher, a fourni le prétexte de deux excellentes histoires : « Le promeneur » (inoubliable et déjà classique, depuis que « Fiction » en a présenté en février 1954 une traduction intitulée « L'arriéré ») et « Le criminel », où l'on voit un homme « tuer » tous les appareils à faire du bruit et à dévorer l'âme.
Très bradbury en aussi, ce si joli « Désert semé d'étoiles» (dont vous avez également pu lire une traduction dans notre numéro 28 sous le titre « Le désert d'étoiles »), incantation sur le mode mineur pour célébrer l'amour et conjurer la nuit.
« Un coup de tonnerre » mérite une mention spéciale, étant une des rares histoires de Bradbury à rouler sur les voyages dans le temps ; elle est frappante et un peu facile, car les données sont trop ouvertement truquées. (Comparer avec la rigueur de Poul Anderson expliquant « L'autre univers », dans notre numéro 32).
Les scientifiques riront bien en lisant « La sirène » et « Les fruits d'or du soleil» (il s'agit bien là des « pommes » du titre, mais elles ont mystérieusement changé de dénomination dans le corps du livre), deux histoires où on voit respectivement un monstre préhistorique se réveiller en « entendant » (?) la sirène d'un phare… depuis le fond de la mer, et un astronef « entrer » (??) dans le soleil… pour en voler un morceau (!!!). D'ailleurs les scientifiques auront tort, puisque Bradbury se soucie de poésie et non de science, et que sur ces thèmes absurdes il a brodé deux vignettes ravissantes.
Dans un autre domaine, celui du fantastique pur, il nous donne également « Adieu et bon voyage », curieuse histoire d'un enfant-homme, et cette délicieuse réussite qu'est «La sorcière du mois d'avril », évocation troublante et tendre qui a toute la grâce d'un conte de fées.
Dans le reste des histoires, se côtoie le meilleur et le moins bon. Récits « engagés » concernant une fois de plus la suprématie morale des hommes de couleur sur les blancs (« La grande partie entre noirs et blancs », « Soleil et ombre »), portraits psychologiques touchants (« Le vaste monde au-delà des montagnes ») ou factices (« Station génératrice »), morceaux attachants où le quotidien débouche sur un irréel ou un merveilleux « internes » (« Les fruits posés au fond de la coupe », « La prairie »), petits apologues moralisateurs nettement stupides (« La machine volante », « Le cerf-volant doré et le vent argenté»), « tableaux vécus » maladroits, aux attraits faibles ou inexistants (« Je ne vous reverrai plus jamais », « En la noche » ; « Service de voirie », « Le grand incendie »). Enfin, dans une catégorie à part, rangeons « L'enfant invisible», conte baroque et plaisant sur un faux thème fantastique, et « Broderie», morceau symbolique assez hermétique qui peut faire penser aux trois Parques, à l'autodestruction atomique du globe, et à tout ce qu'on voudra.
En anglais, « Les pommes d'or du soleil » valent, comme de juste, par une prose admirable que la traduction d'un honnête tâcheron a ici considérablement banalisée. Les bourdes ne sont qu'épisodiques, mais l'ensemble est d'une platitude que nul essor ne vient animer. Naguère aussi, dans la même collection, «L'homme illustré » fut abîmé par son traducteur, mais c'était un livre qui pouvait se suffire à lui-même. Pour « Les pommes d'or », c'est plus ennuyeux…
(*) J'omets volontairement « Dark carnival », remarqué à sa parution seulement dans le cercle des amateurs de fantastique
Alain DORÉMIEUX Première parution : 1/10/1956 Fiction 35 Mise en ligne le : 2/7/2025