Christian Grenier, auteur jeunesse
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Les notes de lecture étant publiées sur le blog chaque semaine, cela devenait difficile de mettre ces pages à jour en parallèle. Donc rendez-vous sur le blog pour les nouvelles "lectures de la semaine" ! CG, le Lundi 18 février 2013
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 Juin 2005 : Les lectures de Mai 
     « Je ne peux m’empêcher de penser à une critique qui ne chercherait pas à juger, mais à faire exister une œuvre, un livre, une phrase, une idée... »

  La danse des maudits - 10 histoires du Moyen Age , Collectif ( Rageot , Magnum )  
     Après tout, ce n'est pas parce que j'ai une nouvelle dans ce recueil que je vais en censurer la critique ! Pourquoi faut-il absolument lire La Danse des Maudits ? D'abord parce que l'objet est magnifique : la couverture est une réussite totale, avec ce rouge extraordinaire dont le fond, si vous y êtes attentif, rappelle la trame d'une tapisserie ! Sans parler du signet... une rareté dans un ouvrage destiné aux jeunes. Ensuite parce que les neuf autres auteurs ont donné le meilleur d'eux-mêmes et qu'il s'agit là d'un cru exceptionnel. Enfin parce que ce recueil aux récits d'une diversité et d'une force étonnantes touchera autant les adultes que les ados.
     Dans L'ordalie des flammes, Viviane Moore évoque l'étrange destin de la petite Madeleine, qui cherche une nouvelle épouse pour son père veuf, le verrier Robert. C'est là une véritable enquête policière avec meurtre, enquêteur et coup de théâtre final... avec pour décor la construction de la cathédrale de Chartres.
     Avec La rose noire, Alain Surget nous fait entrer dans... des meurtres en série ! Ceux que cause un étrange bijou, une « pomme à mettre senteur » qui asphyxie les femmes assez imprudentes pour le passer autour de leur cou. Dans un style étonnamment d'époque, l'auteur mène une enquête qui aboutira à un herboriste quelque peu misogyne !
     Le puits maudit, de Brigitte Aubert et Gisèle Cavali, est une petite merveille : Manon, une jeune veuve et ses quatre enfants, sont assassinés par un amoureux éconduit, le forgeron Quentin. Seul témoin et rescapé de la scène : un petit chaton noir — le véritable héros de ce thriller miniature qui fera battre le cœur du lecteur jusqu'au bout .
     Colin, le jeune héros des treize coups de minuit, d'Evelyne Brisou-Pellen, est l'un des rescapés de la peste qui a frappé le village et la région. Un jour arrivent des pèlerins et un étrange moine roux qui, prétend-il, a été nommé ici comme curé par l'évèque. Mais le village a déjà un curé. Or, à minuit, le moine est assassiné, on le précipite du haut du clocher. Qui a fait le coup ?
     Dans La clé de feu, de Jean Molla, le vieux Jean de Cidenne relate le double crime dont il a été témoin quand il était jeune clerc : le meurtre d'un apothicaire-alchimiste dont, pour son malheur, il est tombé amoureux de la belle épouse... une superbe énigme à la Gaston Leroux qui cache une machination ( presque ) diabolique !
     Le jeune Thibault a réalisé son rêve, il est devenu l'écuyer du chevalier Jehan de Kermarec. Las, le chevalier, désargenté, est plutôt du genre Don Quichotte... jusqu'au jour où les deux hommes doivent, pour survivre, s'improviser Tueurs de dragon ( tel est le titre du récit, épique et humoristique de Jean-Luc Bizien ). Un monstre terrorise en effet la région — un monstre que les deux complices auront vite fait de démasquer.
     Le Retour macabre, de Brigitte Aubert et Gisèle Cavali, relate la découverte en mer, par le jeune pêcheur Justin, du corps découpé en morceaux de Charles Jean de Villeneuve, l'époux de la belle Christine dont Justin est depuis toujours amoureux. La jeune femme est aussitôt accusée par l'abbé de La Napoule de meurtre et de sorcellerie — car les restes de son époux sont emmaillottés, miraculeusement intacts, dans des linges sur lesquels figurent des signes cabalistiques...Justin finira par faire éclater une vérité stupéfiante et d'une logique rigoureuse !
     Le héros de La musique des troubadours, d'Hervé Mestron, est le hideux seigneur Guilhem de Figueira qui, régulièrement, accueille dans son château les troubadours qui divertissent sa belle épouse Marie. Mais voilà : les troubadours, trop entreprenants, finissent toujours par disparaître. En sera-t-il de même pour Francisco de Rosers, qui rêve d'occire le mari importun et d'épouser Marie ? Ce conte médiéval est une sorte de Barbe Bleue machiavélique et habilement revisité !
     Etrange et magnifique destin que celui d'Urdin Le Fétaud, le récit d'Andrea H. Japp... Bébé soupçonné d'être celui d'une fée, Geoffroi est rebaptisé Urdin, et soupçonné de pouvoirs maléfiques. En fait, Urdin le futé déjoue un complot destiné à empêcher Aude de Cernom d'Arcisses d'avoir un enfant. Une bien belle histoire qui, comme beaucoup d'autres de ce recueil, s'inscrit dans l'Histoire de France, à l'époque du bon roi Louis IX appelé Saint Louis.



  Le cheval de la nuit , Hélène Kérillis ( Magnard , Jeunesse )  
     Quelle riche idée que d'utiliser le tableau de Paul Gauguin, Le cheval blanc, pour imaginer une histoire et construire un album... dont l'action se déroule bien sûr à Tahiti !
     Le jeune héros-narrateur, Oviri ( « sauvage » en Tahitien ), voudrait aller pêcher au lagon.
     « Mais je suis trop petit, paraît-il. Et si je joue, on me dit que je suis trop grand... »
     Traité de bon à rien par son oncle Hiro, Oviri, très contrarié, se fâche et dévaste la nature avec son coupe-coupe. Jusqu'à ce que Tioka, un cheval magique couleur de boue, l'arrête et l'initie aux beautés qu'il a saccagées. Commence, avec ce guide inattendu, un voyage initiatique qui ouvrira les yeux d'Oviri et le fera grandir.
     C'est là une histoire simple et belle, écologique et morale, à, laquelle les illustrations offrent un magnifique écho. Quel auteur jeunesse peut se vanter d'avoir Paul Gauguin comme illustrateur ?

Vous pouvez aussi lire les notes de lecture sur d'autres livres du même auteur :
Le miroir de l'invisible | L'extraordinaire voyage d'Ulysse | La classe de 6ème et les extraterrestres


  Kotia et le seigneur Jaguar , Hélène Kérillis ( Bilboquet )  
     Cette fable brésilienne racontée par Hélène Kérillis évoque un seigneur jaguar très malin qui cherche à faire débroussailler gratis son terrain de chasse et offre en récompense une chèvre. Seule condition : ne pas se gratter. Plusieurs animaux s'y collent : d'abord le kinkajou, puis le tamanoir. Hélas, face aux hordes de moustiques, ils échouent... après avoir bien avancé le travail, comme le jaguar l'avait prévu ! Jusqu'à ce que la petite Kotia relève le défi : non seulement elle débroussaille mais elle parvient à se gratter en utilisant mille ruses.
     Dupé, le jaguar finit par céder la chèvre, avant de la récupérer sous la menace.
     Vexée, Kotia joue un nouveau tour au fauve. En lui faisant croire que la fin du monde est proche, elle parvient à le ligoter. Mais la vraie punition du jaguar immobilisé... ce sont les fameux moustiques qui vont le piquer sans qu'il puisse se gratter !
     Ce conte édifiant et exotique aux illustrations flamboyantes aurait pu être écrit par... un La Fontaine sud-américain !

Vous pouvez aussi lire les notes de lecture sur d'autres livres du même auteur :
Le miroir de l'invisible | L'extraordinaire voyage d'Ulysse | La classe de 6ème et les extraterrestres


  Les Landes - Mille pays pour une âme , Olivier Dexk ( Cairn Editions )  
     Ce superbe ouvrage d'art est un cadeau de la ville de Mont-de-Marsan où j'ai été, le 23 mai, effectuer une journée d'intervention dans les collèges, pour y parler d'Ecoland.
     Comme son titre l'indique, ce livre se veut un hommage appuyé aux Landes, département constitué en fait de « mille pays différents ». Le texte, narratif, hésite entre prose et poésie :
     Partout l'eau perdue
     Cherche son chemin
     Au ventre sableux de Gascogne
     Si peu de pentes et des dunes si hautes.
     Ce livre propose une véritable promenade qui évoque l'histoire des Landes, ses maisons typiques, ses vieilles abbayes, ses forêts de pins, ses étangs et ses plages, ses habitants et leurs traditions ( la corrida, le rugby, les chevaux, les brebis, les palombes, les canards ) et bien sûr la gastronomie : armagnac, foie gras et confits, cèpes et kiwis, la tempête dévastatrice du 27 décembre 1999, les incendies, les plages, le sable, le ciel...
     Très récent, dénué de passéisme — l'auteur y évoque le TGV et les pylônes électriques ! — ce volume offre des photos extraordinaires, de véritables tableaux. On en sort enchanté, un peu saoul, avec la ferme intention de s'y replonger au plus vite, et avec l'impression de n'avoir pas su, en traversant ce département, en goûter suffisamment la poésie et les arômes.



  Dieu parlera ce soir , Jean-Marie de Buck ( Desclée de Brower )  
     Il y a quelques mois, j'ai ressorti cet ouvrage de ma bibliothèque pour écrire ma « Confession » Ce soir-là, Dieu est mort( De La Martinière ) En effet, ce gros roman de 500 pages, paru en 1945, a eu une grande influence sur moi quand j'étais adolescent : c'est le journal intime ( sans doute imaginaire ) d'un garçon de seize ans, scout et catholique, au caractère secret, qui se pose mille questions sur son avenir, sa foi, ses relations ( plutôt cordiales d'ailleurs ) avec ses parents et les garçons qu'il fréquente et auxquels il se confie — à l'époque, on ne fréquentait guère les filles ! Je sais pourquoi cet ouvrage m'a tant frappé : ce garçon me ressemble beaucoup. Au fil des pages, je note : « Je serai toujours esclave des autres », « Je me demande d'où vient cette crainte insurmontable qui me prend en présence de mon père », « vingt lignes, c'est ce que je veux écrire chaque jour pour m'entraîner à ma future profession de romancier »...
     A l'époque, je tenais aussi mon journal intime, mais mon problème était plutôt de freiner mes envies de me confier au papier. Au fil des pages, je me rends compte combien ce texte faisait écho à mes préoccupations, et combien le narrateur m'apparaissait comme mon double. Par ailleurs, à ma grande surprise, et en dépit de quelques imparfaits du subjonctif difficiles à admettre aujourd'hui ( « J'eusse aimé aimé lire et me promener seul, ou encore m'asseoir (...) J'eusse surtout voulu me taire (...) Il faudrait que j'allasse en ville demain... ), le texte est d'une limpidité et d'une lisibilité étonnantes, même si son actualité a quelque peu fané : les ados se vouvoient, et les rapports entre eux sont à la fois discrets et distants — ils l'étaient d'ailleurs toujours en 1960 ! Je me suis replongé dans la lecture de ce roman avec un plaisir étrange, que ne partageraient évidement pas les ados d'aujourd'hui. Aucun risque : malgré l'affirmation de la première de couverture : « 7ème édition, 39ème mille », je doute que l'ouvrage soit trouvable aujourd'hui, même dans les bibliothèques les mieux fournies.
     Motif d'émotion supplémentaire : ce bouquin, c'est ma future femme qui me l'avait prêté quand j'avais quinze ans, car elle avait deviné que je partageais bien des points communs avec le narrateur. Mais ce livre était un cadeau que lui avait fait sa meilleure amie, une camarade de lycée : Toto Bissainthe, une Martiniquaise qui, vingt ans plus tard, se ferait une place dans le petit monde de la chanson. Toto, qui avait donné l'ouvrage à Annette, l'avait annoté en le lisant, souligné certains passages et coché « les pages importantes pour moi », disait-elle. Non sans avoir ajouté de sa main, à l'encre, à la page 526 ( la dernière ) : « Quand on n'a pas tout donné, on n'a encore rien donné ».
     Aujourd'hui, Toto Bissainthe est morte. D'elle, il ne nous reste que quelques photos et ce livre que nous continuons de partager et qui, d'une certaine façon, nous a réunis.



  Ensemble, c'est tout , Anna Gavalda ( Le Dilettante )  
     D'abord, il y a Franck, jeune cuisinier et vieux dragueur, Franck dont la grand-mère, Paulette, doit être hospitalisée puis placée dans une Résidence pour personnages âgées. Puis il y a Camille, Camille l'anorexique, « nettoyeuse de surface » pour survivre et peintre refoulée et passionnée, Camille en conflit avec sa mère et qui, après avoir été recueillie par un couple ( qui lui prête une chambre de bonne ), a fini par se réfugier chez Philibert. Car il y a enfin Philibert, un jeune noble timide, excentrique et bégayeur qui habite un appartement de 400 mètres carrés dans lequel il accueille Franck, puis Camille.
     Et surtout, il y a la vie, une existence cahotique ( et chaotique ? ) faite de renoncements, de désirs, de concessions perpétuelles... un fil qui va peu à peu conduire ces quatre personnages attachants à vivre « ensemble, c'est tout », dans cet appartement bientôt transformé en refuge, en dortoir, en confessionnal., dans lequel la vieille Paulette va se réconcilier avec son petit-fils et où Camille, qui s'occupe de Paulette, va peu à peu se délivrer de ses angoisses et comprendre qu'elle tient à Franck un peu plus que cela... une histoire qui s'achève, ou plutôt ne s'achève pas vraiment, par un mariage et un enterrement.
     Chez Gavalda, acrobate des cœurs et du verbe, ça passe ou ça casse. Car ça dialogue à tout va, et pour un oui ou un non, ça passe du coq à l'âne et du rire aux larmes. Mais si ça passe, le lecteur est happé. Et il savoure certaines situations baroques, certaines scènes inoubliables — comme cette Saint Sylvestre exceptionnelle où Franck a embauché Camille comme extra...
     Et si ça passe, le livre n'a qu'un défaut : il est trop court. Car ces six cents pages s'avalent d'une traite, dans un élan irrésistible qui entraînera bien des lecteurs rebutés par dix pages de Julien Gracq. On me dira aussi, ce n'est pas la même cour, il y a la cour des grands et... la cour de récration, où Anna Gavalda fait merveille. Car on peut tout lui reprocher, à cette auteure prolifique et sympathique : sa séduction, sa légèreté, ses longueurs, ses invraisemblances, son incouciance... et ses chiffres de vente !
     Mais si l'on aime ( et c'est mon cas ! ), je ne vois pas pourquoi on bouderait son plaisir.



  Chroniques du ciel et de la vie , Hubert Reeves ( Seuil )  
     Chaque semaine, sur France Culture, Hubert Reeves a évoqué, pour le grand public, le méchant sort que réservent à notre planète maltraitée l'incurie des grandes sociétés privées... et celle des gens ordinaires, à la fois exigeants et négligents.
     Cet ouvrage reprend ces chroniques, dans une « défense et illustration de l'avenir de la Terre ». Le propos, volontiers pédagogique et souvent démonstratif, n'est jamais complexe ni lassant. Certes, le scientifique exigeant restera sur sa faim et n'apprendra rien de bien neuf, mais l'amateur et le consommateur y retrouveront, avec la générosité et la simplicité dont l'astrophysicien canadien ( et barbu ) est coutumier, les antiennes de l'auteur, ses avertissements, ses menaces — et les dernières conclusions des spécialistes sur une planète qui, après quelques milliards d'années, a eu la chance de voir s'épanouir la vie et l'intelligence et qui, en quelques siècles, pourrait bien voir s'éteindre l'espèce humaine par la faute et la négligence de ses habitants.
     Un livre salutaire en forme d'avertissement, rempli de données essentielles, et jamais dépourvu d'espoir. A mettre entre toutes les mains !

Vous pouvez aussi lire les notes de lecture sur d'autres livres du même auteur :
Je n'aurais pas le temps


  Les chevaux , Collectif ( adapté par Catherine Robin Bodi ) ( Gründ )  
     Les deux aînées de nos petites-filles ( 5 et 8 ans ) sont passionnées par les chevaux.
     Avant qu'elles ne se plongent dans l'Etalon Noir ( et Mon amie Flicka ! ), je leur ai déniché — à Veynes, pendant le Salon du Livre, c'est pendant les salons que j'achète mes livres ! — ce gros ouvrage de 730 pages qui comporte plus de 500 photos. Un livre qui pourrait être sous-titré : tout, absolument tout sur les chevaux, les races, les origines, les comportements, les sports, les traditions...
     Egoïstement, avant de leur offrir ce livre, j'ai commencé à le feuilleter — puis à le lire. Son épaisseur n'est pas un obstacle car quand la page n'est pas toute entière occupée par une photo, elle ne comporte que trois ou quatre lignes d'un commentaire sobre et explicatif comme :
     Chine. Chaque année, sur le plateau de Litang ( au Tibet ) des milliers de personnes se réunissent pour se mesurer lors d'épreuves d'adresse à cheval.
     Ce livre récent (mars 2005 ) est une récréation tout public, un plaisir des yeux, un gros album à feuilleter ensemble dans lequel, sans en avoir l'air, on puise sur ce sujet mille et une informations.



  Récits mythologiques , A.-M. Guillemin ( Hatier )  
     Pour des raisons professionnelles ( je vais m'atteler à l'écriture d'un Jason, vieille commande des éditions Nathan ), j'ai voulu trouver des éléments d'information sur la grande épopée des Argonautes. Et sur ma lancée, j'ai avalé d'un coup ce vieil ouvrage ( paru en... 1936 ! ) qui, selon leur auteur « s'adresse à la fois au public cultivé et aux élèves de l'enseignement secondaire ». Certes, ce n'est là qu'une sorte de digest des Métamorphoses d'Ovide mais je suis frappé par la simplicité, l'efficacité et aussi par l'exigence de l'auteur qui, en 250 pages, tente d'embrasser à peu près toute la mythologie en résumant les principaux faits avec une concision stupéfiante. Certes, la densité de ce documentaire et son caractère parfois aride ne le rendent plus du tout accessible au néophyte ; mais quand on maîtrise déjà l'essentiel de la mythologie et qu'on hésite à se replonger dans les grands classiques grecs, c'est là un outil précieux, ne serait-ce qu'en raison d'un glossaire de plusieurs centaines de noms !



  Un linceul de neige , Jacques Delval ( Diabase littérature )  
     A l'occasion d'un salon ( celui de Narbonne ) où nous signions côte à côte, Jacques Delval — avec lequel j'ai mille points communs — m'a fait l'amitié de me donner son dernier né : une histoire à la fois grave et troublante : celle d'un médecin qui, un matin, est réveillé par l'appel de Mme Pereira, la dame qui veille sur sa mère âgée : elle a retrouvé cette dernière morte, sur une chaise longue, dans le jardin.
     Troublé, partagé entre un inavouable soulagement et une douleur aiguë, le docteur arrive chez sa mère. Dur, pour un médecin, de deviner que sa mère est sans doute morte volontairement, en s'allongeant sur une chaise longue, sous la neige qui tombait...Tout en la veillant jalousement, il s'interroge : pourquoi sa mère, la veille au soir, a-t-elle choisi de s'installer dans son jardin, trop peu vêtue alors qu'il faisait froid ? S'agit-il d'un signe désespéré ? D'une provocation vis-à-vis d'un fils qui la négligeait ? D'un suicide déguisé ? Alors que les pompes funèbres s'affairent remontent chez le narrateur, le temps d'une veillée solitaire, mille souvenirs imprécis et ambigus : ceux d'une sœur morte à 17 ans de la tuberculose, ceux d'un père mal connu et trop tôt disparu, d'une naissance — la sienne — qui ne peut avoir eu lieu « sous les bombes », comme on le lui avait toujours dit et comme il l'avait toujours cru, ceux d'un nom mystérieux, Lu — un ami de sa mère qui aurait pu être son amant... et peut-être, qui sait, le père du narrateur ?
     Fébrile, le médecin part alors à la recherche des photos et des notes que sa mère prenait chaque jour, une façon de journal intime dans lequel il voudrait glaner, ici ou là, les informations qui lui manquent...
     Souvenirs, regrets et fantômes, tel pourrait être le sous-titre de ce récit ( on hésite à le baptiser roman tant il semble tissé de souvenirs ou de fantasmes ) intimiste et secret, où l'émotion sourd derrière chaque phrase, chaque fait, chaque geste — et où l'implicite se révèle toujours plus fort que les mots.

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Quand j'aurai 20 ans


  Felicidad , Jean Molla ( Gallimard , Scripto )  
     Cette dystopie, hommage non déguisé au Blade Runner de Philik K. Dick ( plus exactement Est-ce que les robots rêvent à des moutons électriques, adapté au cinéma par Ridley Scott — un chef d'œuvre ! ) nous plonge dans un futur digne de 1984 ou du Meilleur des Mondes. Mais c'est un futur revisité, actualisé, et d'une vraisemblance plus grande qu'il n'y paraît...
     Trois puissances économiques se partagent le monde : la Chinasie, les Etats-Unis d'Austramérique et la Nouvelle Europe, avec son Président élu à vie qui, grâce à l'omniprésence des sécuricam, règne depuis soixante ans sur cette société du « bonheur obligatoire », une société où cohabitent les citoyens ordinaires et des « parumains », adjoints dociles génériquement modifiés
     Pour des raisons commerciales — car nous sommes dans une société libérale très avancée, où consommation et guerre économique font rage — la société Génégène et son génial responsable, le Dr Schoelcher, ont récemment mis au point les Delta 5, des parumains dont la force, l'intelligence et les capacités de transformation menacent d'autant plus la société qu'ils semblent organisés et prêts à donner à leurs congénères ordinaires un pouvoir et des droits dont ils sont évidemment spoliés ( les parumains sont censés n'avoir que des parodies de sentiments ). A l'occasion de Noël, dans la capitale de la Nouvelle Europe, Felicidad, trois Delta 5 se sont échappés.
     Soupçonné, interrogé, Schoelcher est finalement torturé et éliminé par le pouvoir.
     Reste à retrouver et à capturer vivants ces fameux trois Delta 5 en liberté — vivants car le pouvoir s'intéresse de près au bidouillage génétique de leur conception. Celui qui s'y colle est un flic roublard et indépendant, Dekcked ( ce nom est un palindrome sur le terme humain/non-humain ), aux ordres du rusé Arouet, l'homme de main de Bérard, le Ministre de la Sûreté Intérieure. Mais voilà, Dekcked est plus malin qu'on ne le croit. Son enquête l'amène d'abord à retrouver les véritables assassins du Ministre Buisson qui, contrairement à ce que lui a affirmé Arouet, ne sont pas des parumains mais...
     Mais à quoi bon en dire plus ? Peut-être faut-il préciser qu'à l'instar du héros quasi éponyme de Philip K. Dick, Dekcked est amoureux d'une belle parumaine dont le rôle va se révéler beaucoup moins accessoire qu'on ne le croit au départ.
     On devinera dans ce texte passionnant plusieurs niveaux de lecture ( économiques, philosophiques, intertextuels. ) Par exemple, Arouet passe son temps à citer Les maximes de La Rochefoucault, sans le préciser. Les initiales de Julien Choelcher rappellent furieusement un certain messie — avec, en clin d'œil, 12 parumains survivants ! Dont quatre rescapés évangélistes. Le parumain blond se nomme Aaron, comme le frère de Moise qui libère les Hébreux. Quand Deckced rencontre Choelcher, ils partagent le pain et une carafe... étrange scène ( cène ? ) qui, par chance, n'a pas été censurée ici !
     Bref, Jean Molla signe ici un thriller futuriste haletant, et il brosse le portrait d'une société dont plus d'un trait rappelle sinon la nôtre, du moins ce qu'elle pourrait bien devenir...
     L'action est claire, très habilement menée, les personnages fort bien typés et attachants, même les crapules ! et les rebondissements, inattendus et d'une logique implacable, laissent le lecteur en haleine jusqu'au bout.
     C'est une belle réussite, surtout de la part de l'auteur de Sobibor qui, ici, aborde avec un talent insolent un genre dans lequel on ne l'attendait pas. Un coup d'essai ? Quoi qu'il en soit, un coup de maître, qui séduira autant les adultes et les fans du genre que les jeunes !

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Sobibor


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