Christian Grenier, auteur jeunesse
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Les notes de lecture étant publiées sur le blog chaque semaine, cela devenait difficile de mettre ces pages à jour en parallèle. Donc rendez-vous sur le blog pour les nouvelles "lectures de la semaine" ! CG, le Lundi 18 février 2013
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 Mars 2005 : LA QUETE D’EWILAN 
     Est-il utile de présenter cette grande trilogie, œuvre maîtresse de Pierre Bottero ? Oui, et pour de nombreuses raisons : d'abord parce qu'il se peut que certaines ou certains d'entre vous ne l'aient pas encore lue. Ensuite parce qu'il s'agit là d'une des plus passionnantes histoires d'heroic fantasy. Et enfin, pour une raison qui me tient à cœur : Pierre est non seulement un collègue, un ami... mais aussi mon filleul ( je veux bien sûr évoquer mon rôle de parrain à la Charte des Auteurs !)
     Un parrain ayant la mission de veiller sur l'avenir de son filleul, il me semble donc indispensable de vous présenter cette ( première ) grande trilogie.
     Mais attention : cette épopée réservant de multiples surprises, je recommande aux lecteurs de ne lire que le résumé du premier tome ( avant qu'ils ne se précipitent dessus !), afin qu'ils découvrent peu à peu et dans l'ordre qui convient les secrets qu'Ewilan, au cours de sa longue quête, va peu à peu percer.

  1 - D’un monde à l'autre , Pierre Bottero ( Rageot Editeur )  
     Pour échapper au camion qui va l'écraser, la jeune orpheline Camille Duciel, 14 ans, découvre fortuitement qu'elle a le pouvoir de disparaître et de réapparaître ( c'est le « pas sur le côté » ) dans un étrange monde parallèle, Gwendalavir, monde dans lequel elle s'appelle Ewilan et qui est menacé par les Raïs et de dangereux lézards géants, les Ts'liches. Dans cet univers parallèle veillent douze puissantes Sentinelles — les parents de Camille, Altan et Elicia Gil'Sayan, des humains qui maîtrisent le Dessin, c'est-à-dire capables de rendre réel tout ce qu'ils imaginent. Mais une des sentinelles, l'ambitieuse Eléa Ril'Morienval, a trahi les siens... avant d'être à son tour trahie par les Ts'liches et maintenue prisonnière avec les autres, dans la cité d'Al Poll.
     Avant d'être capturés, les parents d'Ewilan ont abandonné sur la Terre leurs deux enfants, Ewilan et Akiro...
     Projetée avec son ami Salim, un jeune Black, dans ce monde qu'elle maîtrise mal et dont elle doit apprendre les lois, Camille est sauvée par Edwin, Maître d'Armes de l'Empereur ; elle apprivoise ses dons sous la conduite de l'Analyste Duom qui lui révèle sa mission : découvrir son frère, qui vit sur Terre et ignore sa propre identité, et le ramener à Gwendalavir pour délivrer les Sentinelles — seuls ces deux enfants en ont le pouvoir.
     Naviguant entre la Terre ( où elle doit affronter tour à tour ses méchants parents adoptifs et les monstres envoyés par les Ts'liches ) et Gwendalavir, Camille parvient enfin à retrouver son frère aîné à Paris. Mais le jeune homme, guère sympathique, semble peu coopératifs et ses dons paraissent limités... Camille n'est donc pas au bout de ses peines, elle décide de revenir seule dans son vrai monde d'origine, toujours accompagnée de son fidèle ami Salim.

Vous pouvez aussi lire les notes de lecture sur d'autres livres du même auteur :
1 - La forêt des captifs | Zouck | Tour B2 mon amour | Les mondes d'Ewilan - 2. L’Œil d'Otolep | Le chant du Troll


  2 - Les frontières de glace , Pierre Bottero ( Rageot Editeur )  
     Revenue sur Gwendalavir, Camille, alias Ewilan, se met en route pour Al Jeit, la capitale, où elle doit d'abord rencontrer l'Empereur. En fait, elle est à la tête d'une véritable expédition qui comprend son ami Salim, le soldat rescapé Maniel, le vieux Maître Duom, le chevalier Bjorn, l'étrange marchombre Ellana aux mystérieux pouvoirs, Artis le rêveur — une sorte de prêtre capable de soigner les plaies mortelles — et surtout le vaillant et impressionnant Edwin. Leur parcours est semé d'embûches. Il leur faudra affronter d'abord les tigres, puis les dangereux Raïs, enfin les immenses et stupides Ogres, les Goules... et aussi pactiser avec les étranges Faëls. L'un d'eux, Chiam Vite, se joindra à l'expédition qui parviendra à gagner d'abord le fleuve et son Arche en diamant puis la stupéfiante ville d'Al Jeit, œuvre du mythique Dessinateur Merwyn Ril' Avalon.
     Ewilan entrera enfin grâce à l'appui de ses compagnons dans la superbe ville souterraine d'Al-Poll où des Ts'liches veillent sur les Sentinelles immobilisées — sentinelles devenues des « Figées ». Pour les délivrer, Ewilan comprendra quelle est la véritable nature du Gardien — un dragon qui, loin d'être un obstacle, se révélera un allié. Et si elle vient à bout de toutes ces difficultés, il lui reste, à la fin de cet épisode, à retrouver ses parents et aussi à régler son différend avec celle qui les a trahis : Eléa Ril'Morienval.
     Ce deuxième volume ravira les amateurs du genre grâce à un véritable feu d'artifice d'imaginaire ! Car j'ai passé sous silence le rôle du chuchoteur, petit rongeur qui maintient le lien entre Ewilan et les sentinelles prisonnières. J'ai oublié d'évoquer la fascinante pierre graphe, que l'héroïne a dérobée au Ts'liche dans le premier tome. Je n'ai pas parlé des Brûleurs, ni des verrous qui bloquent les spires de l'Imaginaire, ni des Mercenaires du Chaos...
     Dans cet épisode alternent l'humour ( sans cesse présent grâce à Salim ) et le drame : eh oui, Camille meurt... et elle est sauvée grâce à l'intervention d'une Dame ( une baleine ) qui lui fait entrevoir l'Univers ( magnifique passage)... ce qui permet à Salim de révéler à Camille ses véritables sentiments à son égard.
     Décidément, le troisième et dernier volume de cette Quête s'annonce indispensable et passionnant !

Vous pouvez aussi lire les notes de lecture sur d'autres livres du même auteur :
1 - La forêt des captifs | Zouck | Tour B2 mon amour | Les mondes d'Ewilan - 2. L’Œil d'Otolep | Le chant du Troll


  3 - L'île du destin , Pierre Bottero ( Rageot Editeur )  
     En prélude au troisième volet de cette quête, l'auteur nous offre un beau « remake » de la légende de Merlin et de la fée Viviane en tissant un lien entre ces héros mythiques et ceux de sa propre aventure — mais inutile d'en dire plus !
     Après une brève escale sur Terre, le même groupe aux liens solidement tissés part à la recherche d'Eléa la traîtresse et, bien sûr d'Elicia et Altan Gil' Saya, les parents d'Ewilan. Leur périple mouvementé leur fera faire la connaissance des fameux « Frontaliers » et les fera parvenir en vue de la fabuleuse citadelle où règne le seigneur Hander Till' Illan — le père d'Edwin et de la jeune Siam, dont le frère d'Ewilan, Mathieu alias Akiro, semble très amoureux.
     Car Camille a bien été obligée d'aller récupérer son frère sur la Terre... ce qui entraîne à la fois des recherches de la police, de fameux quiproquos ( Bjorn, qui a eu l'imprudence de les accompagner, passe pour un kidnappeur et il aura bien du mal à revenir dans son monde d'origine ! ), et surtout des révélations sur l'identité des parents adoptifs de Camille et ceux de Mathieu.
     Puis c'est le long voyage vers le lieu ( l'île du Destin du titre ? ) où les parents d'Ewilan sont captifs — sur un pic, dans une grotte. Par chance, le frère de Camille se révèle beaucoup plus doué qu'ils ne l'avaient tous craints : il est le seul à pouvoir effectuer le pas sur le côté en se matérialisant sur un lieu qu'il n'a jamais visité !
     Salim, lui, se voit métamorphosé en loup — mais pas définitivement.
     Enfin, après avoir affronté les pirates alines, et défié Eléa en duel — avec le Dessin pour seule arme — Ewilan finit bien sûr par retrouver et délivrer ses parents, après une brève et poétique intervention de la Dame et du dragon.
     Mais la cruelle Eléa n'est que blessée. Elle aussi a fui au dernier moment en effectuant le pas sur le côté, en révélant que son ambition n'était pas seulement de devenir la maîtresse de l'Empire... mais aussi celle de territoires inconnus !
     Ce qui laisse sous-entendre que les aventures d'Ewilan et de son compagnon Salim ne sont pas, mais pas du tout achevés !
     En guise de conclusion, Pierre ( et Claudine, son épouse ) Bottero offrent au lecteur un savoureux making of, dessert composé d'interviews inédites de quelques personnages et de scènes « coupées au montage ».

Vous pouvez aussi lire les notes de lecture sur d'autres livres du même auteur :
1 - La forêt des captifs | Zouck | Tour B2 mon amour | Les mondes d'Ewilan - 2. L’Œil d'Otolep | Le chant du Troll


 Mars 2005 : LES MONDES D’EWILAN 
Le nouveau cycle de Pierre Bottero, et la suite de la Quête d'Ewilan

  1 - La forêt des captifs , Pierre Bottero ( Rageot Editeur )  
     Changement d'univers. Ou plutôt retour sur la Terre.
     Car Ewilan a été enlevée ! Captive d'une étrange et obscure Institution cachée au fond du Causse, elle est devenue un objet d'étude, comme d'autres enfants dotés de pouvoirs supra-normaux. Bien qu'on soit sur Terre, il y a de l'Eléa là-dessous... d'autant qu'un étrange sérial-killer aux allures d'alien sème la terreur depuis quelque temps dans la région, et jusqu'à Marseille : un insecte géant qui dévore ses victimes — donc les Ts'liches se sont infiltrés sur Terre, et on se doute qu'Eléa y est pour quelque chose !
     Bien sûr, Salim parvient à délivrer Ewilan, notamment grâce à son pouvoir de se transformer en loup. Grâce aussi à Maniel, devenu homme-lige, Maniel qui « brûlera » sa vie dans un épouvantable carnage pour sauver la jeune captive.
     Par chance vit sur le Causse un paisible et vieux berger, Maximilien, qui va recueillir les survivants : Ewilan ( très affaible, et qui va recouvrer peu à peu ses pouvoirs perdus ) et Salim, mais aussi les enfants prisonniers de cette Institution, enfants qu'Ewilan revient délivrer, après avoir appelé à la rescousse ses amis de Gwendalavir, ce qui entraîne de bien jolis combats.
     Le père adoptif de Mathieu sera lui aussi appelé à la rescousse. Car Ewilan veut savoir comment cette Institution, organisme gouvernemental secret, a pu tomber entre les mains d'une société fasciste que dirige en sous-main Eléa. Son enquête l'entraînera vers un certain Bruno Vignol, qui travaille pour le Ministère de l'Intérieur mais qui souhaite nettoyer l'Institution de ceux qui l'ont envahie et pervertie.
     Un ultime affrontement permettra à Ewilan et à ses amis de tuer les derniers Sl'iches. Hélas, Eléa parvient à s'enfuir ! Et l'on se doute que dans L'oeil d'Otolep, nos héros reviendront en Gwendalavir, notamment pour partir à la recherche des parents d'un étrange garçon de huit ans ancien prisonnier de l'Institution, Illian, dont les pouvoirs, qui ne semblent pas emprunter l'Imagination, sont étonnants et inquiétants... car il lui suffit de dire : casse ! brûle ou meurs ! pour que sa volonté soit faite !
     Dans ce premier épisode d'une nouvelle trilogie, la rupture de ton est évidente. Pierre Bottero, qui navigue entre polar, fantastique et gore dans un univers très réaliste, affine la psychologie de ses personnages. Il nous offre avec Maximilien Fourque un portrait particulièrement attachant et réussi.

Vous pouvez aussi lire les notes de lecture sur d'autres livres du même auteur :
1 - D’un monde à l'autre | 2 - Les frontières de glace | 3 - L'île du destin | Zouck | Tour B2 mon amour | Les mondes d'Ewilan - 2. L’Œil d'Otolep | Le chant du Troll


 Mars 2005 : Les autres lectures de mois 
     « Je ne peux m'empêcher de penser à une critique qui ne chercherait pas à juger, mais à faire exister une œuvre, un livre, une phrase, une idée... »
Michel Foucault


  Un enfant pour un autre , Ruth Rendell ( Livre de poche ( Calmann-Lévy ) )  
     Auteur d'un best seller et mère célibataire épanouie, Benet perd son jeune enfant, James, un an, à la suite d'une intervention dans un hôpital — et c'est le moment où elle accueille chez elle Mopsa, sa mère, qui souffre de démence.
     Ailleurs, dans un quartier pauvre, le jeune Barry se consume d'amour pour Carol — elle aussi mère célibataire, qui travaille dans un bar et ignore qui sont les pères de ses trois enfants. A la suite d'une négligence de l'aînée, huit ans, le petit Jason est délaissé une heure, oublié sur un mur — et recueilli par Mopsa, qui l'apporte à sa fille inconsolable.
     Quand Benet comprend enfin, stupéfaite et outrée, que cet enfant est celui qui a disparu et dont parle la presse, elle se décide aussitôt à le rendre. Mais pas avant de l'avoir soigné — car cet enfant, qu'elle juge d'abord bien laid, est visiblement battu. Bien entendu, Benet s'y attache, recule l'échéance, hésite. Garder Jason est tentant : il a l'âge de James et le rapt ne semble guère émouvoir sa mère.
     Mais deux hommes s'intéressent à Benet : le père de James, qui réapparaît et prend Jason pour son fils, et Ian, le médecin qui a participé à l'opération et qui, lui, ne peut être dupe de la supercherie...
     Parallèlement, l'auteur nous fait entrer dans l'intimité d'un gigolo, Terence, qui décide de l'absence et du mépris de sa riche maîtresse pour tenter... de vendre sa maison et de partir en empochant l'argent. Or, Barry, qui est vite soupçonné par la police d'avoir tué Jason, soupçonne, lui, Terence, d'être le père de l'enfant disparu...
     Apparemment complexe, l'intrigue de Ruth Rendell est pourtant serrée et sans faille. Et le lecteur partage les sentiments cornéliens qui font agir tous les personnages — notamment Benet, Barry et Terence, dont les trois destins apparemment indépendants vont se nouer dans un épilogue à la fois moral et dramatique.

Vous pouvez aussi lire les notes de lecture sur d'autres livres du même auteur :
L'été de Trapellune


  La dixième planète , C. H. Badet ( Editions Métal )  
     Christian Poslaniec m'a envoyé par la poste cette rareté : un roman de SF, d'un auteur inconnu, publié en 1957 dans la collection Métal.
     Au départ, très bonne surprise et un style alerte, enlevé, proche de Céline. Le narrateur, un SDF ( à l'époque, un clochard ), très porté sur l'alcool, a emprunté et fait démarrer par erreur une fusée du plus pur style Hergé. Il atterrit sur « la dixième planète », la planète Mère, la sœur jumelle de la Terre, qui gravite sur la même orbite mais avec six mois de décalage ce qui la rend opposée et invisible à la Terre.
     Accueilli par les « Mériens » et notamment par la séduisante Rose qui lui sert de guide, le brave Savigny découvre un monde technologique évolué, gouverné par la raison : nourriture, reproduction, travail... tout est parfaitement réglé dans un système à la fois scientifique, utopiste, pacifique et totalitaire : on a ôté des gènes des humains tout ce qui crée désordre et désir. Bien entendu, Savigny ne l'entend pas de cette oreille et il met un malin plaisir à semer le doute et le désordre dans ce monde bien huilé, gouverné par un « grand cerveau » dont le raisonnement, d'ailleurs, fait fléchir le lecteur :
     — Est-ce que, dans vos communautés terriennes, le fort n'écrase pas, quand il le peut, le faible ? Vos enfants sont-ils tous défendus, vos vieillards honorés ? Vos principes humanitaires sont-ils toujours appliqués ? Votre liberté est-elle une réalité ou un mythe ? Vos démocraties permettent-elles vraiment au peuple de se gouverner lui-même ? (...) Etre heureux, c'est satisfaire ses besoins, les besoins naturels et ceux qu'on s'est créé. Un des secrets du bonheur, c'est d'avoir le moins possible de besoins.
     Mère ayant deux siècles d'avance sur la Terre, c'est donc là le système qui attend notre monde. Le héros dupera ses hôtes ( grâce... au pastis ! ) et rejoindra notre monde avec Rose, redevenue peu à peu humaine.
     Bien que vieilli et parfois didactique, ce roman est un modèle du genre de la SF des années cinquante. Par ailleurs, si Christian Poslaniec me l'a envoyé, c'est parce qu'il est l'un des rares ouvrages ( avec La planète ignorée de René Guillot et Aïo, terre invisible, dont je suis l'auteur ) à évoquer une planète jumelle de notre erre, diamétralement opposée à elle par rapport au soleil.



  Tandem ou 35 ans de suspense , Boileau-Narcejac ( Denoël )  
     Après que je lui ai envoyé Je suis un auteur Jeunesse, Michel Jeury a eu la gentillesse, peu avant Noël, de m'envoyer cet ouvrage, interview de ces deux maîtres du roman policier — tout simplement parce qu'il y trouvait des parentés entre mon propos et le leur. Comme il avait raison !
     Pressés de questions par un journaliste, ami et complice, Thomas Narcejac et Pierre Boileau confient au lecteur leurs débuts séparés, leurs balbutiements, leur rencontre. Ils expliquent combien leur enfance, marquée par la première guerre mondiale, a sans doute influencé leur imaginaire, de même que la lecture des feuilletons de l'époque : les romans de Maurice Leblanc, les Fantômas — et le cinéma populaire d'entre les deux guerres. Ils livrent également quelques clés de leur savoir faire, la manipulation du lecteur, la montée du suspense ( « quand un personnage est lentement écrasé par un événement qu'il n'a pas prévu » ), le dosage subtil d'ingrédients indispensables comme « l'effroi et l'amour ». Ils évoquent surtout leurs rapports parfois conflictuels avec le cinéma, leurs rencontres avec Clouzot, Hitchcock, et le tournage de plusieurs films dont, bien sûr, celui des Diaboliques !
     Réalistes, modestes, conscients, dans les années 80, d'être dépassés par le « polar » dont ils déplorent la violence et les excès, ils justifient leurs exigences ( « pas de héros increvable, pas de série » ), et évoquent avec Et mon tout est un homme leur flirt avec la SF. Puis ils avouent les refus essuyés par les éditeurs avec leurs romans pour la jeunesse, « jusqu'au jour où une modeste maison d'édition à laquelle nous n'avions pas pensé tout d'abord, les Editions de l'Amitié, nous ouvrit ses portes ». Parenthèse : dans la même collection, Jeunesse Poche, paraîtraient mes tout premiers ouvrages à la même époque !
     Evoquant Sans Atout, ils révèlent que, revenant à leurs premières amours, leur héros « est le jeune frère d'Arsène Lupin », l'Isdore Beautrelet de l'Aiguille Creuse. Et à la question du journaliste, étonné que ces deux grands maîtres se tournent soudain vers de jeunes lecteurs :
     — Vous voulez dire que ces romans pour la jeunesse sont de vrais romans policiers à l'ancienne, composés avec le même souci de rigueur en même temps qu'avec le même mouvement intérieur ?
     Ils répondent bien d'une même voix :
     — Parfaitement !



  Professeur de désespoir , Nancy Huston ( Actes Sud )  
     Quel ouvrage salutaire !
     Nancy Huston part en guerre contre les auteurs et les philosophes qui professent le désespoir. Mieux : elle s'étonne de leur succès et, dans un essai magistral, elle livre aux lecteurs en général et aux lettrés en particuliers une superbe leçon d'optimisme.
     Elle jette d'abord son dévolu sur leur grand ( et moins prestigieux qu'on le croit ) ancêtre, Arthur Shopenhauer, modèle des nihilistes contemporains et, au moyen d'arguments convaincants, se penchant le plus souvent sur l'enfance ( parents absents ou prédateurs ! ) de leurs descendants spirituels : Samuel Beckett, Emil Cioran, Imre Kertesz, Thomas Bernhard, Milan Kundera, elle tente d'expliquer d'abord leur mal de vivre et ensuite leur besoin de l'exprimer et de convaincre leurs lecteurs : la chair est triste, les parents irresponsables et méprisables, l'individu est hélas mortel, la grande erreur est de souhaiter (sur)vivre — et, déchéance suprême ( ce qu'elle appelle la « génophobie » ) vouloir procréer !
     Ecrit sous l'égide de Déesse Suzy, sa complice et interlocutrice imaginaire, Nancy Huston confesse son amour de la vie, de la sexualité, de la famille, des enfants, des joies et des plaisirs simples. Elle enseigne qu'on peut écrire et être heureux, et vilipende les méchants donneurs de leçon qui envisagent la stérilité comme morale permanente ( « aucune vie artistique sérieuse ne peut être compatible (...) avec des enfants » dit Elfriede Jelinek » ) et le suicide comme remède idéal.
     N'hésitant pas à s'attaquer à la littérature contemporaine, elle dissèque l'œuvre de Houellecq, Sarah Kane, Linda Lê et Christine Angot. On se demande d'ailleurs, en ce qui concerne ce dernier personnage, si le terme d'œuvre est approprié. J'avoue ne jamais avoir lu madame Angot mais les extraits — consternants ! — qui m'en sont livrés ne m'en donnent guère l'envie. Et encore moins les compliments de la critique, que Nancy Huston n'hésite pas à dénoncer ( « Et Josyane Savigneau, dans Le Monde, de saluer son talent révolutionnaire. » ). Quant à l'auteur de La Pianiste, Elfriede Jelinek ( à qui le Prix nobel de littérature a été décerné en 2004, ce qui va conforter Nancy Huston dans ses constatations effarées ! ) elle confirme la thèse stupéfiante de la compagne de Tzvetan Todorov : ces auteurs, traduits et vendus à des millions d'exemplaires, méprisent et insultent leurs lecteurs ! Ah, comme le masochisme et l'automutilation font recette, et se confondent avec le talent !
     Prenant le contre-pied de ces « néantistes », l'auteur justifie la compatibilité de la Littérature avec l'espoir et l'optimisme en se penchant sur la vie et l'œuvre de Jean Améry, Charlotte Delbo — et en citant un grand nombre d'autres écrivains comme Joyce ou Romain Gary. Enfin, elle s'interroge : «  si nous préférons si souvent le désespoir au bonheur, c'est que le bonheur est par définition fragile, précaire, destiné à disparaître... tandis que le désespoir, lui, est une valeur sûre et stable (...) Cela nous arrange, au fond. Cela nous dispense non seulement de comprendre le passé mais de songer sérieusement à l'avenir. On voit bien que le monde va mal : pauvreté croissante, pollution des ressources de la planète, menaces terroristes... Mais à quoi bon agir ? On a vu où conduisent les utopies : au pire. Ainsi, plutôt que d'analyser le mal dans ses manifestations particulières, on préfère laïusser sur le Mal en général et dire, en haussant les épaules : il n'y a que cela de vrai. »
     On comprendra combien cet essai m'a réconforté, comment je l'applaudis des deux mains... et pourquoi je suis heureux et fier d'être « un auteur jeunesse » !



  Vous avez dit « Littérature » ? , Christian Poslaniec ( Hachette Education )  
     Principalement destiné aux enseignants, cet essai passionnant devrait être lu par toutes celles et tous ceux qui se posent la question : « qu'est-ce que la littérature ? » — une question qui me tient à cœur puisque je la (re)pose moi-même dans la dernière partie de Je suis un auteur jeunesse. Ecrivain mais aussi enseignant, chercheur et universitaire, Christian Poslaniec ne livre pas de réponse définitive ni de recette miracle... mais il pose, de façon précise et exhaustive, toutes les bonnes questions sur ce sujet.
     Difficile de résumer un ouvrage aussi dense !
     En fait, l'auteur s'ingénie à semer le doute dans l'esprit de ceux qui croient savoir ce qu'est « un texte littéraire » ! A l'image des bons oenologues, il propose des « dégustations en aveugle » et nous prouve que ce qui ressemble à un texte fort et original peut se révéler un récit destiné aux plus jeunes... voire un roman pornographique ! Ce qui semblait littéraire hier paraît aujourd'hui banal — voire médiocre !
     A quels critères se fier ?
     Christian Poslaniec les passe au crible, il va même jusqu'à proposer une formule destinée à mesurer la richesse d'un livre. Mais surtout, il met en avant le caractère illusoire, subjectif et éphémère de la « littérarité », celle-ci étant essentiellement liée au lecteur.
     Il étudie également à la loupe de multiples aspects de la création qui me sont chers et qui vont des différentes étapes de l'écriture ( le magma informe qui bouillonne dans l'esprit du créateur puis les mises en forme rédactionnelles successives ) aux questions que, consciemment ou non, se pose l'écrivain au travail, questions portant sur les destinataires potentiels de son ouvrage mais aussi sur le style, le ton, le narrateur...
     Passant en revue des notions majeures comme celles de l'implicite et de l'intertextualité, il insiste sur l'importance de l'incipit ( « tous les codes retenus par l'auteur semble se concrétiser sur les premières pages du texte » ) et sur celle du récepteur (« le lecteur injecte des émotions, des événements, voire des personnages qui n'existent pas dans le livre » ou, citant Barthes : « on ne peut lire et s'intéresser à un texte que si l'on a un théâtre intérieur sur lequel beaucoup de personnages interviennent et jouent des scènes fantasmatiques »), ce qui lui permet de conclure : c'est le récepteur qui détermine la littérarité d'un livre, ici et maintenant, et non dans l'absolu.
     Eh bien en tant que récepteur, j'affirme que cet essai, qui se lit comme un roman, rend moins péremptoire, plus lucide et modeste — que l'on soit enseignant, critique, écrivain... ou simple lecteur.

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La Onzième Souris Verte | Papa Poule


  La petite école dans la montagne , Michel Jeury ( Robert Laffont )  
     En 1908, le jeune Victor Chambost est nommé instituteur dans l'école de Saint-Just, près du Mont Pilat. Véritable hussard de la République, Victor se consacre avec fougue à son travail — même s'il doute parfois... notamment du rôle de son pays dans les colonies. Faute de pouvoir dialoguer avec sa jeune collègue de l'école des filles ( Emilie l'attire... mais son ironie et son indépendance d'esprit le rebutent ! ) il s'attache très vite à un jeune berger pétillant d'intelligence, Colinet, qu'il prépare au fameux Certificat. Hélas, à la suite de la mort de sa mère, Colinet est adopté par son oncle qui l'embauche aussitôt au moulin. Que son neveu prépare le certificat ? A quoi bon ?
     Commence alors un long combat, que Victor perdra, car ni le maire ni l'inspecteur ne réagissent à son courrier.
     Se croyant oublié et abandonné, Colinet s'enfuit et l'on perd sa trace. Victor porte longtemps cette défaite comme une faute. La timide ébauche d'une idylle avec Emilie et la réussite de ses garçons au Certificat le consoleront à peine, jusqu'à ce que...
     Le dernier roman de Michel Jeury est magnifique, vrai, émouvant — et ma vieille amitié pour Michel n'y est pour rien. Avec son talent habituel, l'auteur nous dépeint avec une poésie et une grande tendresse cette région qu'il connaît bien ( lire Les gens du mont Pilat, l'histoire à peine romancée de ses parents ) et il brosse le portrait de personnages authentiques et attachants : Victor, certes, mais aussi sa collègue qui préfigure les luttes féministes, le maire de la commune, ses trois logeuses — et une classe de garçons aussi batailleurs que généreux. C'est là un récit à la fois historique ( la documentation — chansons, problèmes, citations, proverbes, poésie — y foisonne, sans jamais alourdir le propos ), sentimental et citoyen : le lecteur est plongé dans une époque et un milieu qui ne peuvent que le toucher car ce sont nos racines : la France profonde et rurale telle qu'elle était il y a cent ans, amputée de l'Alsace-Lorraine, grosse de nombreux espoirs : l'industrie, l'aviation, une langue universelle — et sans doute une prochaine guerre, mais la dernière tant ses moyens de destructions promettent d'être meurtriers.
     La fin, superbe et authentique, laisse un écho indélébile où la nostalgie le dispute à l'émotion. Accessible à un large public, c'est là un roman exemplaire qui passionnera à peu près tous les lecteurs de plus de douze ans... avec une mention spéciale pour les enseignants !

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Angéline | Le Temps incertain et Soleil chaud, poisson des profondeurs | Le Printemps de Thomas | Les secrets de l'école d'autrefois : Savoir lire, écrire, compter | Les gens heureux ont une histoire | Le dernier certif | Les beaux jours du docteur Nicolas | May le monde


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